J’ai changé plusieurs fois d’avis sur cette question du mariage homosexuel, qui a mobilisé ce samedi un grand nombre de personnes. Faut-il considérer que l’amour que se portent deux êtres peut et doit être reconnu par la société, y compris comme base suffisante pour organiser une filiation ou affirmer que la filiation, c’est avant tout un papa et une maman ?
J’avais commencé la semaine dernière un article dont je n’avais que le titre : mon Eglise se trompe de combat. Je voulais expliquer que dans cette histoire, elle s’enferme dans des questions légalistes et une argumentation philosophique (elle parle d’anthropologie) assez loin du message évangélique qu’un Saint Augustin a pu résumer en un « aime et fais ce que tu veux ». Et je pensais faire le parallèle avec le concile Vatican II, qui a justement été l’occasion pour une Eglise enfermée dans un juridisme méfiant et une philosophie théorique de revenir à l’essentiel de l’Evangile
Depuis, un article de Pikipoki favorable au mariage gay m’a fait douter du bien fondé de ma position, et je ne sais plus très bien où j’en suis : je me demande en effet si ce ne sont pas les adversaires de la loi qui ont raison !
Faute donc d’avoir un avis définitif, je vais essayer de poser les questions soulevées à mon sens par la mariage homosexuel. Et pour cela, repartir de la manière dont je l’ai appréhendé différemment selon les époques de ma vie.
Mes lecteurs ont peut être compris que pour le plusieurs fois grand père que je suis aujourd’hui, la jeunesse ne date pas d’hier, mais d’une période où les homosexuels étaient beaucoup moins visibles qu’aujourd’hui. En 1968 (jusqu’en 1981), l’homosexualité était encore considérée officiellement comme une maladie mentale.
Quand j’étais jeune, l’homosexualité existait dans les livres et dans le monde artistique (Jean Marais et Jean Cocteau, ou Rimbaud et Verlaine par exemple) mais pas dans ma vie, ni dans ma (très) nombreuse famille, ni parmi mes voisins ou amis. On en parlait peu, mais je n’ai pas souvenir d’un discours agressif. Simplement l’hétérosexualité était la norme.
J’ai croisé pour la première fois une lesbienne quand j’étais déjà étudiant, une jeune femme qui en avait dragué une autre (au désespoir de cette dernière d’ailleurs !). Ma partenaire de bridge, active dans les milieux féministes de l’époque, m’expliquait la pression que certaines exerçaient pour rompre totalement avec les hommes par l’homosexualité !
C’est à cette même époque que Françoise Dolto voyait dans l’homosexualité un refus du passage à l’âge adulte, un refus d’aller vers l’autre différent ( D'après Wikipédia, Freud voyait dans l’homosexualité « une variation de la fonction sexuelle »), Je me suis longtemps contenté de cette interprétation.
L’un des fils d’un couple d’amis s’est révélé homosexuel. Et on n’était pas dans la situation décrite par Dolto, puisque pendant toute son enfance, il a en pratique choisi de ne fréquenter que des filles, toujours mal à l’aise avec les garçons, jusqu’à ce qu’il en tombe amoureux.
De mon côté, je ne suis plus du tout dans la situation que j’ai connue quand j’étais jeune ; des homosexuels, hommes ou femmes, j’en connais des tas, au travail d’abord, parmi mes amis et surtout leurs enfants aussi. Forcément, cela rend les discours moins théoriques !
J’ai lu récemment dans le mensuel « La Recherche » les résultats d’études américaines qui débouchent sur l’idée que l’homosexualité masculine serait pratiquement toujours d’origine génétique alors que l’homosexualité féminine serait selon le cas génétique ou le résultat d’un choix (ou des hasards de la vie). De quoi largement justifier, même auprès des plus fermés, la tendance culturelle actuelle consistant à laisser les adultes faire ce qu’ils veulent du moment que ce n’est pas au détriment des autres.
Mais laisser les homosexuels vivre leur vie comme ils l’entendent cela ne signifie pas pour autant qu’on doit leur ouvrir le mariage. Encore que la société a renoncé depuis quelques décennies à faire du mariage la base de la famille puisque plus de la moitié des naissances ont lieu hors mariage. D’ailleurs mes propres enfants ont des enfants sans être mariés. En dehors du fait qu’ils ne m’ont pas demandé mon avis sur ce point, le plus important pour moi est que leurs couples paraissent solides.
