Le dépeuplement de la Biélorussie est due aux conséquences de Tchernobyl. C’est du moins ce qui est affirmé sans rire dans une tribune parue dans le Monde daté du 26 avril et signée d’un professeur Biélorusse, de Michèle Rivasi, fondatrice du Criirad et de Daniel Cohn Bendit. Un tel texte ne donne vraiment pas envie que soit organisé un débat sur le nucléaire.
J’ai toujours eu beaucoup d’estime pour Daniel Cohn Bendit, en qui je vois un des rares leaders politiques à avoir une réelle et profonde réflexion sur ce qu’est la démocratie. Je ne suis pas surpris qu’il soit opposé au nucléaire : après tout, il est chez les Verts allemands ou français depuis très longtemps. Mais de là à signer un texte pareil !
Car la tribune qu’il signe avec Michèle Rivasi derrière un nommé Yuri Bandajevski, qui semble avoir tous les titres de scientifique qui vont bien, affirme tranquillement que la hausse de la mortalité en Biélorussie et dans les régions qui entourent Tchernobyl est due à la catastrophe nucléaire et que si la natalité est en chute libre, c’est que les hommes et les femmes sont devenus stériles ou que les embryons ne survivent pas car ils sont anormaux. Ce n’est pas exactement écrit comme cela, mais c’est exactement ce qui sera compris par tous les lecteurs normaux.
L’article va même jusqu’à chiffrer les conséquences de ces évolutions : l’inversion des courbes de croissance démographique pour arriver à un taux de –5.9 % ! Pour donner une idée de ce que signifie un tel taux, appliqué aux 63 millions de français, cela ferait une diminution de population de 3.7 millions par an. En France on compte environ 800 000 naissances et 550 000 décès par an.
Soyons honnêtes, et acceptons que, comme d’habitude, il faille corriger les chiffres publiés dans le Monde et lire ici 5.9 pour mille et non pour cent. Acceptons que les auteurs d’une tribune puisse laisser passer une erreur pareille.
La Biélorussie connaît elle une telle décroissance de la population ? Oui, comme le montre l’INED. Le problème pour la démonstration, est qu’il en est de même de la Russie voisine, alors que Moscou se trouve à environ 700 km mais pas en Pologne, alors que la frontière polonaise se trouve à environ 400 km.
L’INED montre que le pays qui connaît la décroissance démographique la plus forte est la Moldavie (au sud de la Biélorussie) …) avec –0.7% puis avec -.0.6% on trouve l’Ukraine mais aussi la Bulgarie (non limitrophe de la Biélorussie, il y a la Roumanie entre les deux, et le nuage radioactif est parti au départ vers le nord est…). Ensuite il y a la Biélorussie à –0.5%, la Roumanie avec –0.4%, puis la Russie et la République Tchèque avec –0.3%,
C’est la Russie qui a le plus fort taux de mortalité avant l’Ukraine et la Biélorussie, mais les trois pays ont une pyramide des âges très particulière, en raison de l’impact de la seconde guerre mondiale. C’est aussi la Russie qui a l’espérance de vie la plus faible avec 67.5 ans contre 76.2 en Pologne.
Il n’y a pas besoin d’aller chercher une explication dans les catastrophes nucléaires pour noter une surmortalité chez les hommes russes (pas chez les femmes, seraient elles protégées de la radio activité ?), liée en particulier à la violence et à l’alcool, mais aussi à la déliquescence du système de soin. Nulle rupture des courbes de mortalité ou d’espérance de vie liée à Tchernobyl, mais une diminution des gains d’espérance de vie à partir des années 60, aboutissant à une baisse à partir des années 70 avec deux ruptures, quand Gorbatchev a interdit l’alcool (un gain immédiat de 3 ans !) puis quand cette mesure a cessé de faire effet peu de temps après.
