La menace d’un proviseur de lycée de ne pas inscrire un élève déjà présent l’année précédente parce qu’il avait contribué à bloquer le lycée a donné lieu à une controverse entre certains de mes camarades de Lieu Commun, Authueil défendant la suprématie du politique et Jules et Eolas celle du droit. N’étant ni assistant parlementaire ni juriste, je vais y aller à mon tour de mon grain de sel (avec retard, week-end prolongé oblige).
Le bon sens semble donner raison à Authueil : laisser un jeune qui a grandement perturbé la scolarité de ses camarades revenir dans le même lycée sans prendre de précautions ne serait pas responsable de la part du directeur de l’établissement scolaire. Les parents des autres élèves ne peuvent donc que se féliciter de cette action (le proviseur veut exiger du lycéen concerné qu’il signe le règlement intérieur avant d’accepter son inscription).
Et pourtant, les arguments avancés font tiquer : invoquer la suprématie du politique sur le droit ne laisse pas d’intriguer ceux qui pensent que nous sommes en démocratie et qu’une démocratie repose sur un Etat de Droit.
C’est que le proviseur concerné a fait fi de la procédure normale. S’il avait voulu sanctionner le lycéen pour son action illégale (contribuer puissamment à bloquer le lycée et ainsi priver les autres élèves de leur droit à l’enseignement), il lui suffisait de réunir la commission de discipline de son établissement. La raison pour laquelle il ne l’a pas fait à l’époque est simple : il ne voulait pas (ou les autorités supérieures ne voulaient pas) prendre le risque de relancer l’agitation qui venait de se calmer.
Le risque d’agitation s’étant considérablement affaibli, le proviseur veut en profiter pour reprendre la main. Il est possible qu’il ne lui soit plus possible de réunir le conseil de discipline pour les faits antérieurs. Alors il abuse tranquillement de son autorité pour une initiative qu’Authueil juge politiquement justifiée.
Il faut ici rappeler ce que définit le droit sur de tels sujets, que ce soit dans la société, dans l’entreprise (droit social) ou dans un établissement scolaire : d’une part la procédure qui permet un jugement équitable, d’autre part la fourchette des sanctions possibles en fonction des faits.
La procédure de jugement a généralement pour but
d’obliger à faire la lumière et à prouver les faits qui sont reprochés,
de donner les moyens à celui qui est accusé de savoir ce dont on l’accuse et de pouvoir se défendre
de donner le plus de chances possibles que le jugement soit impartial
Dans le cas présent, la composition plurielle de la commission de discipline est aussi là pour prévenir les risques d’abus de pouvoir de la part du proviseur, juge et partie dans l’affaire
L’affaire d’Outreau est là pour rappeler que si on n’y prend garde des innocents peuvent être injustement condamnés.
Beaucoup plus loin dans le temps, l’affaire Calas avait été l’occasion pour Voltaire de remettre en cause un jugement qui paraissait marqué par la partialité à cause de la foi protestante de l’accusé.
Il me semble d’ailleurs qu’on trouve dans cette affaire les deux conceptions portées par Rousseau d’un coté et Voltaire de l’autre.
Vouloir la suprématie du politique, c’est aller dans le sens de ceux qui imaginent deux camps opposés, celui des victimes et des bons d’un coté, celui des coupables de l’autre. Si on pense à la suite de Rousseau que l’homme est bon mais que c’est la société qui le pervertit, il est facile de penser que ce sont les autres qui sont mauvais et qui attentent à la pureté de nos chers rejetons, qu’il est donc légitime de s’en débarrasser. A la suite de Jean Jacques, on peut aussi concevoir la démocratie comme le pouvoir d’un peuple »un », qui n’a de comptes à rendre à personne et dont la volonté passe avant les contraintes posées par les juristes. On ne sera pas surpris que les acteurs de la Terreur puis ceux de toutes les dictatures marxistes soient en réalité des disciples de l’habitant d’Ermenonville
Le chrétien qui pense que chacun a en lui à la fois la tentation du bien et celle du mal ne peut légitimement suivre une telle pente. Et Voltaire s’y refusait lui aussi, défendant la libre expression de ceux qui ne pensaient pas comme lui.
Si on refuse la démocratie populaire et qu’on défend la démocratie pluraliste, on comprendra que la démocratie n’est pas d’abord un système qui donne le pouvoir à la majorité, mais un système qui défend les minorités et met en place à cet effet des contre pouvoirs et la primauté du droit.
On peut penser qu’il est grave qu’une personne travaillant pour l’Assemblée Nationale refuse de le comprendre. On peut aussi constater que Jules Eolas et moi même sont des libéraux au sens anglo saxon du terme alors qu’Authueil, est fidèle à ce que j’appelle la tradition colberto léniniste si forte dans notre pays qui consiste à attendre de l’Etat qu’il règle tous les problèmes.
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