Le nouveau pape affiche un style très différent de celui de son interlocuteur. Benoit XVI était un intellectuel timide mais aussi un amoureux de Mozart, du baroque et des grandes liturgies. Avec son humour et sa simplicité, François plait à beaucoup mais certains commencent à lui reprocher de désacraliser la fonction. Il a pourtant sur ce point des prédécesseurs illustres.
Ce n’est pas sur la théologie, la question de l’avortement ou de l’homosexualité que le nouveau pape va se distinguer de son prédécesseur. Mais là où Benoit XVI semblait marqué par un certain pessimisme, son successeur met en avant l’esprit de pauvreté d’un François d’Assise dont on sait à quel point il était joyeux, et une humilité dans le paraître qui tranche avec le décorum du Vatican.
Dans un article daté du 19 mars, Le Monde soulignait que cette pratique bousculait l’institution. Si celle-ci ne peut s’attaquer à celui qui a semble-t-il été élu avec une très large majorité (bien plus que les 2/3 nécessaires), il y aurait des gens pour critiquer le dépouillement liturgique pratiqué par François. L’article cite Christine Pedrotti (française et progressiste) : « pour des catholiques très conservateurs, un pape trop humain désacralise la fonction ».
Dans la même veine, sur le blog de Stéphanie, qui a couvert l’élection du nouveau pape pour le Monde, j’ai lu ce commentaire publié le 31 mars :
Très inquiétant. La désacralisation de la fonction est une erreur monumentale. La bénédiction en soutane blanche, sans mitre, la messe simplifiée, la « décontraction », tout cela relève d’une démagogie néfaste. On n’a pas besoin d’un nouveau Paul VI. Il faut garder la Règle. Le pape n’est pas un moine franciscain.
Il y a pourtant des précédents célèbres, et je pense à deux en particuliers (apparemment pour les italiens cela évoque Jean Paul I mais je n’en ai pas de souvenirs). Le premier est celui qui a été surnommé le bon pape Jean, celui qui a convoqué le concile Vatican II, qui au lieu de déjeuner seul comme son prédécesseur était ravi d’accueillir à sa table.
Le second est beaucoup plus ancien et il n’était pas pape : « Les scribes et les pharisiens, le voyant manger avec les publicains et les gens de mauvaise vie, dirent à ses disciples : Pourquoi mange-t-il et boit-il avec les publicains et les gens de mauvaise vie ? » De celui-là, on peut vraiment se demander en quoi il a sacralisé son rôle !
Cette question de la sacralisation ou non de la fonction me parait tout à fait majeure, et elle était au cœur des réformes de Vatican II. Avant le Concile, le célébrant était coupé du peuple par une barrière physique (à laquelle les communiants venaient s’agenouiller) et il lui tournait le dos pour s’adresser à Dieu. Après Vatican II, l’autel se rapproche des fidèles, le célébrant se tourne vers eux, les fidèles communient debout et non à genoux et ils tutoient Dieu quand ils s’adressent à Lui. Dans un cas on insistait sur le Dieu tout puissant du premier chapitre de l’évangile de St Jean, dans l’autre cas on insiste sur le Père aimant et miséricordieux du fils prodigue.
Quel rapport entre le christianisme et le sacré ? Prenons la définition par Wikipédia du sacré : Le sacré est une notion d'anthropologie culturale permettant à une société humaine de créer une séparation ou une opposition axiologique entre les différents éléments qui composent, définissent ou représentent son monde : objets, actes, espaces, parties du corps, valeurs, etc.
Dans les religions primitives, en particulier celles qui existaient au moment de l’apparition du peuple juif, il y a une double attitude par rapport à ce qui est considéré comme divin. D’une part on le met à part pour à la fois l’adorer et s’en protéger, d’autre part on essaie de le plier à nos désirs, que ce soit avec les danses de la pluie ou les prostitutions sacrées (qui ont en réalité le même objectif).
Avec YAHVEH (« je suis celui qui suis »), les juifs adorent un Dieu bienveillant, proposant une alliance à son peuple, mais refusant que celui-ci l’enferme dans des rites, l’oblige à se soumettre à ses désirs. (on trouvera dans les trois textes qui commencent ici une description plus longue de cette histoire). C’est une fois que le peuple juif a enfin compris qu’il ne pouvait y avoir de relation avec Dieu que si on l’acceptait tel qu’il est, si on ne cherchait pas à l’enfermer dans nos désirs, que Dieu peut proposer une relation vraie, qui se révèle une relation de proximité et d’amour. Mais on ne peut pas avoir une relation d’amour si on reste dans la toute-puissance enfantine.
Ce n’est pas une relation fusionnelle qui est proposée (il y a donc une distance), mais cette relation n’est pas une séparation, une barrière, une opposition pour se protéger. Jésus ne vient pas abolir toute distance (il n’y a pas de fusion) mais il vient abolir les séparations en ce qu’elles sont des barrières à la relation. En quelque sorte, Jésus vient abolir le sacré.
On observe aujourd’hui dans nos églises une tentation du retour à certains aspects des pratiques d’avant le Vatican, avec des pratiquants qui multiplient les génuflexions et les manifestations d’adoration, comme si Dieu ne voulait pas des hommes debout , comme si trop de proximité était dangereux, comme si on voulait revenir au sacré.
Au-delà de détails liturgiques que l’on pourrait trouver anecdotiques, c’est toute une conception de l’Evangile qui est en jeu. Etonnant de reprocher à un pape d’être trop humain, pour ceux qui croient que Dieu s’est fait homme, depuis la crèche jusqu’à la croix, en passant par l’attention manifestée lors des noces de Cana, les pleurs versés sur Lazare ou la position accroupie face à la femme adultère !
Comme évêque, le nouveau pape s’est opposé à des prêtres qui refusaient le baptême à des enfants, sous prétexte que leurs mères les avaient eu hors mariage : il s’agit de sa part d’une volonté d’accueillir plutôt que de juger. N’est-ce pas celle-là qui est dans les Evangiles ?
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