La Cour des Comptes vient de publier un rapport sur les politiques concernant le chômage, dont la presse a surtout retenu que l’aggravation du déficit du régime d’indemnisation allait conduire à réduire le niveau de celle-ci. Il ne faudrait pourtant pas oublier le premier chapitre du rapport consacré au dualisme du marché du travail, « aggravé par la crise ».
Dans mon premier article de réaction à chaud sur l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation professionnelle, j’avais insisté sur le fait que celui-ci se faisait d’abord en faveur de ceux qui souffrent le plus des règles du marché du travail, les précaires en particulier, mais aussi ceux qui sont en chômage subi.
Le rapport de la Cour des Comptes illustre parfaitement la dualité du travail, mais donne surtout un éclairage de la manière dont les salariés ont été différemment touchés par la crise, avec des comparaisons internationales très utiles, même si tout cela a déjà été dit par les spécialistes du sujet.
En introduction de ce chapitre 1, on peut lire les lignes suivantes :
« La dégradation marquée de la situation des salariés les plus précaires sur le marché du travail à partir de 2009 a accentué le « dualisme du marché du travail », c'est-à dire la situation dans laquelle le marché du travail est divisé en deux sous-ensembles, l’un constitué de travailleurs relativement
protégés dont l’emploi est plutôt stable et l’autre de travailleurs plus exposés, dont l’emploi est temporaire et les mobilités fréquentes et non volontaires.
La comparaison avec la crise de 1993 illustre cette évolution : alors qu’à cette époque les licenciements économiques avaient été la forme d’ajustement dominante, ce sont, en 2008, les réductions massives de contrats précaires (intérim et contrats à durée déterminée) qui ont absorbé l’essentiel du choc, ces formes d’emploi s’étant fortement développées depuis la fin des années 1990. »
L’essentiel ayant été ainsi résumé, on trouve dans la suite du chapitre des données précises qui détaillent le problème.
|
PIB 2011 Base 100 en 2007 |
Evolution 2007/2011 de l’emploi en % |
Evolution 2008/2011 du taux de chômage |
Evolution 2007/2011 du taux de chômage des jeunes |
Taux de chômage des jeunes en 2011 |
Taux de travail temporaires en 2011 |
Evolution du nombre d’heures par travailleur |
% de chômage à temps partiel en 2007 |
% de chômage à temps partiel en 2009 |
France |
100.0 |
+ 1.0 |
+1.9 |
+3.0 |
22.1 |
15.3 |
- 0.1 |
0.34 |
0.83 |
Allem. |
102.2 |
+ 3.0 |
-1.5 |
+ 2.0 |
8 |
15 |
- 3 |
0.08 |
3.17 |
Italie |
95.5 |
- 1.1 |
+ 1.6 |
+ 8 |
29 |
13 |
- 2 |
0.64 |
3.29 |
Esp. |
97.7 |
- 11.1 |
+ 10.3 |
+ 28 |
46 |
23 |
+ 1 |
0.01 |
1.01 |
R.U. |
97.2 |
- 0.1 |
+ 2.4 |
+ 5 |
20 |
6 |
- 2 |
0.04 |
0.22 |
USA |
100.8 |
- 4.3 |
+ 3.1 |
+ 6 |
17 |
|
- 2 |
|
|
Japon |
97.0 |
- 2.6 |
+ 0.6 |
+ 0.5 |
7 |
14 |
- 2 |
0 |
2.71 |
Les données ne portent pas toutes sur les mêmes années : la Cour s’est penchée sur le traitement de la période 2008/209, pendant laquelle l’Allemagne, plus industrielle, a vu son PIB reculer plus que celui de la France, mais a développé son chômage à temps partiel, et la période plus longue 2008/2001, avec des évolutions calculées selon le cas par rapport à 2007 ou 2008.
On trouvera dans le rapport des données sur les autres pays de la zone euro : je n’ai pris ici que les plus peuplés de l’OCDE.
Le tableau illustre les différentes idées développées par le rapport
- Il y a un lien direct entre l’évolution du PIB et celui de l’emploi. L’Allemagne est le seul pays dont le chômage diminue. Une des rasions est que son PIB augmente, une autre que sa population diminue. A l’inverse, le PIB des USA augmente très légèrement de 2007 à 2011, mais cela masque une nette baisse du PIB par tête dans un pays dont le taux de natalité est supérieur à celui de la France et où l’immigration est importante.
- La France fait supporter le plus dur de la crise aux travailleurs les plus exposés, par exemple les jeunes, dont le taux de chômage a augmenté de 3% quand le chômage total ne progressait « que » de 1.9%
- La France utilise très mal le dispositif du chômage partiel qui existe pourtant dans notre pays depuis 1931. Ce dispositif a permis à l’Allemagne de passer l’année noire de 2009 sans perdre ses compétences, ce qui lui a été fort utile ensuite.
- Pour compenser une législation du licenciement très protectrice des salariés, les entreprises (et la Fonction Publique !) font massivement appel au personnel précaire (intérimaires ou CDD). A noter que ce dernier ensemble comprend les apprentis, ce qui explique le niveau assez élevé de l’Allemagne. D’autres pays européens non repris ici ont des taux nettement plus faibles.
- Même parmi les intérimaires on trouve des différences de fragilités, avec des intérimaires « permanent » qui font plus de 80% d’un temps plein par an(13% des effectifs) et ceux qui sont à moins de 20% d’un temps plein, les occasionnels (42% des intérimaires), les premiers ayant mieux résisté à la crise que les seconds. La Cour reprend ici une étude de la DARES de 2011
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