Sous ce titre circule sur la Toile un document qui en réalité accumule les arguments contre le nucléaire, arguments concernant la sécurité, le coût du nucléaire, et celui de l’énergie solaire présentée comme très concurrentielle, et enfin les emplois sauvés ou générés par les différentes modalités de production d’énergie.
Pourquoi s’intéresser à un document construit comme étant un faux ou une parodie, évidemment ni daté ni signé, comme il en existe des milliers sur Internet ? Tout simplement parce qu’il circule beaucoup et qu’on y retrouve une bonne partie des arguments développés par ailleurs par les anti nucléaires.
Je pensais ne pas revenir ici sur la question de la sécurité et des conséquences humaines des accidents de Tchernobyl et de Fukushima, mais il faut malgré tout réagir à quelques points dans les quelques pages du document qui évoquent le sujet de la sécurité, car elles montrent tout le mécanisme de mauvaise foi qu’on retrouvera dans les autres pages
Notons que le document évoque pour Tchernobyl les 4000 morts calculés par l’AEIA (calcul à partir de la relation linéaire sans seuil) présentés ici comme l’augmentation de mortalité mais en rajoutant les hypothèses de 30 000 morts ou de 900 000 faites par d’autres, dont on a déjà évoqué le manque de sérieux.
Le document n’hésite pas à faire dire aux pro nucléaires que l’accident de Fukushima n’aurait pu arriver en France puisque le risque de tsunami y est faible, puis à noter qu’en réalité, il y en a eu 34 en 300 ans, comme si l’amplitude d’un tsunami ne jouait pas sur ses effets destructeurs !
Un peu plus loin, il est écrit que 54 des 58 réacteurs français bénéficient du haut niveau de sécurité exigé par les USA puisque qu’ils sont sous brevet américain (Westinghouse comme Three Mile Island). Sous- entendu bien sûr, ces réacteurs peuvent subir le même accident qu’à TMI. On se garde bien entendu de préciser qu’une partie important de ces centrales ont été construites après l’accident de TMI (qui a eu lieu en 1979) et ont donc intégré dès leur construction les leçons de celui-ci, les autres ayant été modifiées après coup.
On passe aussi au sujet des coûts avec un tableau qu’il faut reproduire pour la clarté de l’exposé.
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Coût unitaire |
nombre réacteurs |
Total (Milliards €) |
Total (Milliards €) |
Nouvelles mesures de sécurité post fukushima |
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0.3 |
Prolongation des 45 réacteurs de plus de 30 ans |
0.6 |
45 |
27 |
27 |
Démantèlement des 23 réacteurs de 40 à 50 ans dans 10 ans |
3 |
23 |
69 |
69 |
Renouvellement de ces 23 réacteurs par 13 EPR |
1.75 |
13 |
23 |
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base coût Flamanville |
6 |
13 |
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78 |
Total |
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119 |
174 |
Il est frappant de noter que la première ligne est très largement sous-estimée. A la suite des demandes faites par l’ASN, EDF en a chiffré le coût à 10 milliards d’euros environ. Il est probable que le document a été diffusé avant, mais on peut aussi penser que ses auteurs sont persuadés que les autorités nucléaires essaient d’en faire le moins possible, ce qui manifestement n’est pas ce qui est en train de se passer.
EDF chiffre également à près de 40 milliards d’euros le prolongement des réacteurs. Il est vrai qu’il fait l’hypothèse sur les 58 réacteurs en activité. Cette différence illustre un problème majeur de l’estimation que nous avons là : elle ne précise absolument pas sur quelle durée elle porte, ce qui est pourtant fondamental !
Les lignes suivantes vont montrer tout le savoir-faire de désinformation des auteurs du document. En effet, dans le reste du texte, il est expliqué que le coût du démantèlement doit être estimé à 50% du coût de construction, et non à 15% comme le fait EDF. Mais le document prend le montant de 3 milliards d’euros par centrale à démanteler, chiffre qui sort semble-t-il d’un article de Wikipédia, qui s’appuie sur un discours de Tony Blair estimant le démantèlement de 35 réacteurs britanniques à un total de 105 milliards. Wikipédia donne un lien avec un article du Monde (lien que notre document reproduit) mais cet article n’existe apparemment pas (un peu plus loin dans le document, il y a un autre lien avec Wikipédia cette fois qui n’existe pas). A noter que 3 milliards, c’est 50% du coût probable de l’EPR de Flamanville, EPR qui est plus gros que les réacteurs actuel et plus complexe (pour un meilleur rendement du cycle et une baisse des déchets).
La question du démantèlement a fait l’objet d’un article publié par la Revue Générale Nucléaire en 2004, qui expose le point de vue des pro-nucléaires. On retiendra les tableaux 1 et 2 qui donnent une liste d’installations déjà démantelées, ce qui permet de dire à l’auteur qu’on sait aujourd’hui comment il faut démanteler.
