La géographie nous montre que le vote Le Pen est faible en Ile de France et dans les grandes villes, mais fort dans le monde rural. Faut-il incriminer le chômage comme on l’a fait longtemps, ou la perte des services publics comme on le dit aujourd’hui ici ou là, ou admettre que ce vote est un vote raciste et de méfiance de l’autre comme le note Pikipoki ?
L’INSEE nous fournit obligeamment les taux de chômage par bassin d’emploi (il en distingue 348), avec les chiffres trimestriels depuis 1999. Malheureusement, le ministère de l’intérieur ne nous donne pas des résultats électoraux par bassin d’emploi ! Il faut donc dans un premier temps se rabattre sur les taux de chômage actuels par département.
Si l’on examine les dix départements où le taux de chômage est le plus faible (en partant de celui qui connait le taux le plus faible, Lozère, Cantal, Mayenne, Ain, Aveyron, Yvelines, Essonne, Gers, Corrèze et Jura, les taux allant de 5.0 à 7.2), on trouve 8 départements où Marine fait moins bien que sa moyenne nationale de 17.90% et deux où elle fait plus que la moyenne, l’Ain et le Jura, où elle atteint respectivement 20.71 et 20.41%. Sur les dix départements, la moyenne non pondérée par le poids de chacun est de 15.93%, soit deux points de moins que la moyenne.
Dans ces mêmes départements, Mélenchon fait 0.3% de moins que sa moyenne nationale, Sarkozy 0.2% de plus et Hollande 0.4% de plus. Il est vrai que ce dernier bénéficie de la présence dans la liste de la Corrèze, qui lui a donné près de 43% des voix. C’est Bayrou qui est favorisé dans ces départements, avec 1.46% de plus que sa moyenne nationale, qu’il dépasse dans tous les départements sauf la Corrèze.
Si l’on fait abstraction de ce dernier département favorable à Hollande pour des raisons d’implantation personnelle, les écarts par rapport à la moyenne nationale sont de +1.87 pour Bayrou, -0.27% pour Mélenchon, +0.89 pour Sarkozy, -1.11% pour Hollande et -1.68% pour Le Pen.
Passons maintenant sur les dix départements au plus fort taux de chômage (en commençant par le plus défavorisé : Hérault, Aisne, Pyrénées Orientales, Aude, Pas de Calais, Nord, Gard, Vaucluse, Bouches du Rhône et Seine St Denis, avec des taux entre 11.9 et 13.8, soit près de deux fois plus que dans la liste précédente).
Le relevé des chiffres fait tout de suite apparaitre une particularité : alors que le score du FN dans les 9 départements les plus touchés se situe entre 21.91% (dans le Nord) et 27.03% (dans le Vaucluse), le dixième, la Seine St Denis, ne lui accorde que 13.55% des voix !
Donc sur les neufs départements les plus touchés, les écarts par rapport à leur score national sont de -3.06 pour Bayrou, +1.28 pour Mélenchon, -2.43 pour Sarkozy, -2.13 pour Hollande et +6.48 pour Le Pen !
Clairement le taux de chômage a à voir avec le vote Le Pen. Les trois exceptions (Seine St Denis, Ain et Jura) peuvent s’expliquer par une deuxième influence : la césure centre et rural (ou rurbain)
Pourtant les choses ne sont pas si simples comme on va le voir en s’intéressant maintenant aux évolutions du chômage
Si l’on reprend le fichier des bassins d’emploi, on peut les trier en fonction de l’évolution de leur taux de chômage depuis le premier trimestre 1999 ou mieux celui de 2002, et comparer l’évolution des scores pour le Pen (père puis fille) et celle des taux de chômage ! Globalement, le taux de chômage à fin 2011 est proche de celui de 1999 et nettement supérieur à celui de 2002. Et Marine a fait 1.04% de plus que son père (concurrencé il est vrai par Mégret)
En dix ans, les 5 bassins d’emploi qui ont vu leur chômage baisser le plus sont ceux de l’étang de Berre (-1.5), Toulon, Mauriac, Bastia et Montpellier (-1). Dans les villes correspondantes, le vote Le Pen évolue respectivement de +8.16 (à 29.06, dans une ville où le taux de chômage se situe aujourd’hui à 10%), + 2.61, +5.06, +8.37 et -3.75. Seul Montpellier voit le score frontiste baisser et la hausse est forte pour des villes où l’on part de bas (Mauriac) ou de haut (Toulon).
Examinons maintenant les 5 bassins où le chômage a le plus fortement augmenté (de 4.2% ou plus), c’est-à-dire en partant du plus défavorisé, Commercy, Mulhouse, Gisors, Gien et Montargis. L’évolution du score frontiste est respectivement de +3.52, -5.93, +2.22, +2.63 et 0.47.
Pour finir, St Claude, qui est le bassin dont le taux de chômage s’est le plus dégradé depuis1999 et qui l’a encore vu augmenter de 3.6 depuis 2002. Le score frontiste y est passé de 23.44 à 19.18, c’est-à-dire qu’il a baissé de 4.26 en 10 ans ! Il est vrai que le chômage y reste inférieur à la moyenne nationale. Mais pourquoi, alors qu’il était particulièrement bas en 2002, ce score de 23.44 pour JMLP ?
