La démocratie n’a pas pour seul but de faire émerger et choisir ceux qui vont gérer les moyens mis en commun au service des intérêts que les citoyens ont voulu rendre collectifs. Elle est aussi une manière de vivre ensemble, de permettre l’équilibre entre les logiques individuelles et collectives, de garantir les libertés individuelles.
S’interroger sur l’efficacité de la démocratie comme je me propose de le faire, c’est donc aussi examiner en quoi le système actuel atteint les objectifs propres à une démocratie, en matière de libertés publiques et d’association des citoyens à la vie collective. N’oublions pas aussi que la démocratie, c’est aussi l’existence de contre pouvoirs qui viennent limiter ceux des dirigeants : pouvoir de l’information, des syndicats et des associations, pouvoir de contestation donné au citoyen avec la liberté de manifester ou celle d’accéder aux documents administratifs etc.
Un de mes collègues qui s’affiche libertarien, estime que l’Etat devrait se contenter de garantir le « droit de» (s’exprimer, voyager etc.) tel qu’il est mis en avant en 1789 avec la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et s’abstenir du « droit à » (la santé, l’éducation etc.) tel qu’il se développe à l’envie depuis 1945. On peut à bon droit juger que la recherche d’une certaine égalité économique fait partie des priorités d’une démocratie, mais j’exclurai ce thème selon l’adage « qui trop embrasse mal étreint ».
J’évoquerai donc les seuls quatre thèmes suivants : celui des libertés publiques et de la justice, celui de l’information, celui de la vie économique et sociale, et enfin celui de la vie politique, à chaque fois sous l’angle de la vie démocratique.
Dans le domaine de la justice, la comparaison avec d’autres pays comme la Grande Bretagne ou les pays scandinaves n’est pas forcément à l’avantage de notre pays. Celui-ci a d’ailleurs plusieurs fois dû modifier ses lois pour respecter les décisions communautaires, l’ami Eolas s’en est fait régulièrement l’écho.
Cependant, et notamment grâce aux condamnations de Bruxelles qui nous ont obligé à modifier des lois liberticides, on peut juger que les libertés publiques auraient plutôt progressé que reculé dans notre pays ces dernières décennies. Pour ce qui est du citoyen lambda, qui n’est pas confronté à la justice au quotidien, l’ouverture des frontières et la liberté de circuler très facilement qui va avec en Europe est un progrès appréciable. Mais dans un domaine d’actualité, on notera que l’homosexualité n’est plus un délit que depuis relativement peu de temps.
Une remarque cependant à propos de la loi Gayssot et de celles qui ont suivi dans le même esprit (par exemple concernant le génocide arménien). Je ne crois pas qu’on ait besoin de lois spéciales pour condamner tel délire (par exemple le négationnisme) plutôt que tel autre. Il existe également une loi qui permet de condamner l’incitation à la haine raciale. On en voit bien l’origine historique, mais pourquoi se limiter à la haine raciale ? Il est vrai que si l’incitation à la haine était condamnée, il y a bien des extrémistes de gauche qui risqueraient de se retrouver en justice ! A commencer par un JL Mélenchon qui a l’insulte facile et dans ce registre joue aussi bien que JM Le Pen avec les limites (encore dernièrement quand il parle des patrons de l’AFEP comme 98 « bons à rien »)
J’ai abordé un peu la question de l’information dans mon article introductif. Les sources d’informations se sont multipliées en nombre, avec une tendance au développement des médias spécialisés au détriment des généralistes. L’arrivée d’Internet a ouvert la porte à un nombre considérable de sources. La critique classique de la gauche reprochant au système d’être faussement ouvert et réellement limité par l’argent ne tient plus : s’il n’est plus possible de financer un journal comme l’Humanité, sa version numérique demande des moyens bien plus faibles.
On peut cependant observer des limites ou des risques au système. J’en citerai trois :
- La qualité de l’information peut être diminuée par sa trop grande quantité. Un ancien présentateur du journal télévisé expliquait que l’on traitait aujourd’hui, dans un même journal d’environ trente minutes, deux fois plus de sujets qu’il y a vingt ans ce qui faisait évidemment deux fois moins de temps par sujet et le risque de les traiter de manière caricaturale. A contrario, se sont développés des programmes de grande qualité, comme ceux que l’on peut voir sur la 5 par exemple, une des rares chaînes qui a vu son audience augmenter
- Il y a de multiples sources d’information, mais la pratique des moteurs de recherche conduit finalement à en privilégier quelques unes, au mieux celles qui apparaissent en première page, au pire les deux ou trois premières de la dite page.
- La spécialisation des médias a certes des avantages et chacun peut trouver un média hyper spécialisé sur son domaine de prédilection (par exemple pour moi, la revue Sciences Humaines ou le site de la DARES). L’inconvénient est que l’on cloisonne aussi les sujets, quand beaucoup, en particulier dans le domaine auquel touche le politique, devraient être réfléchis de manière transverse. Je pense notamment que la séparation entre l’économique et le social est un vrai problème dans notre pays. Problème accentué par le fait que la plupart des journalistes sont de cultures littéraires et que beaucoup semblent fâchés avec les chiffres.
Venons-en à la vie économique et sociale.
La loi a progressivement donné du poids à un contre pouvoir dans ce lieu particulier qui est celui de l’entreprise, avec notamment en 1945 les droits du Comité d’entreprise, en 1968 la reconnaissance de la section syndicale puis en 1982 avec les lois Auroux. Il a donné aux représentants du personnel les moyens de comprendre la situation et de faire des propositions fondées avec le droit à la formation des élus et l’appel à expertise.