L’auteur défend la position d’EDF pour justifier l’estimation de 15% du coût mais il donne les résultats d’une étude de l’OCDE (voir point 7.1, évaluation internationale) qui donne une estimation supérieure de 42% à celle d’EDF(ce qui donnerait 21% du coût de construction)
La Cour des Comptes est en train de préparer un rapport sur les coûts de démantèlement et les anti nucléaires se réjouissent déjà du fait qu’elle devrait conclure à une sous-estimation par EDF. L’étude citée précédemment note que la plus grande part des coûts est constituée par des salaires dont le niveau en euros réels augmente avec le temps et que par ailleurs la réglementation risque de devenir de plus en plus dure. Sur ce dernier point, l’exemple de la centrale de Brennilis est assez révélateur : le chantier a été repoussé de trois ans parce que la justice a estimé que la consultation des populations environnantes a été insuffisante. Ce retard n’est donc pas dû au fait qu’on ne sache pas démanteler, comme voudraient nous le faire croire les anti nucléaires, mais il est le résultat des freins mis par les écologistes ! Mais le retard induit des coûts supplémentaires (la centrale est gardée 24h/24) même si l’article cité plus haut montre que la préférence des exploitants est à un report de quelques décennies du démantèlement (le temps que les éléments radio actifs à courte vie disparaissent).
Imaginons que la Cour des Comptes demande à EDF de doubler sa provision : on verra plus bas les conséquences financières sur le coût de l’électricité nucléaire. Il est probable que le souci de la Cour portera aussi sur la manière dont les sommes provisionnées pour le démantèlement soient mises à part dans un fonds inaccessible à EDF pour d’autres utilisations.
Enfin, le document estime le coût des réacteurs EPR entre 1.75 (estimation initiale) et 6 milliards d’euros (coût probable pour Flamanville). On peut penser que le coût des réacteurs suivants se situera entre ces deux montants. On pourrait appliquer la loi du BCG qui estimait que le coût industriel est divisé par deux chaque fois que le nombre de produits totaux est multiplié par deux, mais c’est sans doute sous-estimer la part des coûts d’études dans ce cas précis.
Notons au passage que le document prétend qu’il sera nécessaire de remplacer les réacteurs actuels quand ils auront entre 40 et 50 ans. En réalité, les réacteurs ont été construits pour une durée de vie de 30 ans. Depuis cette durée de vie a été prolongée à 40 ans. Les travaux de prolongation prévue par EDF (pour un montant de près de 40 milliards rappelons-le) ont pour but d’amener cette durée de vie à 60 ans !
Le document conclu cette partie par l’affirmation prêtée à ceux qui veulent sauver le nucléaire Total : 119 à 174 MILLIARDS € : l’État doit absolument agir pour éviter que ces coûts aient un impact sur la facture d’électricité.
C’est évidemment ignorer volontairement la manière dont est gérée une comptabilité d’entreprise, celle d’EDF comme les autres : les coûts d’investissements sont intégrés sous la forme d’amortissement répartis sur la durée de vie prévue. Dans le cas d’EDF, des provisions pour démantèlement ont été faites : ces amortissements et ces provisions pour démantèlement sont dans la facture des clients depuis que le nucléaire existe chez EDF !
Regardons donc les comptes de l’entreprise : le groupe EDF publie en effet ses comptes sur son site. Page 6, on lit que le groupe a consacré en 2010 une somme de 7 426 millions d’euros aux amortissements. Mais il s’agit de comptes groupes, qui intègrent des filiales étrangères. Page 9, on peut lire, toujours pour l’ensemble du groupe, une provision pour déconstruction pour un montant de 17 milliards ! La note 30, qui court de la page 68 à la page 76 aborde les Provisions pour aval du cycle nucléaire et déconstruction.
La provision pour l’aval du nucléaire, c’est-à-dire la gestion du combustible usé et le traitement des déchets radioactifs représente fin 2010 un montant de 18 020 millions d’euros, dont 15 360 pour EDF. Les provisions pour déconstruction des centrales et derniers cœurs représentent 13 419 millions pour EDF. En 2010, 1078 millions d’euro ont été affecté à cette provision. Contrairement à ce qui est affirmé dans le document, le coût de lma gestion des déchets est bine payé par EDF et non par l’Etat
Page 63, le chapitre 23 porte sur les amortissements et nous donne en 2010 une dotation nette de 2 644 pour le nucléaire. La valeur brute du parc représente plus de 61 milliards, dont 34 d’amortissement, ce qui fait une valeur nette de 27 milliards.
Le montant des provisions amortissements correspondants aux dépenses envisagées dans notre document est donc de plus de 3.5 milliards d’euros par an. La cinquantaine de milliards d’euros qu’EDF compte dépenser pour prolonger à 60 ans (donc de 20 ans) la vie de son parc et faire les travaux demandés par l’ASN doivent être comparés aux 2.644 milliards d’amortissements annuels : ils n’ont à cette aune rien d’extraordinaire.
