Les Français et leurs gouvernements n’ayant pas voulu, ou trop peu, repousser l’âge de la retraite, le besoin d’équilibrer les régimes se traduit déjà par une baisse du montant des pensions, qui ne suivent pas l’inflation. La négociation en cours sur les régimes de retraite complémentaires AGIRC et ARCCO voit le patronat tenter de pousser à un report de fait de l’âge de départ.
Du fait de l’augmentation de l’espérance de vie, il y a, à âge égal de départ en retraite, de plus en plus de retraités pensionnés par actifs cotisants. Pour des raisons de forme historique de la pyramide des âges françaises (faible natalité entre 1930 environ et 1944), le phénomène a été relativement masqué jusque vers 2005, mais il joue à plein depuis.
Le maintien de l’équilibre financier des caisses de retraite ne peut se faire qu’en jouant sur l’un ou plusieurs des trois leviers que sont l’âge de départ, le montant des cotisations (quelle que soit la forme que prennent celles-ci) ou le montant des pensions.
Les différents efforts faits par les gouvernements de droite successifs (la gauche a toujours refusé d’affronter sérieusement le sujet) depuis la réforme Balladur en 1993, n’ont que marginalement contribué à reporter l’âge de départ moyen. Une première conséquence est que les pensions n’ont plus suivi l’inflation depuis une dizaine d’années.
L’AGIRC et l’ARCCO pilotent la masse de leurs finances à travers ce que ces caisses appellent le prix du point et la valeur du point.
Le prix du point correspond au montant des versements de cotisations qu’il faut faire pour acquérir des points sur les comptes de chaque salarié. Ce prix devrait théoriquement monter au rythme de l’inflation.
La valeur du point sert à calculer le montant des pensions pour les retraités, celles-ci étant calculées en multipliant le nombre de points acquis par la valeur du point (le total peut être corrigé, par exemple en donnant une majoration à ceux ou celles qui ont élevé trois enfants).
Si la valeur du point suit l’inflation, le montant des pensions reste constant en euros constants. Mais dans le même temps les salaires augmentent plus vite que l’inflation : sur longue durée le salaire individuel devrait augmenter à peu près comme le PIB par habitant. Pendant les trente glorieuses, le PIB par habitant augmentait de plus de 3 % par an, alors que depuis 30 ans, il peine à augmenter d’1% par an. Même avec cette augmentation faible au regard de la référence des trente glorieuses, un retraité dont la pension serait stable en euros constant verrait baisser le ratio entre son revenu et le revenu moyen des actifs.
Cette stabilité absolue et cette baisse relative ont été actées dans la réforme Balladur et dans toutes les simulations que produit le COR (conseil d’orientation des retraites. En s’appuyant sur ces simulations, les syndicats, y compris les plus contestataires sur le sujet, prennent acte que les plus âgés des pensionnés ont un revenu plus faible que leurs cadets.
Mais on observe aujourd’hui que la valeur du point ne suit plus l’inflation. Entre 2002 et 2014,la valeur du point au premier avril est passée de 1.053 à 1.2513 pour l’ARCCO et de 0.3737 à 0.4352 pour l’AGIRC. Pour suivre l’inflation, ces valeurs auraient dû passer respectivement à 1.2956 et 0.4598. Les pensionnés, non seulement n’ont pas vu leurs retraite augmenter au rythme du PIB (donc suivre l’évolution des salaires) mais l’ont vu baisser en euros constants, de 4 % environ sur la période.
Les caisses AGIRC et ARCCO ont accumulé des réserves pendant les périodes favorables, mais depuis 2009 ces caisses voient leurs réserves fondre, au point qu’elles devraient avoir disparu dans 2 ou 3 ans pour la première et dans 7 à 10 ans pour la seconde. La crise a accentué le phénomène, mais celui-ci est inéluctable si on ne change pas les règles. Rappelons qu’au moins 800 000 Français atteignent tous les ans l’âge de 60 ans alors qu’il y a environ 550 000 décès chaque année dans notre pays. Le nombre de plus de 60 ans augmente donc rapidement, alors que la population des 20 / 60 ans, celle en âge de cotiser est stable (et même en légère baisse).
En 2013, les recettes de l’ARCCO et de l’AGIRC ont été respectivement de 18.5 et 40 milliards d’euros, soit environ 1 et 2 % du PIB de la France. Avant résultats financiers (non renouvelables), leurs déficits respectifs étaient de 3 et 1.4 milliards, soit pour chacun environ 7 % de leurs recettes.
Les négociateurs patronaux et syndicaux cherchent donc des solutions pour résorber les déficits avant que les réserves aient totalement fondu. La valeur du point a déjà été bloquée, mais en période d’inflation quasi nulle, cette mesure n’a que peu d’impact. La solution proposée par le Medef consiste à réduire le niveau des pensions pendant les premières années de la retraite, d’un pourcentage d’autant plus élevé que le départ en retraite s’est fait jeune, l’objectif affiché étant d’inciter les seniors à retarder de quelques années leur départ.
Pour illustrer cette idée, prenons le cas d’une personne ayant ses 41 années de cotisation et 62 ans, qui aurait un nombre de point lui permettant de toucher 1000 € par mois en retraite. Si cette personne décale d’un an son départ et que son salaire est dans la moyenne de celui qu’elle a touché sur sa carrière, elle va augmenter son nombre de points de telle manière que sa pension sera non plus de 1000 € par mois mais de 1025 €. Par ailleurs les cotisations versées pendant son année de travail vont permettre à la caisse de verser les 25 € supplémentaires pendant tout le reste de sa vie, soit pour une durée de retraite de 20 ans en moyenne, environ 6000 €.
Mais cette équilibre entre pension versée et cotisations n’est qu’apparent : pendant un an, les caisses n’auront pas eu à verser 1000 € par mois et elles auront donc économisé 12 000 €, deux fois plus que le montant reçu des cotisations ou que la conséquence des points supplémentaires générés. Le décalage des dates de départ est bien favorable à la résorption des déficits des caisses.
Lors de la dernière séance de négociation, le Medef a proposé que les pensions complémentaires subissent un abattement temporaire et dégressif : en cas de départ à 62 ans, de 40 % la première année, 30 % à 63 ans, 18 % à 64 ans, 2 % à 65 ans, 1 % à 66 ans. Implicitement, le Medef propose ici un départ en retraite à 65 ans. Le Medef propose aussi de désindexer les pensions complémentaires de 2016 à 2018 (avec une revalorisation de 1,5 point inférieure à l'inflation, sans pouvoir être négative) et de repousser au 1er novembre la revalorisation annuelle. Il demande en outre une hausse du prix du point.
Le Medef a durcit ses positions depuis la réunion précédente, dans le cadre d’un bras de fer avec le gouvernement sur un autre sujet, le compte pénibilité. Il faudra bien trouver un compromis plus raisonnable.
En attendant, faute d’avoir accepté de repousser l’âge de la retraite, les Français voient aujourd’hui leurs pensions diminuer : va-t-on continuer dans cette voie ou se décider à jouer franchement sur le levier de l’âge de départ (ou plutôt du nombre de trimestres cotisés, puisque ce critère est devenu majeur dans le calcul de la date possible de départ) ? Ce sera certainement l’un des thèmes des élections de 2017
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