Mohammed ElBaradei, ancien directeur de l’AIEA et à ce titre prix Nobel de la paix en 2005, énonce ce qui devrait paraître une évidence : pour répondre aux besoins de la population, singulièrement celle des pays émergents, tout en évitant le réchauffement climatique, le nucléaire civil est incontournable.
Le Monde, toujours prêt à donner la parole aux écologistes et à leur discours catastrophiste, consacre cette fois ci une page complète à celui qui fut directeur de l’Agence (onusienne) internationale de l’énergie atomique, agence qui a reçu en 2005 le prix Nobel de la Paix pour ses efforts contre la prolifération des armes nucléaires.
Le titre de l’article en résume un élément important : on ne peut se passer du nucléaire. Le Prix Nobel note qu’il y a actuellement 1.5 milliards d’humains privés d’électricité, et que 65 réacteurs sont en construction dans 15 pays. L’organisme qu’il a dirigé prévoit que la part du nucléaire dans la production d’électricité passe de 14% aujourd’hui à 24% en 2050.
« Si vous sortez du nucléaire, vous dépendez du pétrole et du gaz, dont les prix augmentent fortement. Et comment alors, lutter contre le réchauffement climatique ? »
M ElBaradei insiste aussi sur une deuxième idée : il faut passer à un contrôle international des centrales, avec des audits menés par des experts internationaux, et en sortie des décisions qu’il qualifie lui-même de « brutales », pour fermer des vieilles centrales de type RBMK (comme à Tchernobyl, sans enceinte de confinement)ou les réacteurs de type Fukushima, des centrales construites il y a trente ans ou plus, quand les contraintes étaient moins drastiques, et que l’on n’avait pas tiré tous les enseignements des accidents de Three Miles Island ou Tchernobyl.
La France, qui a la chance de proposer (notamment avec AREVA) des prestations haut de gamme dans le domaine, a en fait tout intérêt à un durcissement des règles et à une internationalisation des contrôles.
Et pourtant, après les prochaines élections présidentielles et législatives, on risque fort de se retrouver avec un gouvernement voulant arrêter le nucléaire, à un rythme qui dépendra probablement des poids respectifs du PS et d’EELV dans la future assemblée.
La position des écologistes, ou du moins de ceux qui affichent cette étiquette en politique, est symptomatique de la grande difficulté à remettre en cause, y compris devant les faits, les combats que l’on a longtemps menés.
De nombreux écologistes (pas tous encore une fois) ont grandis dans le rejet du nucléaire, dans les combats à Fessenheim ou contre Superphénix. Partisans de la sortie du nucléaire, ils proposaient des solutions alternatives avec les économies d’énergie, les énergies renouvelables mais de fait aussi le recours aux énergies traditionnelles, charbon, pétrole ou gaz.
Petit détour personnel au passage : jeune étudiant (il y a très longtemps !) j’ai fait mon travail de fin d’études sur les énergies renouvelables, d’où je suis sorti avec la conviction que la priorité devrait être donnée aux économies d’énergies et que c’était de la folie de gaspiller un produit aussi précieux que le pétrole en le brûlant pour le chauffage. Quelques temps plus tard, devenu ingénieur dans les mines de charbon du Nord Pas de Calais, je me suis retrouvé dans une réunion publique sur la politique énergétique avec des écologistes qui proposaient de renoncer au nucléaire, et prônaient parmi d’autres solutions, la relance charbonnière dans ma région. Cela signifiait que pour éviter un risque qu’ils estimaient considérable mais qui n’était pas certain, ils étaient prêt à relancer une activité dont on savait pertinemment qu’elle avait fabriqué des silicosés par dizaines de milliers, et dont je voyais tous les jours les ravages effroyables qu’elle faisait chez les travailleurs.
Dans les années 70, il y avait d’un côté les porteurs du développement du nucléaire qui avaient tendance à avoir un comportement de technocrates, à ne guère expliquer ce qu’ils faisaient et à prétendre qu’il n’y avait strictement aucun risque de défaut. De l’autre côté, on avait des anti nucléaires qui assimilaient facilement nucléaire civil et bombe atomique (on le voit encore), pour qui les centrales nucléaires allaient se traduire par des cancers en série chez les travailleurs et dans les environs, et par des anomalies génétiques massives dans la population vivant à proximité (la notion de proximité pouvant être assez extensive chez certains). Je n’exagère rien : j’ai entendu il y a quelques mois Anne Sylvestre en concert chanter une chanson qu’elle avait écrite dans ces années-là et qui évoque cette idée, le plus fort étant qu’elle la chante encore.
