La grève des magistrats résonne pour une partie de l’opinion publique comme un refus d’assumer leurs responsabilités et un réflexe corporatiste. Leur réaction aux propos du président montrent qu’il n’ont pas compris la situation sociale du pays ni les principes de la communication de crise
Il existe dans la population française, ou au moins une partie importante d’entre elle, une demande d’amélioration de la sécurité, que les trois principaux candidats à la présidentielle avaient bien compris (souvenons nous de Bayrou en 2002 gagnant d’un seul coup 2 points dans les sondages pour avoir giflé un gamin qui tentait de lui faire les poches).
Cette demande procède d’une part d’un contexte plus large d’amélioration du confort dans tous les domaines, d’autre part d’un attachement plus fort à la vie dans une société où la mortalité infantile a été réduite très fortement, et enfin de la médiatisation à outrance des événements sanglants.
Cette sur médiatisation explique que les français n’imaginent pas que les homicides soient en baisse chez nous. Mais de toute manière, ils ne se contentent pas d’une stabilisation de la délinquance, ils veulent qu’elle baisse, comme ils ont voulu à une époque que les accidents de la route baissent.
La sur médiatisation conduit aussi à une importance très exagérée donnée à certains faits plus qu’à d’autres, en particulier ceux liés à la délinquance sexuelle. On lit partout que l’affaire qui a conduit au mouvement actuel des magistrats est atroce. En réalité, elle ne l’est pas plus que la mort d’une femme étranglée par son mari ou celle de nombreux tués dans des accidents, de voiture ou autre. N’étant pas psychanalyste, je me garderais de chercher à expliquer cette focalisation.
Deuxième facteur social majeur : la défiance envers les élites. A mon avis, on passe à coté d’une question majeure dans cette affaire si on ne prend pas en compte ce que disent Algan et Cahuc dans « la société de défiance « (y a-t-il parmi mes lecteurs des personnes qui n’ont pas encore compris qu’il était indispensable de le lire ? si c’est le cas, ce n’est pourtant pas faute de ma part de le répéter !).
Cette défiance s’accroît régulièrement, et il me semble que la crise économique dont nous sortons à peine l’a exacerbée. Elle atteint fortement les politiques (qui il est vrai font tout pour donner les verges pour se faire battre). Mais elle atteint aussi d’autres représentants du pouvoir, et en particulier les magistrats.
Si le régime extrêmement favorable qu’ils se sont attribués est très souvent reproché aux parlementaires, y compris sur des sujets qui n’ont rien à voir, les magistrats, déjà soupçonnés de laxisme depuis longtemps, sont associés dans l’esprit des français à une action qui exaspère beaucoup de français : la lutte contre les excès de vitesse et les sanctions pour ceux qui sont pris à enfreindre les règles du code de la route.
Il n’y a rien de raisonnable à reprocher aux magistrats de ne pas savoir empêcher une fois par an un assassinat commis par un délinquant sexuel libéré tout en leur reprochant d’appliquer une politique de répression qui sauve tous les ans des milliers de vie. Mais qui a dit que les humains étaient raisonnables ? Et encore une fois, les médis donnent une vision déformée de la réalité.
Dans son mouvement de grève, la magistrature donne le sentiment de ne pas assumer ses responsabilités. Or justement, les français ont le sentiment que les élites profitent des avantages de leur position mais ne livrent pas les services correspondants. Qu’importe si ce n’est pas vrai : c’est ce qui est ressenti !
Le mouvement est également vécu comme corporatisme, comme l’expression d’une corporation qui s’enferme dans sa logique et réclame plus de moyens. Or le corporatisme est un élément fondateur de la société de défiance
En réclamant plus de moyens, les magistrats pensent demander justice. Il est probable qu’ils en obtiendront : il faudra bien que le Garde des Sceaux fasse un geste pour sortir de la crise. Mais dans l’affaire, les magistrats auront perdu la bataille de l’opinion, ce qui pour l’avenir est beaucoup plus grave pour eux.
Certes, certains fonctionnaires qui vivent aussi une restriction de leurs moyens pourront se sentir solidaires. Mais l’immense majorité des citoyens, pour qui la pression économie dans leur travail ou dans leur ménage est une réalité ancienne, risquent de ne pas voir de spécificité à un mouvement dont le discours est très auto centré (pour ne pas dire beaucoup trop auto centré)
Dadouche publie sur la blog d’Eolas un excellent billet qui raconte simplement ce à quoi les juges sont confrontés au quotidien. Les réactions de certains commentateurs montrent cependant la difficulté à être entendu sur ces thèmes. Et là aussi, les magistrats communiquent mal.
A un commentateur qui les juge laxistes et qui leur reproche de ne pas donner systématiquement la peine maximale, ils essaient d’expliquer maladroitement que la rédemption existe beaucoup plus souvent qu’on ne le croit. Réponse inadaptée dans le contexte. La bonne réponse est : si la loi prévoit que tel fait mérite entre 2 et 5 ans de prison, bien faire mon travail c’est donner selon les cas 2, 3, 4 ou 5 ans de prison. Si la société veut que je mettre toujours 5 ans, elle doit le décider par la plume du législateur. En attendant, je ne suis pas laxiste, j’applique la loi que la société me demande d’appliquer
Dans une communication de crise, l’important n’est pas de faire part de son sentiment d’injustice contre les attaques que l’on subit. Les entreprises l’ont maintenant compris. Ce qu’il faut, c’est jouer la transparence et la modestie. Or la magistrature donne le sentiment de défendre son honneur et de refuser la remise en cause. C’est compréhensible mais pas efficace.
Comme je l’ai écrit dans un commentaire chez Eolas, la bonne tactique de communication est tout autre. Les magistrats devraient prendre l’opinion a témoin, non pas pour se justifier, mais pour proposer de discuter. Vous trouvez que ce qui se passe n’est pas satisfaisant ? Nous non plus ! Alors discutons en , nous écouterons vos doléances et nous essaierons de vous montrer comment nous essayons de faire pour assurer la sécurité de notre société.
Pas facile, non. Mais à terme à mon avis, beaucoup plus efficace que l’attitude actuelle des magistrats ; et on aura compris que je ne leur fait pas ici de reproche sur le fond.
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