En fait, on a le sentiment à la lecture de ces chiffres, que le chômage a constitué le terreau initial du FN, mais que ce n’est plus ce qui explique son évolution.
Il est donc temps de passer à ce qui semble une autre explication : la ruralité. Mais il faut d’abord se souvenir qu’en 2002, le score frontiste avait été le plus faible à Paris (9.35) et faible en Ile de France (14.57) mais élevé à 100km de Paris : 19.38 dans le Loiret, 22.76 dans l’Oise, 19.09 dans l’Eure et Loir, 20.96 dans l’Yonne.
La tendance s’est accentuée cette année : le score n’est plus que de 6.20 à Paris (-3.15) et de 12.28 en IDF (-2.29) mais il a encore progressé dans le Loiret (+1.20), dans l’Oise (+2.30), dans l’Eure et Loir (+1.63), et dans l’Yonne (+2.72). Il fait un bond en Corse du Sud et en Haute Corse (+8.30 et +9.04). J’ai montré récemment qu’il était faible dans les grandes villes.
J’ai donc fait une petite analyse sur … Verel De Montbel, petit village proche de Pont de Beauvoisin, en Savoie et j’ai pris les scores de cette dernière bourgade, de la Bridoire, la cité la plus proche, qui comprend des zones d’activités bien remplies, de Belmont Tramonet déjà plus loin du Pont, mais proche d’une entrée d’autoroute, qui permet à certains d’aller travailler à Chambéry. Le bassin d’emploi de Chambéry a un taux de chômage de 7.8%, inférieur à la moyenne, et il évolue plutôt mieux que la moyenne sur 10 ans.
En 10 ans, le nombre d’inscrits en Savoie augmente de 12.7%, de 9.5% au Pont, de 19 % à la Bridoire, de 37% à Verel et de 28 % à Belmont. Les constructions neuves sont individuelles à Verel, en lotissement à Belmont. En 15 ans, il n’y a aucune disparition de services publics ou de petits commerces sur ces deux villages (qui comptent encore quelques agriculteurs) : il n’en existait déjà pas en 1995, sauf l’école primaire (commune aux deux villages grâce à un transport par bus)qui subsiste et la mairie.
En Savoie, sur 10 ans, le score frontiste baisse de 0.87. En 2002, il est à 24.24 au Pont, à 20.18 à La Bridoire, à 21.85 à Verel et seulement à 8.03 à Belmont où se trouve l’abbaye féminine de La Rochette.
En 10 ans, il perd 1.76 au Pont, 1.60 à la Bridoire, mais gagne 4.38 à Verel et 8.77 à Belmont.
Je pense que ce sont les nouveaux arrivants qui ont fait cette évolution, ceux qui s’endettent à l’extrême pour acheter leur logement et qui, parfois faute de moyens, le font loin de la ville (avec les conséquences sur les dépenses en carburant).
Je ne crois pas aux explications sur les services publics mais beaucoup plus à une anecdote rapportée par mon journal favori, dans une petite bourgade où le vote frontiste à fait un grand bond.
Dans ce village, on découvre un jour un vol, dont des jerricans. Il se trouve que l’une des victimes trouve les jerricans planqués dans un coin, tend un piège aux voleurs qui viennent les récupérer. L’homme leur tire dessus puis, tout en appelant la police, entame une course poursuite qui se finit au poste pour tout le monde. Le tireur est condamné à 1 an de prison avec sursis, les voleurs à 6 mois avec sursis. Le verdict scandalise certains (ce qui montre l’ignorance de principes basiques de la loi), ce qui semble expliquer la montée du vote FN.
Contrairement aux habitants de l’ile de France ou des grandes villes qui sont baignés dans le contact avec tous les autres, certains de ceux qui vont s’installer à la campagne sont isolés. Eux qui peinent à joindre les deux bouts dans le bonheur qu’ils pensent se construire à coup de prêt au logement, ne supportent pas la crainte du cambriolage et sont prêts à se faire eux-mêmes justice, puisque selon eux la police ou la justice ne fait pas son travail. Ils sont sensibles aux discours sur la permissivité judiciaire et sur les assistés qui viennent prendre le bien péniblement acquis. Et ils sont d’autant plus racistes qu’ils ne fréquentent guère d’étrangers et n’en ont qu’une image déformé par les médias.
On ne changera pas ce problème en quinze jours.
On peut aussi lire ici (merci à Polluxe)
PS : le sondage sortie des urnes de Opinion Way donne aussi un éclairage interessant. On note ainsi(page 3) que Marine le Pen recueille 21% des voix chez les accédants à la propriété alors que son électorat a un revenu inférieur à la moyenne. Sur ces deux critères, elle est assez proche de Mélenchon
PPS : cela mériterait un article complet, mais le vote le Pen est très fort dans des départements où les étrangers sont en faible proportion (2 à 3%) comme la Meuse ou l'Aisne) et faible dans des départements où les étrangers sont très nombreux comme Paris, les Hauts de seine ou la Seine St Denis : dans la région parisienne, ceux qui n'éaimaient pas les étrangers sont partis s'installer plus loin, dans l'Oise ou l'Eure
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