Avec le PACS, la société a reconnu les couples homosexuels comme des couples. En leur ouvrant le mariage, elle admettra que sous l’angle de cette institution, il s’agit de couples comme les autres. On pourra objecter qu’ils ne sont pas comme les couples hétérosexuels, puisqu’ils ne le sont pas et que cette différence n’est pas innocente, puisque leur choix est bien d’être avec une personne du même sexe. Mais on pourra toujours répondre que du point de vue de la société, il s’agit dans les deux cas de couples qui ont décidés de vivre durablement ensemble et de se prêter mutuellement assistance, « pour le meilleur et pour le pire ».
Cependant, le mariage n’est pas seulement une affaire de vie en couple et d’amour mutuel, c’est aussi (et même d’abord) une question de filiation. Qui se traduit en pratique par trois questions pour les homosexuels qui décideraient de se marier : pourront-ils adopter, pourront-ils avoir la reconnaissance parentale de l’enfant de leur conjoint et pourront-ils avoir accès à la procréation assistée ? Ce ne sont pas des questions en l’air : je connais par exemple dans mon entourage professionnel une femme, vivant avec une autre femme, qui a bénéficié d’une procréation assistée à l’étranger. Une collègue de ma fille espère que la future loi lui permettra de le faire en France.
Trois questions qui ne se posent pas forcément de manière identique
En ce qui concerne les enfants à adopter, dont on sait qu’ils sont beaucoup moins nombreux que ceux qui aimeraient adopter, il est facile de dire qu’il ne peut y avoir « droit » à l’adoption pour quiconque, hétérosexuel ou homosexuel. Ce qui est premier est le droit de l’enfant et son intérêt. Ceci dit, je ne suis pas sûr que ceux qui adoptent soient vraiment conscients de la difficulté de leur projet, en particulier au moment de l’adolescence des enfants adoptés.
Deuxième question, la reconnaissance parentale de la part du conjoint du père ou de la mère biologique. Un des arguments qui justifient la demande, est qu’en cas de séparation du couple, le conjoint n’a aucun moyen d’avoir un droit quelconque (par exemple de visite) sur l’enfant qu’il a aidé à faire grandir et qu’il aime. J’avoue qu’en première lecture, cet argument m’a un peu chiffonné, et qu’il venait plutôt en contradiction avec tous les discours sur les enfants d’homosexuels qui sont si heureux, mais après tout, on ne voit pas pourquoi les coules hétérosexuels seraient les seuls à pouvoir se séparer !
Dernière question, celle de la procréation assistée. Ne nous faisons pas d’illusions, il y a d’autres moyens pour une lesbienne d’être enceinte, mais elle n’a pas forcément envie de les utiliser.
On voit ici poindre ce que signifie l’ouverture du mariage aux homosexuels. Ce n’est plus seulement la liberté de vivre en adultes libres leurs couples et leur sexualité comme ils l’entendent. Ce n’est pas seulement reconnaitre des réalités (il y a déjà des homosexuels qui ont des enfants), cela va jusqu’à afficher de la part de la société que ces couples peuvent et doivent être aidés pour établir leur filiation. C’est bien du droit des adultes et non de celui des enfants dont il est question ici.
L’évêque de Lyon, Monseigneur Barbarin, a fait scandale en déclarant qu’àprès les homosexuels, la porte serait ouverte à l’inceste et à la polygamie (ou aux couples multiples). Poser cette question permet pourtant de bien préciser de quoi on parle. Car les situations d’inceste ou de polygamie ne sont pas seulement théoriques : là aussi, elles existent !
La cour d’appel d’Amiens jugeait cette semaine un père qui avait eu des relations sexuelles avec ses deux filles ainées, quand elles ont eu plus de 15 ans, la mère participant parfois aux ébats et étant chargée d’organiser les tours de rôle. Les jeunes femmes aujourd’hui adultes déclarent qu’elles étaient consentantes et d’ailleurs l’ainé élève avec son père l’enfant qu’ils ont eu ensemble ! Les parents ont été condamnés mais la peine de prison ferme est couverte par celle qu’ils ont déjà faite. Elle est justifiée parce que les faits ont eu lieu quand les jeunes filles étaient mineures.
