Les fonctionnaires qui n’ont pas réussi à empêcher un prisonnier libéré de commettre un crime horrible doivent ils en rendre compte? Au-delà des gesticulations du pouvoir, peut on parler de faute et doit on attendre que les fonctionnaires donnent des comptes de leur action ?
Cela fait longtemps que Nicolas Sarkozy exprime l’idée que les magistrats ne font pas leur travail et que c’est par leur faute que des criminels libérés récidivent. Ce qu’on peut lire sur certains forums montre que cet avis est largement partagé par une partie de la population, qui ne semble pas comprendre que les magistrats ne font qu’appliquer une loi votée par les politiques.
Mais au-delà de la polémique engendrée par les propos du président, qui aura réussi à provoquer une grève de la magistrature, événement pourtant bien rare, la question de la responsabilité des politiques et des fonctionnaires mérite d’être posée
Passons rapidement sur les politiques. Dans notre pays, un Eric Woerth et une Michelle Alliot Marie ne démissionnent pas, après des faits cent ou mille fois plus graves que ceux qui font immédiatement partir un ministre scandinave : on a la démocratie que l’on peut. Il est vrai que des citoyens qui réélisent des Mellick ou des Balkany après qu’ils aient été condamnés par la justice ne peuvent se plaindre de ces pratiques .
Passons également sur le cas particulier des magistrats, dont la responsabilité est clairement encadrée par les textes : laissons au spécialiste, Maître Eolas lui-même, le soin de tout nous expliquer sur la question
Il est courant d’entendre que le statut des fonctionnaires, et en particulier la sécurité de l’emploi et la garantie des modes d’avancement, les protège de toute pression du politique allant dans le sens d’intérêt particulier, quand les fonctionnaires sont au service de l’intérêt général.
Le récent livre blanc sur l’avenir de la fonction publique prend un nombre conséquent de pages (de la page 50 à la page 83) pour étudier les valeurs de la fonction publique. Il montre en particulier l’importance donnée de plus en plus par les fonctionnaires eux-mêmes, aux notions d’efficacité et de responsabilité. Il faudrait citer ici une grande partie du texte ; On se contentera des deux extraits suivants :
L’efficacité est aussi une exigence légitime des citoyens vis-à-vis de leurs services publics et de leur fonction publique. Elle implique, de la part de l’administration, un effort de communication tendant à faire connaître aux intéressés les objectifs d’une politique publique donnée, à en exposer les motivations et à rendre compte honnêtement des résultats obtenus, conformément au principe posé par l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
La responsabilité manifeste la nécessaire implication personnelle de tout agent public pour rendre effectives les valeurs au nom desquelles il doit agir. La responsabilité du fonctionnaire est certes une règle de droit abondamment illustrée depuis plus d’un siècle par la jurisprudence administrative comme judiciaire et inscrite dans le statut depuis 1946 mais elle doit, en tant que valeur, prendre une signification plus générale et plus forte. Elle constitue, en effet, une nécessité qui impose à tout fonctionnaire de s’acquitter de son engagement au service de l’intérêt général. Elle implique, pour celui-ci, de rendre compte de son action tant à l’autorité politique qu’aux citoyens.
Il est difficile de ne pas penser en lisant ces lignes que l’insistance qui y est mise est aussi le reflet du fait qu’on est pour l’instant loin du compte. D’une part en effet, l’efficacité laisse souvent à désirer et d’autre part l’idée de devoir rendre compte n’est pas universellement partagée. Mais le Livre Blanc insiste sur ces points pour développer ensuite des propositions qui les soutiennent, en particulier sur l’évaluation
Il y a quelques jours, un de mes clients, responsable d’un service au sein d’une administration, me faisait part de ses soucis. Avec la RGPP, la pression exercée sur l’une de ses équipes, d’environ 30 personnes, augmentait. Les résultats attendus étaient pour l’instant atteints, mais au prix d’un engagement usant pour les responsables de l’équipe, dont les horaires de travail dépassaient quotidiennement les 10 heures. Dans le même temps, il observait que certains des membres de l’équipe, et notamment des cadres intermédiaires, avaient un apport plus que limité. En bref ils se la coulaient douce. Certains, au même poste depuis 15, 20 ans ou davantage, se caractérisaient aussi par leur incompétence, ce qui pour les cadres intermédiaires, les rendaient incapables d’aider leurs subordonnés.
