L’Accord national interprofessionnel sur la sécurisation professionnelle signé vendredi 11 janvier a été justement jugé par les observateurs comme un pas vers une social-démocratie à l’allemande ou à la scandinave. Sa lecture doit être replacée dans le contexte de la négociation et au regard des principes d’action de la CFDT.
Une demande du gouvernement
Dans son engagement 24, le candidat François Hollande promettait de lutter contre la précarité « qui frappe avant tout les jeunes, les femmes et les salariés les moins qualifiés » en augmentant « les cotisations chômage des entreprises qui abusent des emplois précaires »
A l’issue de la conférence sociale des 9 et 10 juillet, le gouvernement a invité les partenaires sociaux à donner leur avis sur les projets en cours (contrats d’avenir et de génération) et à négocier au niveau national interprofessionnel les conditions d’une meilleure sécurisation de l’emploi comportant :
- Un volet anticipation des évolutions de l’activité passant par un renforcement de la GPEC et une information loyale et transparente des représentants du personnel
- un volet relatif à l’accompagnement des mutations économiques, en vue de se doter par le dialogue social de leviers plus efficaces de maintien de l’emploi et de l’activité dans les entreprises rencontrant des difficultés conjoncturelles et ayant besoin d’adaptations (activité partielle, maintien de l’activité et de l’emploi, recours à la formation…), d’améliorer et de sécuriser juridiquement les procédures de licenciements collectifs, d’encadrer les licenciements manifestement abusifs et les obligations liées à des projets de fermeture de sites rentables
- un volet ayant trait à la lutte contre la précarité excessive du marché du travail (contrats précaires, temps partiel voire très partiel subi,…), ainsi qu’à la prise en charge par le service public de l’emploi des publics concernés.
Le gouvernement donnait comme délai la fin du premier trimestre 2013, délai qu’il a demandé d’anticiper depuis.
Une logique sociale démocrate
En souhaitant que les partenaires sociaux négocient et en promettant d’inscrire dans la loi le résultat de leur négociation s’il y avait un accord, le gouvernement s’est clairement mis dans une posture sociale-démocrate, telle qu’elle existe traditionnellement dans la plupart des pays européens, la France faisant historiquement figure d’exception sur ce point. Les observateurs estimaient ce week-end que l’accord était un succès pour le Président de la République, le premier ministre et le ministre du travail (Michel Sapin). Ce dernier a certainement été très actif en coulisse.
Les partis sociaux démocrates, par exemple en Scandinavie, en Allemagne ou au Royaume Uni, ont eu à leur origine au 19ème siècle un lien fort avec les mouvements ouvriers, au point d’être fondés par les syndicats en Angleterre. A l’opposé de ce qui sera ensuite la logique léniniste, le parti est de fait la courroie de transmission politique des syndicats. Ce sont les partenaires sociaux qui négocient le social. Il est vrai qu’ils en ont la force, à l’image du syndicat suédois auquel adhérent plus de 80 % des salariés. Du coup, les partis sociaux démocrates sont eux aussi des partis de masse et revendiquent des adhérents par millions quand la SFIO française de Jules Guesde et Jean Jaurès est plutôt vers 1900 un parti d’intellectuels qui compte au plus 10 000 adhérents mais 18 agrégés parmi les rédacteurs de l’Humanité !
La CFDT s’est toujours inscrite dans cette logique de la primauté de la négociation entre partenaires sociaux (la différence avec les autres pays européens étant qu’il n’y a pas de parti « courroie de transmission » de la CFDT, mais ce lien a aussi progressivement disparu ailleurs ou s’est au moins distendu).
On verra que le contenu de l’accord lui-même comprend des éléments de cette logique sociale démocrate avec la possibilité pour les entreprises de négocier des accords majoritaires pour organiser la gestion de leurs effectifs.
Négocier, c’est accepter des compromis.
On peut toujours écouter les marchands d’illusions qui veulent nous faire croire que par la lutte on obtiendra tout, et que les lendemains chanteront miraculeusement. Ce n’est pas le choix de la CFDT qui se veut acteur de la transformation sociale et sait que celle-ci se construira pas à pas.
