Une mesure destinée à protéger une catégorie de personnes des aléas économiques peut se révéler avoir les résultats inverses de ceux attendus par ceux qui ne prenne pas en compte le caractère systémique de l’économie. La suppression de la DRE vient ainsi montrer que cette mesure destinée à protéger les seniors privés de travail conduisait de fait à détruire massivement les emplois des seniors !
Les mécanismes sont assez connus : en économie, dans un marché libre, un déséquilibre conduit les acteurs économiques à des initiatives qui tendent à réduire le déséquilibre initial. On l’a vu en particulier avec les prix du pétrole : leur forte augmentation dans les années 70 (premier et deuxième chocs pétroliers) ont conduit les consommateurs à tenter de réduire leur consommation (économies d’énergies), à rechercher des énergies de substitution (plan nucléaire français) ou à développer la recherche de nouveaux gisements (production en mer du Nord). Au final, on obtient le contre choc pétrolier de la fin des années 80 : la main invisible du marché a fonctionné, mais il lui a fallu une bonne dizaine d’années pour le faire, une dimension temps trop souvent ignorée des commentateurs. La remontée des prix dans la deuxième partie de la décennie 2000 explique aujourd’hui le développement des gaz de schistes aux USA, développement qui limite aujourd’hui la hausse des prix.
En empêchant le fonctionnement normal du marché, on obtient parfois (voire souvent !) des effets contraires à ce qui est recherché. Le marché de l’immobilier est à cet égard classique : les mesures prises depuis plus de 50 ans pour protéger les locataires ont conduit les propriétaires à devenir de plus en plus exigeants vis-à-vis de locataires potentiels, voire à abandonner l’idée même de louer, de crainte de ne pouvoir sortir un locataire impécunieux ou indélicat.
Ces préliminaires faits, revenons à la note de l’INSEE sur le passage de l’emploi à la retraite, que j’ai commentée il y a quelques semaines en promettant d’y revenir.
Cette note comporte un graphique, ou plutôt une association de quatre graphiques que pour une fois j’ai fait l’effort de reproduire ici en espérant qu’ils seront lisibles malgré leur taille (on peut se reporter à la note pour tenter de mieux les lire). Ces graphiques permettent une comparaison de la situation des 50/70 ans en 2006 et en 2012.
Dans cet intervalle finalement assez court, trois événements se sont produits :
· Le premier est un événement subi, celui de la crise économique qui frappe notre pays depuis le déclenchement de la crise financière. Mais cette crise a succédé à une période de diminution du chômage. Le taux de chômage en France métropolitaine était de 9% en 2006, de 7% en 2008 juste avant le déclenchement de la crise. Il était en 2011 à un peu plus de 9%, guère plus qu’en 2006, avant de dépasser les 10% en cours de l’année 2012.
· Le deuxième est une décision gouvernementale votée à l’été 2008 et visant la suppression progressive de la dispense de recherche d’emploi
· La troisième est également une décision gouvernementale prise en 2010 pour repousser l’âge de départ en retraite, mesure succédant à d’autres prises depuis 2003 pour aller dans le même sens
La dispense de recherche d’emploi concernait les chômeurs de plus de 57.5 ans. En les dispensant de recherche d’emploi, on leur permettait d’éviter des recherches considérées comme inutiles, et on dégonflait les courbes du chômage, puisque les chômeurs de type A, ceux dont on parle dans les communiqués de presse, sont justement ceux qui sont en recherche active d’emploi. En 2006, c’était plus de 400 000 personnes qui étaient concernées !
La mesure était aussi sociale, pour ne pas faire peser l’angoisse sur ces seniors alors qu’il existait un consensus pour admettre qu’ils auraient bien du mal à trouver un emploi, dans un pays dont la plupart des employeurs privilégient la jeunesse au moment de recruter, un pays où l’âge est la principale discrimination à l’embauche, avant celle liée à l’origine sociale ou nationale, avant le handicap et évidemment avant le sexe.
Il y avait un effet pervers non identifié avant la création du mécanisme : en période de difficulté, les partenaires sociaux se sont mis d’accord pour sortir les plus vieux, ceux qui seront couverts pendant 36 mois par les allocations chômage, le temps d’avoir les trimestres suffisant pour partir en retraite à taux plein. Il suffisait que l’entreprise verse la différence entre les allocations chômage et le salaire sur la période et le tour était joué, tout le monde était content.
En 2007, j’expliquais sur ce blog que ce mécanisme avait conduit les acteurs à créer une pré retraite de fait payée par l’UNEDIC, et qu’il était nécessaire de le supprimer.
La note de l’INSEE et les graphiques ci-dessous montre à la fois l’ampleur du phénomène et son caractère artificiel. En 2006, plus de 15% des Français de 58/ 59 ans bénéficient de la DRE ! En 2012, il n’en reste presque plus !
Si on rajoute à cette situation les autres événements cités plus haut et si l’on omet les mécanismes pervers évoqués plus haut, le taux de chômage aurait dû exploser. Il n’en est rien. Certes le taux de chômage augmente en 2012 pour les 55/ 60 ans. Mais il ne fait que rattraper autour de 5% le taux qui était précédemment celui des 50/ 55 ans. La courbe de 2006 montrait un taux de chômage qui baissait après 57 ans du fait de la DRE : cette baisse a disparue en 2012, mais le niveau atteint par le chômage est sans commune mesure avec ce que couvrait la DRE.
Dans le même temps, le nombre de retraités parmi les 55/ 60 ans est à la baisse Cette baisse parait relativement faible parce que l’échelle n’est pas la même que pour les deux graphiques précédents. Elle dépasse probablement 10% du total vers 57/58 ans et est de plus de 20% à 60 ans.
Il faut aller au quatrième graphique pour comprendre : ce sont les personnes en emploi qui ont fortement augmentées entre 55 et 60 ans.
Conclusion, la suppression de la DRE ne s’est pas traduite par une explosion du chômage mais par une augmentation de la proportion des personnes en emploi. Malgré la crise. Pour une raison simple : c’est l’existence de la DRE qui conduisait plus de 100 000 personnes à perdre leur emploi chaque année !
La DRE faisait partie d’une série de mesures prises pour réduire le chômage avec l’idée implicite que le « gâteau » de l’emploi est limité. Et pourtant la plupart des économistes savent que ce type de raisonnement est faux. J’avais écrit en 2006 avec A Delaigue un article qui explorait cette idée en montrant qu’il ne fallait pas s’attendre à ce que le papy-boom crée une pénurie d’emploi
Mais la plupart des Français ne font pas confiance aux économistes, et les rayons consacrés à l’économie dans les librairies ne sont consacrés qu’aux économistes hétérodoxes, ceux qui vont dans le sens du poil de ce que le lecteur veut entendre !
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