Les zones qui souffrent le plus du chômage peuvent receler suffisamment de richesses pour que des hommes politiques sans scrupules y mènent grande vie. Le scandale qui secoue aujourd’hui le PS du Pas de Calais succède à d’autres dont le plus grave à ce jour se situe à Hénin Beaumont, où Marine Le Pen surfe sur la vague anti-corruption.
L’ancien bassin minier du Nord Pas de Calais s’étend sur une faible largeur de Auchel et Béthune à Valenciennes, en passant par Liévin, Lens, Hénin, Courrières, Oignies, Douai. Au plus fort de l’exploitation à la fin des années 40, les HBNPC comptaient près de 250 000 mineurs. L’entreprise nationalisée possédait également les logements (le mineur était logé), les terrains de sports, les rues, les églises, et l’ensemble du système de santé (le mineur était soigné gratuitement).
A la fin de l’exploitation, le patrimoine immobilier (au départ, près de 100 000 logements) a été regroupé dans une société immobilière, la Soginorpa, sur laquelle les élus de la région auront des visées dès la fin des années 80, les fonctions hospitalières étant intégrées à l’AHNAC : on commence à trouver ces deux structures dans les informations qui circulent aujourd’hui.
Logeant et soignant son personnel, les Houillères avaient une gestion sociale très paternaliste, que les élus de la région vont ensuite imiter. Il s’agit de prendre en charge une population peu formée, jamais de la responsabiliser ni bien sûr de lui rendre des comptes. C'est du moins la situation dans la partie Ouest du bassin, dans le Pas de Calais. A l'Est, la mine est moins hégémonique, Douai étant l'ancienne préfecture du Nord, avec la Cour d'assises, les usines Arbel, Béghin ou Bréguet. Le Valenciennois est également sidérurgique.
Il se trouve que j’ai été adhérent du Parti Socialiste dans trois villes différentes, dont celle de Billy Montigny, entre Hénin et Lens. Alors que les réunions de section étaient l’occasion de discussions diverses dans les deux premières, le schéma était plus simple à Billy : discours du secrétaire de section (un directeur d’école rêvant de devenir maire mais qui n’en avait absolument pas le niveau) puis « pot de l’amitié ». Il va sans dire que je ne suis pas resté longtemps !
La gauche domine depuis longtemps la partie la plus urbaine et ouvrière du Pas de Calais (le bassin minier et les deux ports de Boulogne et Calais). En 1981, André Delelis, maire de Lens est le seul socialiste élu au premier tour. Pendant longtemps, le parti communiste conteste la suprématie socialiste, en gérant des communes comme Sallaumines, Méricourt ou Billy Montigny, mais il s’affaiblit progressivement comme partout ailleurs. La droite restant très faible dans le bassin minier coté Pas de Calais (S Royal obtient ainsi plus de 63% des voix à Liévin en 2007), c’est le FN qui vient aujourd’hui contester la suprématie socialiste.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les événements actuels, dont l’article des Inrocks donne une bonne idée (on peut aussi aller consulter le blog d'Alain Alpern, ancien conseiller général PS qui s’est fâché avec ses anciens amis depuis qu’il propose de faire le ménage).
En 2009, le maire de Hénin Beaumont, Gérard Dalongeville, est révoqué, procédure très rare, après un audit de la chambre régionale des comptes et une descente des policiers de la brigade financière effectuée le 7 avril 2009 à son domicile puis à son bureau à la mairie, qui est l’occasion de trouver dans un coffre-fort une somme de 13 000 euros en espèce, pour la présence de laquelle le maire n’a pas d’explication crédible, mais qu’il déclare aujourd’hui être un élément du financement occulte de la fédération départementale du parti.
Le rapport de la chambre régionale des comptes est particulièrement édifiant. Alors que la commune a de grosses difficultés financières, les effectifs ont augmenté de 26% de 2004 à 2009. De nombreuses irrégularités sont constatées, dues en particulier à un manque d’encadrement compétent. Mais les élus ont aussi abusé des fêtes et cérémonies et autres frais de mission. Le plus grave est l’affaire des avions taxis, utilisés par un escroc du nom prédestiné de Guy Mollet.
La ville d’Hénin possède en effet au pays basque français, dans la ville de Léon, un bien immobilier utilisé pour les vacances des personnes âgées. Désirant vendre son bien, la ville multiplie les erreurs de gestion (voir le rapport de la cour régionale des comptes à partir de la page 21). Bien qu’ayant donné mandat à une agence locale, elle demande à Guy Mollet de trouver des solutions, permettant à ce dernier de facturer 21 allers retours en avion taxi pour une somme de plus de 100 k€, la plupart des trajets lui ayant servi pour d’autres destinations liées à ses autres activités (voir le détail dans le jugement).
Cette affaire a fait l’objet d’un jugement de la chambre régionale des comptes le 6 juillet 2010, concluant à la gestion de fait, jugement confirmé en appel, le deuxième jugement prévu en janvier 2012 devant déboucher sur une décision de répartition de la dette correspondante et des amendes entre les protagonistes (l’ex maire, son premier adjoint et l’escroc).
