Obtenir un contrat à durer indéterminé (CDI), plutôt qu’un
simple CDD, devenir fonctionnaire plutôt qu’intérimaire, ceux qui cherchent du
travail savent bien ce que cela veut dire! A l’heure où les entreprises
semblent ne connaître que le mot de flexibilité, il semble que les salariés ne
soient pas égaux devant la précarité.
Les luttes syndicales et le droit du travail ont
progressivement érigé des protections contre le licenciement, de nature
différentes selon qu’il s’agit d’un licenciement collectif ou individuel. Mais l’application
de ces protections n’est pas égale pour tous, et les différences se sont
accrues depuis 30 ans.
L’imagination du législateur n’ayant apparemment aucune
limite, d’autres contrats, aidés ou non, comme par exemple le CNE ont été
inventés. Il parait qu’il y en a au moins 18 différents. C’est possible. Cela révèle
surtout que le système ne fonctionne pas bien. Et qu’on essaie de trouver des
palliatifs à un système structurellement non adapté.
Le résultat
de tout cela, c’est que les actifs peuvent aujourd’hui être classés en (au
moins !) trois catégories aux niveaux de protection très différents:
Les fonctionnaires
qui ne sont pas concernés par les licenciements collectifs et chez qui les
licenciements individuels sont très rares
Les salariés en
CDI des entreprises publiques et généralement des grandes entreprises, chez
qui les licenciements collectifs sont très encadrés et sont assortis d’aides
importantes. Les licenciements individuels sont également encadrés, par la loi
bien sûr mais aussi par un pouvoir syndical réel.
Tous les autres :
les contractuels de la fonction publique, les titulaires d’un CDD, les intérimaires,
les indépendants. Mais aussi de fait les
salariés des petites entreprises, pour qui le licenciement collectif n’est guère
protégé en pratique (ne serait ce qu’à cause du seuil de 9 personnes pour
définir le caractère collectif du licenciement). Mais on peut en dire autant du
licenciement individuel, ne serait ce que par sa complexité (qui révulse tout
autant les patrons)
On connaît la protection dont bénéficient les
fonctionnaires vis-à-vis de la menace de licenciement. Elle tient cependant
plus de la pratique que du droit. On arrive à ce résultat absurde qu’on peut
mettre à l’écart, voire priver de son salaire un proviseur accusé d’avoir révélé
son homosexualité sur un blog ou un professeur soupçonné de pédophilie mais que
dans le même temps on garde des professeurs notoirement incompétents à la tête
d’une classe ou des fonctionnaires dont chacun sait qu’ils ne font pas
grand-chose. Cela n’empêche pas, et j’en connais deux exemples très récemment,
de renvoyer à leur corps d’origine avec la plus grande brutalité des hauts
fonctionnaires qui ne plaisent plus. Dit autrement, on peut sanctionner ceux
qui se bougent mais pas ceux qui se contentent de rester là où ils sont.
Plus globalement, le système de titularisation qui était
sensé protéger les fonctionnaires des arbitraires du politique n’aboutit qu’à
favoriser l’immobilisme et à organiser la mobilité des fonctionnaires
uniquement dans l’intérêt individuel de ceux-ci et au détriment de la qualité
du service public. On connaît bien la conséquence du statut sur la moyenne d’âge
des fonctionnaires de la région parisienne.
Exemple concret de la logique du système: une spécialité
technologique tombée en désuétude est supprimée dans un département. L’inspecteur
d’académie arrive à convaincre les deux professeurs concernés de se recycler
dans une autre matière mais ceux-ci demandent de pouvoir rester dans leur département.
Opposition du syndicat qui objecte qu’ils prendraient ainsi la place de
professeurs de la matière visée qui ont demandé leur mutation dans ce département
et qui ont accumulé les points pour cela. Et on pourrait citer mille autres
exemples.
En pratique, le statut des fonctionnaires est devenu un
frein puissant à l’efficacité de la fonction publique mais aussi, souvent, à l’intérêt
réel des fonctionnaires eux même.
A l’autre bout de
l’échelle, ceux qui concentrent toute la flexibilité et la précarité. Ceux là
ne sont pas forcément maltraités: tout dépend de leurs compétences et de la situation du marché. S’ils sont
plombiers ou titulaires d’une spécialité recherchée, ils n’ont pas vraiment à s’en
faire et peuvent négocier d’une manière ou d’une autre ce qui les arrange. Par
contre, si le marché du travail joue en leur défaveur, à eux la précarité, les
bas salaires, les mauvaises conditions de travail, l’absence de protection
sociale. S’ils ne sont pas qualifiés, si ce sont des étrangers des jeunes, des
handicapés ou des seniors, malheurs à eux. Ils pourront toujours faire les ménages
dans de grosses entreprises ou être contractuels dans des ministères, ils côtoieront
au quotidien ceux qui bénéficient d’une grande protection mais ne partageront
pas celle-ci avec eux.
Combien de cas où la précarité de certains est le résultat
direct des privilèges des autres? Quand le statut de certains ne permet pas d’assurer
les remplacements, il faut bien qu’il y en ait d’autres pour subir l’ensemble
de la précarité. Quand certains peuvent exiger la stabilité de leur situation
alors que la charge de travail est variable, ce sont d’autres qui cumulent
horaires atypiques et délais de prévenance très courts, qui alternent les périodes
d’intérim et de chômage. Parfois les remplaçants sont aussi CDI ou
fonctionnaires; C’est alors simplement sur les derniers arrivés que se
concentrent les inconvénients, jusqu’à ce que d’autres viennent les remplacer.
Et tout cela au nom de la justice sociale et de l’égalité!
Pour finir, et parce que je suis en train de finir le
remarquable ouvrage de Algan et Cahuc « la société de défiance » (j’y
reviendrais certainement), ce système à plusieurs vitesses participe de la
défiance qui mine notre société.
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