Les professeurs des écoles parisiens ont massivement fait grève mardi 22 janvier, contre le projet de la semaine de 4.5 jours et son application à Paris dès l’année prochaine. Le Monde s’en est scandalisé, à la suite du maire de Paris, et ne voit dans le refus d’une réforme qui lui parait de bon sens que le conservatisme et l’égoïsme des enseignants. C’est évidemment plus compliqué !
Cela fait des décennies que l’on nous explique (à juste titre) que la France est le pays où la durée de la journée scolaire est la plus longue et le nombre de jours travaillés le plus bas. Cela n’avait pas empêché Nicolas Sarkozy de mettre en place en 2008 la semaine de 4 jours dans les écoles. Il faut croire que cela arrangeait beaucoup de gens, l’ancien président n’ayant pas l’habitude d’aller contre les sondages, et surtout contre l’opinion dominante de son électorat.
Conforté dans ce choix par les études qui montrent une inefficacité croissante de notre système scolaire, Vincent Peillon veut revenir à un système proche de ce qui existait avant. Curieusement, le gouvernement a donné deux ans aux municipalités pour mettre en place cette réforme, au motif que celles-ci devront trouver des solutions pour occuper les enfants dans la deuxième partie de l’après-midi, et que cela coûte cher.
Bertrand Delanoë a décidé de mettre en œuvre la réforme dès 2013, au motif que c’est l’intérêt des enfants. Les observateurs ont conclu qu’une municipalité riche comme Paris devait donner l’exemple. Le Monde rapporte ainsi les propos de Bruno Julliard, adjoint au maire de Paris chargé de la culture, auparavant chargé de la question des rythmes scolaires auprès de Vincent Peillon : « si Paris n’est pas capable d’appliquer la réforme en 2013, on se demande qui le fera ».
Le Monde qui démonte un à un les arguments des syndicalistes enseignants parisiens sur le sujet, suppose que l’hostilité des professeurs des écoles vient du fait qu’ils bénéficient depuis Louis Philippe de l’appui des « professeurs de la Ville de Paris(PVP) » pour l’enseignement de la musique, des arts plastiques et de l’éducation physique.
Il s’agit peut-être d’un élément du problème, mais il n’explique pas la réaction massive des enseignants, pour une grève qui a été très suivie. On peut, il me semble, trouver deux autres explications.
La première est classique pour tous ceux qui se sont penchés un jour ou l’autre sur la question (je dois avoir fait au moins une cinquantaine d’interventions sur le sujet) : l’organisation du temps de travail impacte directement la vie personnelle. Changer les horaires et la répartition des jours de travail, c’est toucher à l’organisation personnelle de chacun, celle qui consiste à se lever à telle heure, pour passer chez la nounou à temps, puis attraper tel moyen de transport en commun etc. C’est particulièrement vrai pour les mères de famille : il n’est pas anodin de voir sur la photo publiée par le Monde(papier, pas la photo qui est sur le Monde.fr) que les manifestants sont en fait à plus de 90 % des manifestantes.
Il est donc toujours difficile de changer l’organisation du temps de travail, même pour mettre en place une solution qui apparait sur le papier comme meilleure que la précédente. Il ne faut pas oublier que les plus gênés par le système en place se sont généralement arrangés pour chercher un autre emploi et que ceux qui sont là sont donc ceux pour qui la solution existante est la mieux adaptée (ou la moins inadaptée).
Une des solutions à cette difficulté consiste à proposer une période d’expérimentation de quelques mois, en promettant de revenir en arrière si elle ne se révèle pas concluante (donc en promettant un bilan où chacun pourra s’exprimer). Si la solution est vraiment meilleure, les salariés qui ont fait l’effort d’organiser autrement leur vie pendant l’expérimentation, ne veulent plus revenir en arrière.
Une autre difficulté à gérer est la grande variété des positions individuelles, qui dépend classiquement de leur sexe, de leur situation de famille et de leurs modalités de déplacement domicile/ lieu de travail. Les organisations syndicales étant confrontées à la même difficulté, elles demandent souvent une consultation de la base sur le sujet, alors que c’est beaucoup plus rare sur les autres sujets.
Mais il y a forcément une autre explication, liée au cas particulier de Paris, pour comprendre le caractère massif de la réaction enseignante. Et celle de l’existence des PVP ne me satisfait guère.
Toujours par expérience sur le temps de travail, les franciliens ne font généralement pas les mêmes choix d’horaires que la plupart des provinciaux, pour une raison simple : l’importance de la durée des déplacements domicile lieu de travail. Quand il faut au moins une heure pour aller à son travail, et que l’on passe au moins deux heures par jour dans les transports en commun, une demi-journée de travail en plus, c’est deux heures de transports en plus par semaine !
Je ne serais pas surpris, au vu du coût du logement sur Paris, que la plupart des professeurs des écoles parisiens soient en fait des banlieusards. Bertrand Delanoë a mené une politique de transport favorable aux parisiens et (très) défavorable aux banlieusards. Il récidive ici, avec une solution qui plaira aux parents (donc ses électeurs) et déplait aux enseignants, qui pour la plupart ne sont probablement pas ses électeurs. On observe ici une des conséquences néfastes du découpage des responsabilités selon les niveaux administratifs et des limites de la Ville de Paris, limites historiques qui n’ont aucun sens organisationnel aujourd’hui.
Si on allait jusqu’au bout de l’argument de chrono biologie avancé par le Monde et les ministères, ce n’est pas l’ouverture des écoles le mercredi matin qu’il faudrait rétablir, mais bien celle du samedi matin, qui assurerait aux enfants une véritable coupure dans la semaine. Mais on se heurte là aux intérêts des parents, ceux qui sont électeurs de Bertrand Delanoë (les enfants ne votent pas…). Ce sont les Parisiens (et les Franciliens) qui ont imposé la suppression du travail le samedi matin. Ils veulent du temps pour pouvoir partir à la campagne, loin de Paris, problème que les autres Français, sauf peut-être dans les très grandes villes, ne se posent pas !
On comprend mieux, à partir de l’analyse de cette grève, pourquoi le gouvernement a donné deux ans aux municipalités (souvent de gauche) pour appliquer ses projet : en 2014, il y a les municipales ; et il faut savoir ne pas brusquer l’électeur. Mais comme celui de Paris voit son intérêt dans la réforme, Paris pourrait changer dès 2013. Et tant pis pour les enseignants banlieusards !
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