C’est bien sûr un cas limite. La polygamie est plus fréquente, et pas seulement chez les mormons ou les musulmans. J’ai ainsi connu il y a plus de 20 ans deux cas chez des gens qui devaient avoir de bons chrétiens dans leurs ancêtres pas très éloignés. Le premier avait divorcé deux fois pour se remarier ensuite avec sa première femme, mais profitait de ses déplacements pour loger chez sa seconde femme. Le deuxième avait des enfants de deux femmes différentes qui le savaient et couchait selon les jours chez l’une ou chez l’autre. Il est vrai que dans les deux cas, les deux femmes n’habitaient pas le même logement, mais cela existe aussi probablement.
Dans les cas qui précédent, la société accepte les situations de fait entre adultes consentants, comme elle les accepte pour les homosexuels. Pour autant, elle n’est pas prête à les présenter comme des situations aussi estimables que celles d’un couple classique, comme elle s’apprête à le faire pour les couples hétérosexuels. Pourtant, comme le dit le proverbe, une fois qu’on a dépassé les bornes classiques, où sont les limites ?
On pourra cependant noter que dans les cas précédent, il y a une situation d’inégalité au profit de l’homme qu’on peut récuser, situation qui par définition n’est pas à la base de la relation homosexuelle. Mais qu'en sera-t-il en cas d’inceste entre frère et sœur ?
Malgré tous ces arguments, j’étais jusqu’à présent, à défaut de favorable, bienveillant vis-à-vis du projet de loi, d’abord par bienveillance envers les individus concernés. Je trouvais la position de l’Eglise peu accueillante, même si elle fait la distinction entre sa position sur le plan légal et ce qui concerne l’accueil des personnes.
C’est le dernier texte de Pikipoki qui m’a fait douter. Pourtant en première lecture, j’avais jugé son approche intéressante (comme toujours chez lui !) : il se demandait pourquoi faire tant d’histoires pour une situation qui concernera très peu d’enfants.
Après réflexion et à la relecture, son introduction m’a fait tiquer et j’ai écrit le commentaire suivant :
Après réflexion, il me semble qu'il y a une faille, sinon dans ton raisonnement, au moins dans ta lecture des motivations des opposants, qui me parait à la fois juste et partielle
Tu pars de l'idée que "Et vu l'évolution de la place du mariage dans notre société, je ne considère pas que l'enjeu soit important." ce qui factuel, mais aussi que "le mariage soulevant très peu d'intérêt à mes yeux aujourd'hui" ce qui n'est que ton point de vue, même s'il est partagé par des millions de personnes
Or justement, ceux qui manifestent leur opposition, et en particulier les catholiques, ne partagent absolument pas ton point de vue. Et ce désaccord n'est pas d'aujourd'hui, il est durable
Pour n'en donner qu'une illustration dans mon domaine, le seul véritable marqueur de la CFTC en tant que syndicat par rapport aux autres centrales, c'est l'attachement à la famille, qui explique notamment son opposition au travail du dimanche
Après, on a le droit de ne pas être d’accord !
Personnellement, je partage cet attachement à la famille, mais je n'en déduis pas une opposition au mariage homosexuel, d'abord par respect pour les personnes concernées, ensuite parce que, comme tu le dis, le mariage civil a un sacré plomb dans l'aile
Quelques mots sur l'attachement à la famille en partant de deux exemples vécus autour de moi
Premier exemple, une de mes collègues, ayant un enfant vient de divorcer. Je la connais suffisamment pour connaître ses raisons, et je les comprends très bien
Deuxième exemple, une autre de mes collègues venue me voir pour que je l'aide à obtenir une augmentation, et qui m'explique craindre de basculer dans le surendettement alors qu'elle est bac+5
Elle a deux enfants de 1 et 3 ans, et le père est parti, avant ou après la dernière naissance , je ne sais plus. Je ne connais pas les causes de ce départ, s'il est parti avec une autre ou si elle l'a mis dehors. Je vois simplement le résultat : une famille monoparentale en danger non pas humain (ma collègue m'a parue très équilibrée) mais économique tout simplement, avec toutes les conséquences humaines que cela a
80% des divorces sont demandés par les femmes. On peut très bien comprendre qu'il vaut mieux qu'une femme parte plutôt que de continuer à être battue. Mais toutes les femmes qui divorcent ne sont pas battues.
