Plus de vingt ans après la chute du mur de Berlin, un candidat d’abord soutenu par le parti communiste emporte plus de 11% des voix à la présidentielle, sans que cela n’éveille la curiosité des chroniqueurs médiatiques, tant l’existence d’une extrême gauche forte fait partie des caractéristiques de notre beau pays.
A chaque poussée du FN, le Monde, imité en cela par beaucoup de ses confrères, part en campagne sur le terrain et loin de Paris pour essayer de comprendre comment on peut en arriver à un tel vote, et qui sont ces électeurs qui font un choix aussi saugrenu ou décalé. Le travail est d’ailleurs souvent bien fait, et il aboutit régulièrement à la question de savoir quelle politique mener pour réduire ce score anormal.
Je partage évidemment cette question, mais on peut se demander pourquoi on ne la pose pas de la même manière pour le vote d’extrême gauche et plus précisément le vote communiste. Après tout, on estime que de Staline à Pol Pot en passant par Mao, le communisme a fait environ 100 millions de victimes. L’échec a été à la fois économique, démographique, écologique et démocratique. Manifestement, pas de quoi écœurer les électeurs !
Pour un journaliste parisien, la vraie différence est qu’il connait et fréquente des gens qui votent Mélenchon alors qu’il n’en connait pas qui votent le Pen (encore que les journalistes du Monde devraient se poser des questions sur le vote de leurs ouvriers à l’imprimerie…). Et je les comprends : je suis dans le même cas ! N’oublions pas qu’à Paris, Marine le Pen n’a fait que 6.20% des voix, près de trois fois moins que son score national !
Un sondage de sortie des urnes nous donne une analyse sociologique des différents votes. Le vote Mélenchon est sur représenté chez les jeunes (16% chez les 18/24 ans contre 7% chez les 60 ans et +), chez les ouvriers (15% contre 35% à Le Pen !), les intérimaires (18% mais 38% pour Marine), les personnes à faible revenu, les musulmans (23%).
Alors que sur de nombreux critères, le vote Mélenchon n’est guère spécifique, avec des écarts assez bas selon les choix, c’est sur le revenu mensuel que les réponses sont les plus contrastées. Avec 17% des voix chez ceux qui gagnent moins de 1000 euros par mois et 7% chez ceux qui gagnent plus de 3500 euros. Le rapport 17/ 7 est ici plus fort que chez les électeurs frontistes (24/12).
On pourrait penser que les électeurs frontistes gagnent peu parce qu’ils sont peu diplômés : Le Pen fait en effet 29% chez les CAP / BEP et sans diplôme et 7% chez ceux qui ont bac+2 ou plus. Cette explication ne tient pas pour le vote Mélenchon, qui ne voit quasiment pas de différence selon le diplôme.
On peut imaginer que ceux des électeurs de Mélenchon qui ont un diplôme élevé n’ont pas su ou pu le valoriser financièrement, par exemple parce que correspondant à des filières encombrées. C’est justement le cas pour ceux de ma famille qui ont voté Mélenchon.
Une de mes collègues a longtemps hésité à voter pour lui (je ne sais pas ce qu’elle a fait finalement) et j’ai eu l’occasion d’en discuter avec elle. Sa première motivation est de s’être toujours sentie de gauche, avec une envie de remettre en cause le système. Sur le plan économique, elle avoue ne rien y comprendre (elle a fait khâgne) mais aimerait tant qu’on puisse faire autrement ! Ayant lu en détail le programme du candidat, elle m’a avoué que sur les points qu’elle connaît bien par son travail, elle le trouve mauvais, mais cela ne suffit pas à la dissuader de ce vote…
Il est vrai que le titre du programme, l’humain d’abord, peut attirer. Il se veut rompre avec les exigences de la finance. Mon impression est que c’est surtout un programme qui s’abstrait du réel et des contraintes économiques vécues comme insupportables. Je comprends que ma collègue puisse souhaiter un monde où on puisse à la fois partir plus tôt en retraite et augmenter les pensions, sans faire d’économies ailleurs : cela s’appelle avoir le beurre, l’argent du beurre et la fille de la crémière en plus. Mais pour des citoyens cultivés, est-il si difficile de comprendre que cela ne marche pas, surtout quand un demi-siècle d’histoire l’a montré dans de nombreux pays ?
L’une des caractéristiques des Français est d’accorder plus d’importance à la théorie qu’à la pratique (par exemple la recherche fondamentale est plus noble que la recherche appliquée quand c’est le contraire aux USA). Cela leur permet d’accepter des discours très théoriques sur l’économie, sans se demander comment cela fonctionne réellement. D’où à mon avis la persistance des thèses d’extrême gauche y compris chez les plus diplômés. Mais je ne dois pas être très objectif !
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