A la suite de la sortie par France Stratégie et la DARES du rapport prospectif sur les métiers et qualifications à l’horizon 2022, plusieurs médias ont ressorti le serpent de mer des « départs massifs en retraite » sensés bénéficier à l’emploi, qui montre d’abord leur méconnaissance de la démographie et des facteurs qui régissent le volume d’emploi.
Le rapport de France Stratégie devait initialement porter sur la période de 10 ans entre 2010 et 2020, à la suite des projections précédentes aux horizons 2005 et 2010. Le retournement conjoncturel de 2011 a incité les auteurs, qui avaient publié une première synthèse pour l’horizon 2020, à revoir leurs travaux et à prolonger leur horizon de deux ans, donc à 2022.
Le rapport s’inscrit aussi dans la suite du portrait statistique des métiers, que j’ai souvent utilisé, et il utilise la même nomenclature des familles professionnelles. Pour chacune des familles de métiers, les auteurs se sont demandé comment aller évoluer le volume d’emploi. En tenant compte des départs prévisibles de chaque métier, ils ont ainsi pu identifier les recrutements à envisager. De cette prise en compte, des journalistes trop pressés de conforter leurs croyances ont conclu à des départs massifs.
La situation démographique est pourtant une des choses les plus prévisibles dans un monde économique plutôt instable. Et la démographie française est plutôt assez simple.
A partir de 1946, le nombre de naissances annuelles s’établit durablement au-dessus des 800 000 en métropole, le point haut étant atteint en 1971 avec 881284. Cette situation dure jusque 1974 compris, donc pendant près de 30 ans, 29 exactement !
Depuis 1975, les naissances se situent un peu plus bas, entre 710 993 (le point le plus bas en 1994) et 805 483 (le point le plus haut en 1981). Depuis 2001, on est au-dessus de 760 000.
Depuis bientôt 70 ans, les naissances se situent donc à 795 000 + ou – 11 %, ce qui représente une très grande stabilité. Surtout quand on compare à tous les pays qui ont une pyramide des âges biscornue, avec une base qui se rétrécit comme en Allemagne ou en Italie, ou qui s’élargit comme en Inde ou au Maroc, avec un changement brutal dans la pyramide comme en Iran etc.
On peut avoir envie de considérer que la première période, de 1946 à 1974, se situe environ 10 % au dessus de la seconde, depuis 1975. Mais pour ce qui concerne l’emploi, il faut corriger le nombre de naissances par le taux d’activité qui est allé en croissant avec le temps, avec de plus en plus de femmes au travail. Retenir l’idée de stabilité est donc plus simple et finalement plus représentatif de la réalité.
A ces considérations sur le nombre de naissances s’ajoute pour ce qui concerne les départs en retraite d’autres phénomènes. Malheureusement les décès avant 62 ans, qui enlèvent environ 5 % de la cohorte (une valeur devenue très faible comme on le voit mais qui baisse chaque année) ; Mais surtout le décalage dans le temps des départs en retraite qui est le résultat de la conjugaison de trois phénomènes
- L’âge de fin d’études a augmenté d’environ 1 ans par décennies entre 1940 et 2000, ce qui conduit à nombre de trimestres cotisés constant (le critère devenu majeur pour la date de départ) à une baisse de 10% des départs annuels
- Les conditions de départ sont plus exigeantes avec un nombre de trimestres exigé en augmentation pour les nouvelles générations. Il fallait 160 trimestres pour les cotisants nés en 1948, 161 pour ceux nés en 1949, et un trimestre supplémentaire par an jusque 1952, puis 165 trimestres pour ceux nés en 1953 ou 1954, 166 pour ceux de 1955, 56 et 57. On augmente ensuite de 1 trimestre tous les trois ans, ce qui fait en moyenne un mois par an. A noter que cette évolution est sans doute insuffisante pour l’équilibre des régimes et qu’elle pourrait très bien être accentuée par un gouvernement nouveau en 2017.
- A contrario, il y a de moins en moins de femmes qui ont eu des interruptions de carrière et qui doivent donc théoriquement attendre 67 ans pour partir à taux plein. J’ignore l’impact de ce phénomène, d’autant plus difficile à estimer que ces femmes peuvent décider de partir avant 67 ans sans bénéficier du taux plein.
Les auteurs du rapport ont tenus compte de tous ces éléments. Ils donnent notamment de l’importance au dernier cité. Au total, ils prévoient 619 300 départs en moyenne annuelle, avec un volume plus fort en fin de période. C’est certes plus élevé qu’au début des années 2000, quand partaient en retraite les classes creuses nées pendant la guerre 39/45, mais c’est un peu moins que le nombre de jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché du travail…
Cela n’a pas empêché les Échos ou France Inter de mettre l’accent sur des départs qu’ils jugent massifs. On devrait pourtant continuer à ce rythme (et probablement même à un rythme plus élevé) au moins jusque 2060. Alors quel sens cela peut-il avoir de dire celà?
Surtout, on reste avec ces articles sur l’idée fausse que le volume d’emploi correspond à un gâteau fixe et que ce sont les départs des plus âgés qui conditionnent le recrutement des plus jeunes, idée qui est complétement fausse comme je l’avais notamment expliqué ici, il y a maintenant 9 ans à un moment où on voulait croire que les départs justement qualifiés de massifs allaient régler le problème du chômage. Il vaut mieux ignorer cette vieille lune, et lire ce que le rapport nous dit du sujet !
PS : j'ai écrit cette note le premier mai et oublié de la publier : je n'ai donc pas souhaité rechercher les articles incriminés. Après tout, pour ce qu'ils valent...
Les commentaires récents