Aujourd’hui, force est de constater que les syndicats font l’objet d’une certaine défiance de la part des citoyens et des salariés. Je l’avais signalé à propos du livre de Labbé et Andolfato, qui montraient comment les syndicats finissent parfois par défendre l’intérêt de leurs élus au détriment de ceux des salariés. Le changement de critères de représentativité, fruit d’un accord entre partenaires sociaux puis d’une loi, vise à obliger les syndicats à être plus à l’écoute de leurs mandants et à réduire la défiance que j’exprime plus haut.
Une caractéristique qui est du même ordre que celle de la multiplicité des normes, est la complexité des lois fiscales et sociales et le grand nombre de dérogations, dont l’une des conséquences est que les taux normaux sont élevés. Cette pratique n’est à mon avis pas efficace, mais elle participe à la défiance des citoyens envers le système, l’ensemble des niches donnant le sentiment que certains sont privilégiés et d’autres non
Autre question, celle de la multiplication des normes et lois en tous genres, à propos de tout et de n’importe quoi. Si personne n’est sensé ignorer la loi, encore faut il que celle-ci soit un minimum lisible et ne change pas tous les quatre matins ! Dans le domaine du social qui est le mien, une des choses qui m’a le plus choqué quand je l’ai découverte en travaillant pour la fonction publique, c’est que l’Etat ne s’applique pas à lui-même ce qu’il impose aux entreprises. Un exemple parmi tant d’autres, la loi prévoit un comité d’entreprise pour toutes les entreprises d’au moins 50 salariés, et prévoit que celui-ci se réunit en réunion ordinaire une fois par mois (il peut y avoir des réunions extraordinaires). Dans les établissements publics, (hospitaliers par exemple), la loi prévoit que le CTE (qui est à peu près l’équivalent du CE) se réunit au moins quatre fois par an ! J’avoue avoir le plus grand mal à comprendre ce qui justifie cette différence !
Dernier thème, celui de la vie politique. On peut trouver contestable le système de scrutin majoritaire, celui qui fait par exemple que le FN n’a aujourd’hui que deux députés et que le MODEM n’en a plus un seul. Mais il n’y a qu’à regarder Israël pour comprendre les méfaits d’un système proportionnel.
Plus gênant à mon sens, le fait que les responsables des structures intercommunales ne soient pas élus au suffrage direct, alors que c’est un lieu de décision important. Christian Blanc proposait la fusion des communes pour supprimer un échelon administratif. Cela aurait permis d’éviter cette anomalie démocratique. Mais c’est aussi un bon moyen pour mettre de la démocratie réelle dans le système : quand je lis dernièrement dans la presse le programme du maire de Paris pour lutter contre la pollution automobile, je constate que ce programme, continue ce qui a déjà été commencé les années précédentes, à savoir essayer (le résultat n’est guère convaincant) d’améliorer les conditions de vie des parisiens au dépens des banlieusards (qu’ils soient automobilistes ou usagers de la ligne 13 !) : curieuse démocratie !
J’ai évoqué le cas de l’Europe dans mon article précédent, mais là aussi il y a un problème. La crise de l’euro, qui fait aujourd’hui tant de mal aux pays du Sud, est d’abord le résultat d’une politique non coopérative de l’Allemagne. Il faudrait pour en sortir rapidement une volonté supra nationale quand les égoïsmes nationaux ne font aujourd’hui que repousser la mise en œuvre des solutions efficaces. Il n’est pas prouvé pour autant qu’une élection des dirigeants au suffrage universel donnerait des meilleurs résultats !
Le plus gênant est peut être le double discours des politiques (de tous bords) sur leur rôle et celui de l’Etat. Dans notre pays centralisateur et que j’ai coutume de qualifier de lénino colbertiste, l’Etat est présenté comme le garant de l’égalité entre les citoyens ou entre les territoires. Et les responsables politiques défendent le cumul des mandats en argumentant que le maire doit être aussi député (ou sénateur) pour pouvoir défendre son dossier local à Paris. Tout le monde comprend que défendre son dossier local, c’est obtenir qu’il passe au dessus de la pile, devant celui des autres, donc au détriment de la sacro saine égalité. Et les députés passent leur temps à intervenir pour aider un de leurs électeurs à obtenir un logement ou un emploi, là aussi en passant devant les autres. Triste conception de la politique et de l’égalité !
Les avantages de la démocratie
Je ne voudrais pas terminer cet article sans rappeler pourquoi la démocratie est le plus mauvais des systèmes à l’exception de tous les autres.
L’une des caractéristiques de la démocratie est la révélation répétée de scandales en tous genres. Il faut bien comprendre que les scandales existent aussi ailleurs : la différence est qu’ils ne sont pas révélés, ce qui en pratique fait qu’ils sont probablement plus nombreux. Dernier exemple en date, un site américain a révélé que la famille du premier ministre chinois avait profité de la position de celui-ci pour amasser une fortune estimée à plus d’un milliard de dollars ! la Chine s’est empressée de censurer le site en question !
Pour ce qui est des libertés publiques, il n’est pas nécessaire de regarder longtemps pour comprendre la différence entre une démocratie et une autocratie, aussi éclairée qu’elle soit !
C’est parce que nous sommes en démocratie que nous avons à partir des années 1960 pris des mesures de protection de notre environnement, quand les pays de l’Est massacraient sans limite le leur. C’est parce que nous sommes en démocratie que nous n’avons pas connu les déboires économiques et démographiques de l’URSS. Mais notre démocratie n’a pas empêché que notre taux de croissance baisse d’un point par décennie : il faudra s’interroger dans un prochain article sur les raisons de ce manque d’efficacité !
Un dernier point qui mériterait un long article : la démocratie sert aussi la conduite du changement, en donnant de la légitimité au décideur, d’autant plus si la décision était prévue dans le programme électoral. On y reviendra.
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