Au moment des grandes manifestations contre la réforme de 2010 qui reportait à 62 ans l’âge normal de départ en retraite, beaucoup d’opposants affirmaient qu’une telle réforme se traduirait par une baisse des pensions des futurs retraites et un accroissement massif du chômage des jeunes, ceux-ci ne pouvant plus prendre la place de ceux qui auraient dû partir en retraite.
Il est vrai que certains ne craignaient pas de faire preuve de mauvaise foi en prétendant à la fois que le report de l’âge de la retraite se traduirait par un chômage massif des seniors et qu’il empêcherait les jeunes de trouver du travail. L’idée que le chômage de fin de carrière conduirait à baisser les pensions montrait une méconnaissance (volontaire ?) du système des droits en cas de chômage et faisait l’impasse sur le fait qu’une plus grande activité des plus anciens est au contraire favorable aux finances des caisses de retraite !
A l’époque, j’ai essayé d’expliquer que le système économique ne fonctionnait pas comme un gâteau limité à partager sous peine de faire des exclus. J’étais d’autant plus à l’aise pour le faire que j’avais signé fin 2006 avec Alexandre Delaigue une tribune parue dans le Monde, et qui expliquait que le choc démographique (les départs massifs à la retraite) ne réglerait pas le problème du chômage, comme trop de personnes voulaient le faire croire.
Alexandre expliquait que « Le lien entre population et emploi est l’un des plus étudiés par les économistes. De cette connaissance accumulée, il ressort que, sur le long terme, le nombre de personnes employées dans un pays est directement lié à l’évolution de la population active. » L’article donnait quelques exemples d’afflux massifs de main d’œuvre (par exemple le retour des pieds noirs en 1962) qui n’avaient eu aucun impact sur le taux de chômage.
Pour tous ceux qui ne sont pas convaincus par les arguments théorique, le point fait par l’INSEE sur l’emploi en 2011 vient donner une illustration tout à fait factuelle des idées que je développais
Entre 2005 et 2011, les diverses actions menées par le gouvernement, au moins depuis 2003, pour augmenter le taux d’activité ont enfin donné les résultats attendus : le taux d’activité des 55/64 ans a augmenté significativement (de 8% en 5 ans pour le taux dit sous-jacent) ce qui s’est traduit par une augmentation de 970 000 du nombre de seniors actifs entre 2005 et 2011, qui explique 95% de l’augmentation de la population active sur la période !
Mais actif ne veut pas dire en emploi : les actifs comprennent aussi les chômeurs. Si le raisonnement des adversaires du projet de report à 62 ans étaient correct, les mesures prises précédemment auraient dû se traduire par une augmentation du taux de chômage global, mais surtout de celui des jeunes et des seniors.
D’autant plus que les Français ne se souviennent pas des années 2005/2011 comme des années particulièrement dynamiques du point de vue de la croissance, et que 2008 a vu le début de la suppression de la dispense de recherche d’emploi. Or cette mesure, qui touchait plus de 400 000 personnes en 2005, permettait de ne pas les comptabiliser dans les chiffres du chômage, alors qu’il s’agissait bien d’actifs sans emploi (touchant à ce titre les Assedic), ayant atteint ou dépassé l’âge de 57 ans mais ne pouvant pas encore faire valoir leurs droits à la retraite. En fin, 2011, le nombre de personnes bénéficiant de ce dispositif n’était plus que de 160 000, en baisse de 250 000 sur le volume observé en 2005.
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2005 en milliers |
2011 en milliers |
2005 en % |
2011 en % |
actifs |
27 370 |
28 390 |
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Chômeurs : ensemble |
2487 |
2 612 |
9.1 |
9.2 |
Dont 16/24 ans |
611 |
627 |
21.1 |
22.0 |
Dont 25/ 49 ans |
1494 |
1521 |
8.2 |
8.4 |
Dont + de 50 ans |
382 |
464 |
6.1 |
6.3 |
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : ils sont extrêmement proches, et l’évolution du nombre d’actifs ne s’est pas traduite par une évolution de la répartition du chômage selon les âges
La croissance du nombre de plus de 50 ans au chômage (+ 21%) s’explique d’abord par une augmentation du nombre d’actifs dans cette tranche d’âge. En volume, il est frappant de voir qu’elle est trois fois plus faible que la diminution du nombre de titulaires de la DRE !
Comment peut-on arriver à ce résultat ?
Il faut dire que le marché du travail fonctionne de manière très différente de celle que semblent l’imaginer les adversaires du report de l’âge de la retraite. Ce qui s’est passé avec la fin progressive de la DRE montre que les personnes concernées font des choix dans leur carrière (pour accepter un départ volontaire dans le cadre d’un licenciement par exemple, ou pour cherche un nouveau travail) et que ces choix ont été changés par la fin de la DRE !
Par ailleurs, il y a une mobilité importante dans le monde du travail. L’enquête sur les mouvements de main d’œuvre nous montre environ 8 millions de sorties par an pour les entreprises du secteur concurrentiel. Les statistiques de pôle emploi montrent de leur côté qu’on y observe environ 6 millions d’entrées (et à peu près autant de sorties) par an !
La permanence de la répartition par âge du chômage montre, qu’au-delà des évolutions conjoncturelles, celui-ci est structuré par des caractéristiques assez pérennes, comme la difficulté pour les non ou peu qualifiés de trouver du travail, la déqualification d’une partie des femmes, l’existence de filières ou de métiers en tension et d’autres en sur effectifs, les différences de situation selon les territoires et les bassins d’emploi etc.
Si l’augmentation du taux d’activité des seniors n’a donc apparemment pas eu d’impact sur le taux de chômage, il en a eu sur l’équilibre des comptes des caisses de retraite, celles-ci ayant près d’un million de cotisants de plus que si ce taux n’avait pas augmenté et un million de retraités en moins. A effectif inchangé, il aurait fallu baisser le niveau des pensions d’une dizaine de pour cent pour obtenir le même effet sur les comptes !
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