La condamnation de sept sismologues à des peines de prison (six ans ferme) après le drame de l’Aquila a ému la communauté scientifique italienne et même mondiale. Elle reflète la judiciarisation des catastrophes et la méfiance de plus en plus grande des citoyens envers le monde scientifique et ses liens réels ou supposés avec le pouvoir.
L’ Aquila est une ville italienne située dans les Abruzzes, au centre de l’Italie. Elle a connu le 6 avril 2009, à 3 h 32 du matin, un violent séisme meurtrier de 6,3 sur l'échelle de Richter dont le bilan s'est établi à 309 victimes, 2 000 blessées et 65 000 personnes sans abri.
La ville avait déjà été victime de deux tremblements de terre qui l’endommagèrent en 1703 et en 1706. Elle se situe dans une zone sismique. Pendant plusieurs mois avant le drame, de petites secousses avaient alerté la population. Une réunion sur place de la commission des grands risques avait eu lieu 6 jours avant le drame.
La Commission, avait indiqué qu'il n'était pas possible de prédire la survenue éventuelle d'un séisme plus fort, mais avait recommandé de respecter davantage les mesures de prévention antisismiques, notamment dans la construction d'immeubles. Il semble que le pouvoir politique avait présenté cette position comme le fait qu’il n’y avait pas de risques.
Sur Internet, on peut lire les positions de ceux qui défendent les scientifiques (Claude Allégre parle de « non-sens scientifique, ajouté à une décision obscurantiste, barbare et injuste ») et ceux qui leur reprochent leur décision ou d’avoir été manipulés par le pouvoir.
Je ne connais pas assez le dossier pour avoir un avis sur le fond, mais il me semble que cette affaire illustre une fois de plus la demande du public d’une sécurité absolue et sa méfiance envers les scientifiques, facilement soupçonnés d’être du côté du pouvoir et du mensonge : après tout, c’est exactement ce que dit l’auteur controversé de l’étude sur les OGM.
Le même jour, le Monde signalait la condamnation d’une entreprise parce qu’un de ses cadres avait été victime d’une tumeur au cerveau et qu’une cause possible était son utilisation forcenée (5 ou 6 heures par jour) d’un téléphone portable. Il a donc suffit que le lien soit possible pour qu’il y ait condamnation !
Plus près de nous, la condamnation dans l’affaire AZF concerne une explosion dont on n’a pu trouver avec certitude la cause, celle retenue par les juges n’ayant jamais pu être reproduite ! Mais il fallait trouver un coupable pour « soulager les victimes ». Quitte à trouver un bouc émissaire.
Ces événements s’inscrivent dans une triple évolution de la société :
- Une volonté individuelle de trouver un responsable éu malheur qui nous frappe, parfois pour de simples raisons d’intérêt, mais le plus souvent par incapacité à accepter le malheur et probablement la crainte de s’en sentir responsable si un autre n’est pas désigné
- Une volonté collective de supprimer toutes les morts « anticipées », une volonté qui participe aussi bien d’une démarche de progrès de type qualité (celle-là même que les autorités sanitaires mènent pour réduire la mortalité, par le tabac ou sur la route par exemple) que d’une recherche de société apaisée (celle-là même qui voit la montée de l’insécurité dans la société alors que les homicides n’ont jamais été aussi peu nombreux)
- Une défiance de plus en plus forte devant le monde scientifique, suspecté de jouer les apprentis sorciers (d’où l’idée du principe de précaution ou le refus des OGM, des ondes électromagnétiques ou du nucléaire) et de collusion avec le pouvoir ou les intérêts financiers
De toutes manières, les scientifiques n’ont pas le choix : ils sont condamnés à faire preuve d’humilité dans leur communication. Mais ils ont aussi tout intérêt à contribuer à l’élévation de la pratique des principes de l’analyse scientifique dans la société, s’ils ne veulent pas laisser la place aux mensonges des complotistes.
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