A la suite de l’agression d’un contrôleur de la SNCF par un déséquilibré, de nombreux agents ont exercé « leur droit de retrait », entraînant retards et surtout annulations des transports collectifs, au détriment d’usagers coincés dans leur déplacement.
Un homme de 54 ans, agent de la SNCF, a été poignardé et grièvement blessé par un passager qui avait été contrôlé comme sans titre de transport. Les deux contrôleurs présents ont fait appel à la sécurité ferroviaire (pour qu’elle vienne « cueillir » le passager à la descente du train) puis ont été alertés par les cris de l’individu qui était en train de se tailler les veines. Un contrôleur s’est alors approché et c’est alors qu’il a été frappé de huit coups de couteaux.
L’événement a produit une grande émotion parmi les contrôleurs qui ont jeudi et vendredi exercé leur « droit de retrait », avant une reprise normale du trafic. Certains syndicats ont demandé des moyens supplémentaires comme le montre cette déclaration tirée de la Dépêche du Midi : « Nous avons demandé qu'il y ait deux contrôleurs dans tous les trains, trois dans ceux qui circulent après 21 heures. Nous avons aussi demandé un abandon total des EAS », a dit Jean Veltz, délégué du personnel au CHSCT (Sud-Rail) »
Selon Wikipédia, le droit de retrait est le droit pour le salarié de se retirer d'une situation de travail présentant un « danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». Il est clair que l’agression dans un train ne créait pas de « danger grave et imminent » dans les autres trains, et que donc la réaction des contrôleurs n’était pas juridiquement justifiée. Une fois de plus, les agents de la SNCF ont abusé de leur position dans le système de transports, aux dépens de milliers d’usagers.
La position syndicale citée plus haut est un moyen peu honnête de profiter de l’événement : les contrôleurs étaient deux dans la situation incriminée, et de toutes manières, ils auraient été à quatre que cela ne garantissait absolument pas un autre déroulement.
Mais au-delà de la situation sociale propre à la SNCF, cet événement est assez révélateur de difficultés rencontrées par notre société.
D’abord, l’évolution vers toujours plus de services et vers des organisations plus transverses se traduit par une importance toujours accrue des relations professionnelles, avec des interlocuteurs de plus en plus exigeants. L’enfer c’est les autres, rappelait à la suite de Jean Paul Sartre François Dupuy, dans son livre « la fatigue des élites », où il montrait la montée des exigences subies par les cadres. Ici, ce sont tous ceux qui sont en contact avec les clients qui sont confrontés à un enfer potentiel. Il n’y a guère de solutions simples pour que ces relations se passent bien. J’y reviendrais peut être à propos de l’attitude possible face aux jeunes délinquants.
Ensuite, la question de la montée supposée de la violence physique. Les statistiques policières montrent une montée de la violence faite aux personnes, quand les autres crimes ou délits sont en baisse. Le défaut de ce genre de statistiques est connu : avant de montrer la réalité, elles montrent la manière dont elles sont enregistrées. Si l’on doit se garder d’en conclure avec certitude que les violences physiques augmentent, on peut certainement en déduire qu’elles sont de moins en moins acceptées. Les médias nous renvoient eux aussi une image de multiplications des violences, un fait divers ayant créé de l’émotion suscitant dans la foulée la révélation de faits divers du même ordre, tout cela contribuant à donner l’impression d’une société de plus en plus dangereuse.
Or, les statistiques sur les homicides, par nature les plus fiables, nous renvoient une image inverse : le nombre d’homicides a tendance à décroitre, et il n’avait jamais été aussi bas qu’en 2009. On peut bien sûr distinguer les violences des homicides, mais cette baisse doit faire réfléchir.
Il me semble qu’il y a une seule explication possible à ces réalités contradictoire : dans notre société, la violence est de moins en moins acceptée. Je considère cela plutôt comme un progrès, car cela résulte d’une société apaisée, qui donne de plus en plus d’importance à la vie et à son bon déroulement. Encore que certains discours sur l’avortement ou sur le droit à l’euthanasie renvoient une image où le confort égoïste passe avant la vie, quand c’est celle des autres. On pourrait en dire autant par rapport aux radars sur la route.
La révolution démographique, qui nous a fait passer d’une mortalité forte et d’une natalité forte à une mortalité et une natalité faibles, a donné à la vie, et particulièrement celle des enfants, une importance qu’elle n’avait pas hier. En lisant les articles du Monde sur les combats à Syrte, on est frappé par le peu de cas que certains combattants semblent donner à leur propre vie. Dans le même temps, on soulève en France la question du suicide des enfants, alors que cela représente un nombre de cas extrêmement faible.
La société dans son ensemble, refuse la violence et a une demande renforcée de sécurité, tant mieux. Cependant, ce n’est pas par des discours vengeurs (voire de haine) ou la multiplication de lois sécuritaires qu’on y répondra efficacement. Sur ce point, la posture du gouvernement actuel et surtout celle du Président de la République sont peut-être électoralement payantes, mais vont à l’encontre du but poursuivi : on ne répondra pas à la demande de sécurité d’une société apaisée par des pratiques qui dressent les uns contre les autres. Je ne plaide pas ici pour un laxisme de la justice, mais pour des comportements médiatiques de tous qui soient conformes à une volonté de faire société. A moins d’imaginer que nous ayons encore besoin d’un bouc émissaire pour rejeter la violence qui est en nous !
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