L’élévation du niveau de formation initiale et la multiplication des sources et canaux d’informations ne semblent pas se traduire par une diminution des fausses croyances comme l’espéraient les républicains du 19ème siècle. Les thèses complotistes ou les fausses rumeurs ne facilitent pas le bon fonctionnement de la démocratie !
La plupart de mes collègues de travail ont une formation bac +5, souvent parmi les plus prestigieuses. Cela ne les empêche pas d’être convaincus d’idées qu’une recherche rapide sur Internet leur montrerait pourtant comme complètement fausses et ne reposant strictement sur rien. Deux exemples qui me viennent à l’esprit : cette fraiche émoulue de Sciences Po qui était sûre que l’espérance de vie diminue ou cette économiste distinguée persuadée que l’Eglise catholique avait attendu le concile de Macon au 6ème siècle pour décréter que les femmes ont une âme.
Tout cela n’a sans doute guère d’importance si ces convictions n’ont pas d’impact sur leurs actes et leurs décisions quotidiennes, ou électorales ! Le problème est qu’il y a autant d’idées fausses répandues sur des sujets qui sont par exemple au cœur des échéances électorales ou sur lesquels les décideurs sont très sensibles à l’état de l’opinion.
On se souvient de ces électeurs qui étaient persuadés que la victoire du « oui » au référendum constitutionnel sonnerait la fin du SMIC ou du droit à l’avortement. Mais sans aller jusque-là, j’ai souvenir d’une discussion quelques jours après le scrutin (donc avec moins d’enjeu) où mon interlocuteur, lui aussi bac +5 est tombé des nues quand je lui ai dit que le budget de l’UE représentait environ 1% du PIB.
En surfant sur le net, j’ai trouvé ce site de Bruno Fay, un journaliste qui vient de publier un livre sur la « complocratie ». Il observe que l’avènement d’Internet a donné la possibilité à n’importe qui de propager les plus folles rumeurs, la volonté des médias d’être toujours les premiers sur l’information ayant fortement diminué le sérieux de la vérification de l’information.
Laurent Mucchielli a rassemblé plus d‘une vingtaine de chercheurs sur son site qui « se veut un observatoire de la pensée sécuritaire, des discours de la peur et des pratiques qui en découlent dans tous les domaines de la vie sociale. Le sous-titre du site dit bien la nature de son contenu : ressource documentaire et analyse critique ».
Le site semble avoir de l’affluence, dans un domaine où il y a un travail énorme à accomplir, tant la phobie sécuritaire fait la une des médias, chaque fait divers étant l’occasion d’une nouvelle escalade. La réaction à l’article où j’expliquais que le nombre d’homicides n’a jamais été aussi bas en France montre que la plupart de nos concitoyens sont persuadé que nous vivons dans un monde beaucoup moins sûr qu’il y a trente ans.
L’un des derniers articles du site intitulé « M Le Maudit : fiction ou anticipation ? » fait froid aux yeux, en montrant que la phobie des délinquants sexuels est en train de provoquer des psychoses aux dépens de gens pourchassé comme des délinquants sexuels sur une simple présomption.
Mes lecteurs savent que je combats les discours alarmistes des antis nucléaires, en essayant de confronter les données dont on peut disposer à la propagation de l’émotion et de la peur. Dans son dernier article, Dirty Denis évoque une étude récente qui montre que les sites les plus polluants d’Europe sont les centrales thermiques au charbon. Grâce à son parc nucléaire, la France éviterait 6000 morts par an par maladies respiratoires causées ou aggravées par la pollution. Comme il affirme au passage que l’accident de Fukushima n’a « aucune conséquence sanitaire sur la population environnante », il se trouve un commentateur pour répliquer qu’il y aura des retombées « c’est une évidence », avec cet argument définitif qui laisse la place à tous les fantasmes « on pourrait tout autant y intégrer les morts potentiels futur que va faire le nucléaire ».
Il est vrai que l’on retrouve ici le retournement de raisonnement et de charge de la preuve qu’appliquent tous ceux qui manquent de faits avérés pour propager leur thèse. Pour les complotistes, toute coïncidence est une preuve, pour les prophètes de malheur, si les conséquences tragiques ne sont pas encore visibles, cela viendra forcément dans 5 ou 10 ans.
Il est vrai que les idées reçues mais fausses ne sont pas forcément là par hasard, comme le montrent les deux exemples cités au début de l’article
Affirmer que l’espérance de vie diminue est un excellent argument pour lutter contre les réformes des retraites et/ ou prétendre que les attaques contre le système écologique détruisent notre santé nettement plus qu’hier.
De la même manière, la légende du concile de Macon permet aux athées combattants d’attaquer l’image de l’Eglise : ce n’est pas un hasard si Michel Onfray l’a reprise dans un de ses livres.
Il me semble que l’une des raisons de la perméabilité de l’opinion à des thèses sans fondements vient de la masse des informations qui conduisent à accorder de moins en moins de temps à chacune d’elle. J’avais ainsi entendu il y a quelques années un ancien présentateur de télé expliquer qu’en dix ans, le nombre de sujets traités dans un "vingt heures" avait été multiplié par deux, ce qui se traduisait bien entendu par deux fois moins de temps consacré à chacun d’eux.
Au moment du règne de Twitter, l’information se veut de plus en plus brute et résumée, donc de plus en plus simpliste. Comment intégrer ces informations brutes correctement si on n’a pas un fonds culturel solide ?
C’était ma minute de vieux bougon
Les commentaires récents