Mais, entretemps, l’enquête sur l’argent liquide trouvé dans le coffre-fort du maire a suivi son cours. L’ex maire a été mis en prison puis relâché. Les écoutes faites sur son téléphone ont permis de découvrir un vaste réseau de financement occulte dans lequel trempait un juge du tribunal de Béthune, Pierre Pichoff qui a été arrêté début janvier pour avoir monnayé ses décisions.
Au passage, il faut ici noter un dysfonctionnement majeur de notre système, puisque ce juge avait été sanctionné en 1997, lors de son passage au TGI de Troyes, où il était vice-président, pour avoir abusé de sa position. Un comptable condamné pour détournement n’a plus le droit d’exercer sa profession. Comme se fait-il qu’un juge puisse le faire ?
Gérard Dalongeville, remis en prison et confronté à ses appels téléphoniques et à la perspective de passer Noël en prison a fini par parler et révéler un système de financement occulte et de corruption reposant pour l’essentiel sur la Soginorpa et sa maison mère l’Epinorpa, ainsi que sur la SEM Adévia. Cela tombe bien, ces trois organismes ont fait l’objet chacun d’un rapport de la Chambre régionale des comptes qui met à jour de graves dysfonctionnements(ici, ici et ici). La CRC a aussi fait un rapport sur la centrale Foncière, dossier égalemnt très suspect
Jean Pierre Kucheida, député maire de Liévin (réputée pour être la ville ayant le plus d’adhérents au PS) depuis 1981, qui préside la Soginorpa et est vice-président de Adévia, qu’il a présidé entre 1983 et 1991, est aujourd’hui au cœur de l’affaire qui secoue le PS. Pour l’histoire du financement occulte bien sûr, mais surtout pour enrichissement personnel : il disposait d’une carte bleue de la Soginorpa qui lui a servi à payer des dépenses personnelles, n’ayant manifestement rien à voir avec l’objet social de l’entreprise.
Les Inrocks et Alain Alpern ont manifestement été informés par le syndicat CFDT de la Soginorpa qui, scandalisé par les détournements de toutes sortes, a fait réaliser un audit comme il en a le droit. Il dénonce « les emplois fictifs, les personnes qui travaillent en réalité pour la mairie de Liévin, les amis politiques payés des sommes astronomiques ».
Marine Le Pen, élue à Hénin, va certainement chercher à surfer sur cette affaire. Il faut cependant noter que Steeve Briois, son prédécesseur à la tête du FN sur place, est membre du conseil d’administration de la Soginorpa mais n’a jamais utilisé cette fonction pour autre chose que dénoncer des situations que d’autres avaient mis à jour(pour ce genre de choses, il ne suffit pas de hurler, il faut être compétent...).
Si la tempête va souffler sur le PS du 62 suite à toutes ces révélations, il est probable qu’on y retrouve très vite le nom de DSK. Le Monde a noté il y a quelques semaines que ce dernier fréquentait beaucoup la région Nord Pas de Calais, où il comptait de nombreux amis politiques.
Le Point a publié ce vendredi 9 décembre une photo parue à la Une de la Voix du Nord le 25 octobre, et montrant DSK dans son bureau de Washington avec Jacques Mellick fils, président du club "A gauche en Europe" pour le département 62 et un homme présenté alors comme Fabrice Paszkowski, l'organisateur des fameuses parties fines tarifées, mis en examen et écroué dans l'affaire du Carlton. Il s’agit en fait de Patrick Pique, ancien directeur général de l'Association hospitalière Nord-Artois cliniques (Ahnac), entreprise également en difficulté financière. Il se trouve que la femme de Patrick Pique est chargée de mission à la Soginorpa d'après Alain Alpern.
Il se dit aujourd’hui que l’affaire du Carlton a été découverte par la justice à l’occasion de ses enquêtes sur le prolongement de l’affaire d’Hénin et du financement occulte du PS. Mais on en saura sans doute plus dans les semaines qui viennent.
Ces scandales ne prouvent pas que la démocratie ne fonctionne pas : ils montrent au contraire qu’en démocratie ces scandales ne peuvent être cachés indéfiniment. Comme pour les problèmes des Balkany, ils surgissent dans une région où un camp (ici la gauche) est tellement majoritaire que l’alternance ne vient pas corriger les dérives éventuelles. Le trio cité par les Inrocks, Kucheida, Mellick et Percheron, était déjà en place il y a trente ans. Le pouvoir corrompt, et plus le temps passe, plus les responsables se laissent aller. Pour éviter ce genre de problème, la seule solution est d’interdire plus de deux mandats consécutifs (en évitant les solutions d’alternative du type Poutine Medvedev !).
Il faut cependant regretter que ces détournements financiers se soient faits dans une région pauvre de notre pays, au détriment d'une population qui n'avait pas besoin de cela en plus!
Un de mes lecteurs m'a envoyé des photos de la résidence de Léon à l'origine de l'affaire des avions taxis. On y voit les dégradations subies suite à des actes de malveillance:
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