En pratique, cela signifie que, dans le contexte actuel peu favorable aux salariés, une négociation est un compromis, où il s’agit d’accepter certaines demandes de la partie adverse en échange des concessions que celle-ci fait, à condition bien sûr que les gains soient nettement supérieurs aux concessions. C’est plus facile quand il y a « du grain à moudre » ou quand on peut identifier des solutions gagnant/ gagnant.
Réduire les inégalités entre salariés
L’acceptation par la CFDT en 2003 de la réforme des retraites dite Fillon en est une illustration. Dans un contexte d’augmentation régulière de la proportion de plus de 60 ans dans la population (du fait du papy boom et de l’augmentation constante de l’espérance de vie), le maintien du versement de pensions de retraite dignes de ce nom débouche partout en Europe sur un allongement de la durée de cotisation et/ ou un report de l’âge de départ à la retraite.
Le système français a toujours défini les règles de départ en conjuguant durée des cotisations et âge. Mais de fait, c’est le critère âge qui se révélait le plus important pour la très grande majorité des salariés.
C’est ainsi qu’à la Libération, l’instauration d’un système pour tous les salariés prévoyait une pension égale à 20 % du dernier salaire pour ceux qui partaient à 60 ans et à 40 % du dernier salaire pour ceux qui partaient à 65 ans.
La conséquence de cet état de fait est que ceux qui avaient commencé à travailler à 14 ans devaient cotiser pendant 46 ans quand les fonctionnaires ayant commencé à travailler à 23 ans partaient au bout de 37.5 ans de cotisation.
A la demande pressante de la CFDT qui prônait la prise en compte des carrières longues, la réforme Fillon avait comme caractéristique de donner la priorité au critère de durée cotisation sur le critère d’âge. Nombreux de ceux qui ont reproché à l’époque sa signature à la CFDT, défendent aujourd’hui cette position, qui a servi de base à l’ajustement réalisé par le gouvernement Ayrault en début de mandat…
On observe sur l’emploi une situation du même genre, avec un fonctionnement dual du marché du travail, des dispositifs à deux ou trois vitesses (voir en détail cet article écrit il y a cinq ans) : la loi et les accords d’entreprise protégent fortement (beaucoup plus que dans la plupart des autres pays) les salariés en place, en CDI, en particulier dans les grandes entreprises. De l’autre coté, d’autres salariés se trouvent de plus en plus nombreux à se retrouver précarisés dans les CDD ou l’intérim.
Des flux de main d’œuvre très importants
C’est ainsi que sur la décennie, le nombre de CDD de moins d’un mois (aujourd’hui 7.5 millions par an !) n’a cessé d’augmenter alors que le nombre de victimes d’un licenciement collectif suit une tendance à long terme à la diminution (15 000 par mois au premier semestre 2012), au-delà des variations conjoncturelles.
La médiatisation de fermetures de site ou de plans sociaux importants donne de l’importance à la réalité des licenciements économiques. Le principal métier de BPI étant d’accompagner ce type de restructuration, les salariés de BPI savent la somme de drames individuels que cela recouvre souvent. Mais ils savent aussi que le marché de l’emploi recouvre bien d’autres réalités.
L’enquête trimestrielle réalisée par la DARES sur les mouvements de main d’œuvre dans le secteur concurrentiel hors intérim, montre que le nombre de sorties (et d’entrées bien sûr) dans les entreprises est considérable. Il se situe à plus de 50 % par an maintenant (c'est-à-dire qu’une entreprise de 100 salariés compte en moyenne 50 entrées et 50 sorties dans l’année, sans parler de l’intérim), contre moins de 40 en 2000, et encore moins une décennie auparavant.
Parmi ces 50 sorties, l’enquête compte, par ordre d’importance décroissant, des fins de CDD (36), des démissions (7), des fins de période d’essai (2), des licenciements autres qu’économiques (2), des ruptures conventionnelles (1.2), des départs en retraite(O.8) et des licenciements économiques (0.6).