On peut noter la même chose pour la natalité, qui s’est effondrée dans tout l’ancien bloc de l’Est, notamment en Estonie où elle avoisine les 1 enfant par femme, comme elle a décrue fortement en Allemagne. Faut il aussi voir dans la décroissance allemande qui se prépare une conséquence de Tchernobyl ? Mais alors, pourquoi ne pas en dire autant de l’Italie et de l’Espagne, l’exception française ne s’expliquant alors que par le fait que le nuage de Tchernobyl se serait finalement bien arrêté à nos frontières ?
Je ne doute pas que Yuri Bandajevski, qui se présente comme recteur de l’université de médecine de Gomel mais qui ne l’est plus (il a fait 4 ans de prison car semble t-il ses opinions ont gêné son gouvernement), a pu trouver dans son service d’anato-pathologie des cas de mal formation embryonnaire, de cancers ou de maladies cardio vasculaires. Mais pour en accuser Tchernobyl, il faudrait démontrer que ces cas sont en augmentation, et qu’une éventuelle augmentation des cancers n’est pas la simple conséquence d’une meilleure prévention ou d’une augmentation de la consommation de tabac ou d’alcool. N’oublions pas que si on regarde la carte de l’incidence du cancer selon les régions françaises, on ne trouve pas les variations de la radio activité naturelle (bien plus importante que les retombées de Tchernobyl) mais la carte de la consommation d’alcool !
Au début de l’article, les auteurs affirment froidement que « pour la communauté scientifique aucun doute ne subsiste quant au lien entre la catastrophe et l’inversion des courbes démographiques ». Mais page 4 du même numéro du Monde, un article à propos du professeur Bandajevski nous apprend qu’il affirme avoir prouvé les effets nocifs de l’absorption quotidienne de faibles doses de césium 137 ce qui est « contesté toutefois par la communauté scientifique internationale ».
Pour ce professeur les choses sont simples
Des femmes stériles ? Tchernobyl, voyons !
Des maladies cardiaques ? Tchernobyl évidemment !
Des cancers ? Tchernobyl on vous dit !
Comment les deux députés européens français peuvent ils cautionner par leur signature de tels dénis de réalité ?
Mais on n’est là que dans le début de la tribune, celle qui permet d’installer la peur, pour justifier tout ce qui pourra être écrit ensuite. Qui n’est d’ailleurs pas si méchant au regard de l’énormité qui est affichée en début d’article.
Après un couplet sur l’importance d’une information transparente sur le nucléaire (bonne idée à s’auto appliquer Daniel !), vient le couplet pour expliquer qu’on peut se passer du nucléaire, qu’il existe des alternatives.
Il faut ici citer un paragraphe en entier, pour saisir tout le sel des « démonstrations » écologistes.
« Une sortie qui n’est plus simplement « un rêve d’illuminés » mais une option politique crédible pour certains gouvernements dont l’Allemagne qui, rappelons le, figurent en tête des économies mondiales loin devant la France… »
On va encore faire l’hypothèse que le pluriel de « figurent » est une erreur, le sujet auquel renvoie le qui étant l’Allemagne et non « certains gouvernements ». pour mémoire, un gouvernement n’est pas une économie.
L’Allemagne ne se trouve économiquement loin devant la France que parce que ce pays est plus peuplé : les PIB par habitant sont sensiblement identiques, l’argument est donc sans valeur. De plus, l’argument est absurde : on ne peut justifier la politique à réaliser dans le futur par les bons résultats du passé !
Mais l’exemple de l’Allemagne est intéressant pour le choix énergétique. Oui, ce pays prouve qu’on peut se passer de nucléaire dès maintenant : il suffit d’utiliser du charbon. Mais pourquoi ne pas dire que l’Allemagne produit 2 à 3 fois plus de CO2 par habitant que notre pays, du fait de ce choix du charbon d’un coté et du nucléaire de l’autre ? Et que donc le désordre climatique est pour partie imputable à la pression des écologistes allemands contre le nucléaire ?
Alors, un débat sur le nucléaire ? Si c’est pour voir diffuser des textes de cette nature, cela ne donne vraiment pas envie !
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