Quelques soient les causes de la fragilité des couples, la conséquence des naissances hors mariages et des divorces, c'est une explosion du nombre de familles monoparentales. Dont 30% sont en dessous du seuil de pauvreté
Hier, on disait qu'il fallait défendre la veuve et l'orphelin. La bible est pleine de description de ces veuves qui sont d'abord décrites comme pauvres. Aujourd'hui, les conditions sanitaires font qu'avant 60 ans il y a beaucoup moins de veuves. Mais on a malgré tout plein de femmes seules avec charge de familles...
La société veut ignorer ce problème au nom de la liberté des individus je pense. Cela n'empêche que c'est un problème. Là où les défenseurs du mariage hétérosexuel ont tort, c'est que l'on ne réglera pas ce problème par la loi (ou le refus d'une loi).
Apparemment, je n’ai pas dû être clair, puisque Pikipoki m’a répondu qu’il ne voyait pas le lien entre son article et mon commentaire. Il est vrai que mon commentaire ne portait pas sur le fond général de son article.
Il se trouve que depuis, j’ai trouvé dans mon quotidien gratuit, un article dont le titre est « la crise fauche les familles monoparentales ».
Selon le directeur général du Crédoc, « les familles monoparentales ne cessent d’augmenter. Elles représentent aujourd’hui plus de 25% des familles d’aujourd’hui, contre 10% en 1968, et 21% des enfants y vivent, contre 8% en 1960. Dans les années 60, 55% des familles à la tête de ces familles étaient des veuves, contre 10% aujourd’hui. Leur taux de pauvreté est passé de 30.9% en 2009 à 32.2% en 2010".
Tout cela nous écarte de notre sujet ? Pas vraiment ! C’est bien de la famille dont il est question, et la manière dont elle se porte est au cœur du sujet !
Et pas seulement la famille : la filiation. Ceux qui ont défilé ce samedi (je ne parle pas des intégristes qui ont manifesté dimanche à Paris) ont affiché « on ne ment pas aux enfants » et « un enfant, c’est un papa ou une maman ».
Disons le tout de suite, je n’ai jamais été convaincu par les théories du « genre » (dont Wikipédia nous explique qu’elles sont en fait très diverses) si elles prétendent que le sexe chromosomique ou physique est moins important que le choix « culturel » que l’on fait de son identité sexuelle.
Si reconnaître les couples homosexuels conduit à prétendre que les deux membres du couple sont les parents de l’enfant de l’un d’eux (accorder l’autorité parentale risque de semer le trouble sur le sujet), je pense qu’on se trompe et surtout que l’on ment aux enfants.
Une petite histoire vraie à ce sujet. Dans l’école primaire que fréquentait ma fille il y a longtemps, la directrice se trouva un jour confrontée au cas d’une petite fille qui était en permanence dans le mensonge et la fabulation. Après discussion, la directrice réussit à convaincre les parents de dire la vérité à cette fille sur sa filiation. En effet, la mère de cette fille était morte à sa naissance et son père était inconnu. Les grands parents avaient décidé d’élever leur petite fille comme leur fille, au point de lui présenter sa mère comme sa sœur. Ils finirent donc par tout raconter, ce que la petite fille vint raconter à ses camarades de classe le lundi suivant. Et de ce jour elle cessa de mentir et de fabuler !
Je ne crois pas que les couples homosexuels aient envie de mentir à leurs enfants. Il me semble pourtant qu’en présentant l’union homosexuelle comme semblable à l’union hétérosexuelle, on crée une confusion dont la société n’a pas vraiment besoin !
Pour conclure, ceux qui ont eu le courage de me lire jusqu’au bout ont pu trouver que mes arguments vont plutôt contre le projet de loi. La réalité est que je ne sais plus très bien et que peut être demain je changerais encore d’avis sur un sujet certes compliqué !
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