Il se trouve que c’est une des choses qui m’a le plus vite frappé quand j’ai commencé à travailler avec la fonction publique : le fait de voir se côtoyer, parfois dans la même fonction et dans le même bureau, des agents travaillant énormément et d’autres en faisant le moins possible, chose que je n’avais jamais vu, du moins à ce point, dans le secteur privé. Et l’observateur extérieur de s’étonner que ceux qui travaillent beaucoup ne réagissent pas à ce qu’il faut bien nommer la fainéantise de certains autres
Au fil du temps, l’explication que j’ai trouvée à ce phénomène tient à l’absence de management et d’objectifs durables et portés par la hiérarchie. Il faut dire qu’un responsable qui veut appliquer ce qu’on lui demande mais qui se fait désavouer par ceux qui le lui ont demandé chaque fois qu’un syndicaliste tousse un peu fini par baisser les bras. Et qu’on rencontre de nombreux exemples où la meilleur façon de se débarrasser d’un responsable incompétent est de le promouvoir pour qu’il aille sévir ailleurs.
Dans un tel contexte, le fonctionnaire qui veut survivre dans le système ne le fait qu’en se fixant lui même ses propres objectifs. Si l’instituteur de CP se donne comme objectif prioritaire que tous les enfants qui lui sont confiés sachent lire et écrire avant la fin de l’année, comme je le vois faire à une de mes nièces, tant mieux ; mais si son objectif est d’organiser ses horaires pour faciliter sa progression au tennis, c’est pareil.
Sans aller jusque là, j’ai vu une de mes belle sœurs s’obstiner à vouloir enseigner des éléments qui avaient disparu du programme mais qu’elle considérait elle comme indispensables, quand d’après elle les inspecteurs de sa discipline n’y connaissaient rien, comme on l’imagine. Et il ne s’agissait pas ici d’une personne qui ne travaillait pas, au contraire. Et ce genre de cas est fréquent : qu’on en juge par tous ceux qui se croient les robins des bois du service public parce qu’ils refusent d’appliquer des textes qu’ils jugent dans leur grand sagesse mauvais (par exemple ceux prévoyant deux heures de soutien individuel en primaire).
Heureusement la plupart des fonctionnaires ont de la conscience professionnelle et cherchent à bien faire. Et une des raisons principales à cette conscience professionnelle est leur autonomie, le fait qu’ils se fixent leurs propres objectifs. Et pourtant, cela revient de fait à refuser de rendre compte.Il apparaît alors très difficile de faire évoluer les pratiques vers des objectifs communs sans casser les ressorts de la motivation ;
Les réformes actuelles de gestion des fonctionnaires vont dans le sens du développement d’une réelle évaluation (ce qui est une bonne chose mais qui n’est pas gagné) et d’une individualisation des rémunérations autour de primes variables liées au résultat
J’ai toujours été très sceptique sur les éléments variables individuels de rémunération, qui me paraissent avoir beaucoup trop d’effets pervers. Il me semble que dans le cas présent, cette idée est une erreur majeure ;
Le problème de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique n’est en effet pas de renforcer l’individualisme, hélas déjà trop présent, mais au contraire de renforcer le collectif autour d’objectifs partagés. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit à mon client : seule la pression collective peut amener ceux qui ne font aujourd’hui rien ou pas grand-chose à changer leurs pratiques.
Mais évidemment, je ne cherche pas ici des coupables pour détourner les citoyens électeurs des responsabilités de leurs élus et de l’inanité de promesses électorales, je cherche comment mieux faire fonctionner le service public !
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