Ces mouvements incessants frappent d’abord les jeunes (qui ont du mal à accéder à l’emploi et à un emploi pérenne, avec de fortes différences selon le niveau de qualification) et les salariés du tertiaire (donc les femmes). Pour les femmes de moins de 30 ans, le taux de rotation n’est pas de 50% mais de 130% !
L’une des causes de ces mouvements est la transformation permanente de l’emploi. De 1983 à 2010, la famille professionnelle des ouvriers non qualifiés du textile et du cuir a vu ses effectifs baisser de 92% (une quasi disparition), quand celle des ingénieurs de l’informatique voyait ses effectifs multiplier par 7 ! Au-delà de ces cas extrêmes, l’effectif total des 17 familles qui ont vu leurs effectifs baisser de plus de 20% est passé de 5 990 000 à 3 038 000 soit pratiquement une baisse de moitié. A l’opposé, l’effectif total des 36 familles professionnelles qui ont vu leurs effectifs augmenter de plus de 20 % est passé dans la même période de 6 511 000 à 12 068 000 soit une hausse de 85 %. Comme dans le même temps l’effectif global des 30 familles professionnelles dont l’évolution a été inférieure à + ou – 20 % (au total environ 10 millions de personnes) a cru de 4 %, le nombre d’actifs a augmenté de 3 millions. Mais si ces évolutions sont très importantes sur la durée, elles ne représentent pas forcément des mouvements annuels considérables
Une deuxième cause de ces mouvements est la saisonnalité de certaines activités, par exemple celle lié au tourisme ou à la récolte agricole. Le CDD sert aussi à remplacer des absences temporaires.
Une troisième cause tient aux salariés eux-mêmes qui gèrent leur carrière ou leurs contraintes personnelles : la part de démission varie selon la conjoncture, mais elle est toujours la deuxième cause de sortie de l’entreprise.
Enfin, les entreprises doivent s’adapter aux variations de leurs activités, hors effet de saisonnalité répétitif, variations qui sont différentes d’un secteur à l’autre. C’est pour cette raison qu’elles font appel à de l’intérim ou des CDD. Force est d’observer qu’elles ont tendance à en abuser. L’une des raisons majeures de ces abus est la difficulté de réaliser des licenciements économiques.
De nouveaux droits pour les précaires
On peut lire l’accord signé vendredi 11 comme une amélioration très nette pour les précaires, qui acquièrent de nouveaux droits (complémentaire santé, compte personnel de formation, droits rechargeables pour les chômeurs, temps partiel minimum,..) et voient les contrats courts sur taxés).
La situation est plus contrastée pour les salariés en place dans les grandes entreprises. Les organisations syndicales signataires ont vus certaines de leurs demandes acceptées, par exemple sur l’importance de la GPEC ou la présence syndicale dans les conseils d’administration des grands groupes.
De leur côté, les organisations patronales, voulaient plus de flexibilité et une meilleure sécurisation juridique des licenciements. Le gouvernement les avait entendus puisqu’il avait intégré dans sa « feuille de route » la phrase suivante : d’améliorer et de sécuriser juridiquement les procédures de licenciements collectifs.
L’enjeu des syndicats signataires était de prendre en compte ces demandes patronales en s’efforçant de les cadrer au mieux.
Les défenseurs des salariés en place partisans du statu quo ayant beaucoup plus accès aux médias que les précaires, se sont eux que l’on pourra entendre critiquer l’accord.
En conclusion
L’accord national interprofessionnel sur l’emploi a une dimension historique, puisque c’est la première fois en France qu’un accord touche au droit du licenciement. Il ne faut pas cependant en exagérer la portée.
D’abord parce que la négociation s’est insérée dans le cadre de la feuille de route gouvernementale : on ne peut donc parler de totale indépendance. Ensuite parce que les changements sont relativement restreints (et s’inscrivent dans l’évolution observée depuis 20 ans), même si seule la pratique nous permettra de mesurer le réel impact.
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