Une augmentation de la provision pour démantèlement ne remettrait pas en cause la compétitivité du nucléaire, favorisée par le prix élevé du pétrole. Elle pourrait par contre conduire EDF à demander une augmentation de ses prix que le gouvernement n’a évidemment pas du tout envie d’avoir à accorder.
En fait, la véritable question du coût est celle de l’assurance contre des accidents du type Fukushima dont les montants devraient logiquement être très élevés. Comment estimer ces coûts ? Et comment faire varier les cotisations éventuelles en fonction des actions faites ou non sur la sécurité ? C’est là qu’un organisme supra national serait bien utile !
Mais continuons donc la lecture si instructive de notre document par une comparaison avec le solaire. Là, le raisonnement est très simple : le prix du solaire diminue et celui du nucléaire augmente, donc à un moment, le solaire va devenir moins cher que le nucléaire. J’observe tout de suite que ce raisonnement était déjà diffusé il y a 35 ans…
A l’appui de ce raisonnement, le document produit un beau schéma qu’il reprend en annexe pour être sûr qu’on l’a bien lu. Il faut dire qu’il mérite doublement le détour :
D’abord parce qu’il montre un croisement des deux courbes en 2010. On se demande pourquoi les écologistes ont crié au scandale quand la subvention au solaire a été diminuée : si celui-ci est déjà au même prix que le nucléaire, il ne devrait pas avoir besoin d’être subventionné massivement. Faut-il citer les chiffres qui circulent d’un kw/h solaire près de 4 fois plus cher que le kw/h nucléaire ?
Ensuite parce que les courbes (deux droites en fait) sont tracées sur des coordonnées normales, ce qui fait qu’on aboutit à un coût nul du solaire entre 2020 et 2025 (on suppose qu’en suite il est négatif). Bien entendu, les gens sérieux qui font ce genre d’analyse (pour constater par exemple la loi de diminution des coûts de 20% chaque fois qu’on a doublé le total historique produit) le font avec des coordonnées logarithmiques…
La suite est du même tonneau. Par exemple :
« la production solaire peut être localisée près des lieux de consommation (et éviter les pertes liées au réseau de transport). Le ministère de l’industrie indique qu’un carré de 56 km² couvert de panneaux solaires permettrait de satisfaire 100% des besoins en électricité de la France ! Un carré de 200 km² en plein désert du Ténéré (3800 heures d'ensoleillement /an) suffirait à satisfaire les besoins en énergie électrique de notre terre. »
Pas de transport parce qu’on produit sur place, par exemple tout dans le désert du Ténéré. On se demande si ceux qui ont écrit ce document se sont relus !
Autre argument absolument impayable, surtout après l’affirmation que le coût du solaire a croisé celui du nucléaire en 2010 :
« Déjà, la future centrale solaire à concentration de 1,9 milliards € pour 500 MW de Ouarzazate, au Maroc sera finalement au même prix que l’EPR de 6 milliards € pour 1600 MW de Flamanville »
Trois fois moins chère pour trois fois moins de puissance installée, ok. Encore qu’il s’agit d’un programme en cours de lancement, il faudra voir à la fin combien il aura réellement coûté ! Cela me rappelle le projet Thémis lancé en 1976, qui devait avec le même mode de concentration des rayons solaires produire de l'électricité. Je déouvre qu'après son échec en 1985, le projet a été relancé.
Le problème surtout est que ce n’est pas de la puissance installée que l’on fournit au client, ce sont des kW/ h produits. Or une centrale solaire, même avec un super ensoleillement, ne produit pas la nuit. Et en début de matinée et en fin d’après-midi, elle produit nettement moins que quand le soleil est au zénith. Sans compter que même au Maroc, il doit bien y avoir des moments où le ciel est couvert… En réalité, à puissance installée égale, le solaire produit au moins deux ou trois fois moins que le nucléaire.
Pour finir, l’argument des emplois créés. Le fait qu’il soit mis en avant assez souvent en même temps qu’il est affirmé que les énergies propres ne sont pas chères, montre la faible culture économique des Français. Comment est-il possible que les énergies renouvelables consomment beaucoup d’emplois mais ne soient pas chères ? Les travailleurs seront payés à 50% du SMIC ?
Allez, une dernière pour la route : » il faut produire 4 kWh pour un chauffage électrique de 1 kWh ». D’où cela sort il ? Peut-être d’un constat que les centrales thermique (et un réacteur nucléaire est une centrale thermique, comme celles au fuel ou au gaz) n’a que le rendement d’un cycle de Carnot : un tiers de la chaleur produite au maximum est transformée en électricité (l’EPR aura un rendement supérieur, au prix d’une eau portée à une pression et une température plus élevée). Que nos auteurs se rassurent : quand on dit qu’une centrale nucléaire est de 1300 MW/ h, il s’agit bien de l’électricité produite !
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