Depuis, Three Miles Island, Tchernobyl et maintenant Fukushima ont un peu rabattu le caquet de ceux qui disaient qu’il n’y avait strictement aucun risque : on est revenu à ce que les industriels savent depuis très longtemps, et que mon séjour à la mine m’a appris : le zéro défaut n’existe pas. Mais par contre on peut progresser de manière considérable en sécurité (et aussi en qualité) avec des outils d’analyse utilisés systématiquement, et surtout en apprenant de ces échecs : si le règlement de la mine était écrit avec du sang (c’est à dire suite à des accidents souvent mortels), la technologie et les pratiques professionnelles dans le nucléaire ont beaucoup appris des accidents évoqués ci-dessus.
Les responsables du nucléaire civil ont aussi compris depuis longtemps qu’il leur fallait progresser en transparence. De ce côté-là, les efforts sont déjà très anciens, et je trouve notamment que ce que fait l’ASN est assez remarquable. Mais la perfection n’est pas encore là : lors de l’accident de Marcoule le 12 septembre dernier, on nous a affirmé que les 4 tonnes d’acier dans le four ne contenaient que 67 000 becquerels, soit moins au kilo que ce qu’il y a dans le corps humain (environ 100 becquerels par kilo, moitié potassium 40, moitié carbone 14). En fait, l’ASN, en classant l’incident au niveau 1, nous a appris que « Après vérification par l’ASN, il s’avère que le four de fusion contenait, au moment de l’accident, une charge d’environ 4 tonnes de métal pour une activité de l’ordre de 30 MBq et non de 63 kBq comme l’a initialement indiqué l’exploitant. Si cette valeur reste faible, l’ASN a cependant demandé à l’exploitant des explications sur les raisons de cette sous-évaluation. »
Reste qu’en manière de politique énergétique comme souvent ailleurs, le choix n’est pas entre une solution sans risque et une solution risquée (ce genre de choix facile a été tranché depuis longtemps), mais bien entre des solutions qui ont toutes des avantages et des inconvénients. Rappelons pour mémoire que ce sont des associations écologistes locales qui ont bloqué depuis 30 ans, sous les prétextes les plus divers, les projets de nouveaux barrages hydrauliques (notamment sur la Loire), alors que l’hydraulique est du point de vue énergétique une des solutions les plus favorables (à la fois renouvelable et très flexible en fonction des besoins). Des chinois viennent de manifester contre les rejets polluants d’une usine de panneaux solaires et certains amoureux des oiseaux s’inquiètent des ravages faits par les éoliennes.
Mais c’est la prise de conscience des conséquences du réchauffement climatique qui aurait dû amener les écologistes anti nucléaires à remettre en cause leur dogme. Au lieu de chercher à utiliser le développement des énergies renouvelables ou les progrès en économie d’énergie pour diminuer « l’empreinte carbone », ils continuent à faire de la réduction puis la disparition du nucléaire civil l’alpha et l’oméga de leurs propositions en matière énergétique.
Bien sûr, il y aura toujours des écologistes idéologues pour refuser de voir que l’Allemagne produit beaucoup plus de CO2 que la France, ou que sa sortie du nucléaire se traduira par un appel augmenté au gaz. Mais qui explique que le volume de la production éolienne varie de 1 à 100 dans un même mois, indépendamment évidemment des besoins en électricité, et que pour compenser, il faut un parc massif de barrages hydrauliques ou de turbines à gaz ?
Il faut dire que si les technocrates du nucléaire ont tiré les leçons des accidents de leur filière, ce n’est pas le cas des anti nucléaires qui ont vu dans Tchernobyl et maintenant Fukushima la preuve de la légitimité totale de leur combat, en refusant de faire le constat que Tchernobyl avait prouvé au contraire que tout en étant très dangereux, le nucléaire l’était moins qu’ils ne l’avaient cru ou voulu le faire croire. S’il reste des fanatiques pour prétendre le contraire, le bilan humain de Tchernobyl est moins catastrophique que ce qu’on pouvait imaginer(on attendait des leucémies en grand nombre, il n’en a rien été) et l’explosion de la centrale a fait moins de morts que la silicose dans l’exploitation du charbon du Nord Pas de Calais. A comparer avec Bhopal ou la catastrophe de Courrières en 1906 (1099 morts suite à un coup de grisou), le plus grave accident nucléaire à ce jour, pourtant extrêmement grave, n’est pas hors norme par ses conséquences en termes de décès.
Fukushima illustre de manière encore plus nette les conséquences humaines des choix énergétiques à faire. Si, comme l’affirme ceux qui étudient la question du réchauffement climatique, celui-ci devrait aggraver les catastrophes naturelles que nous subissons, le risque d’aggraver les tsunamis (20 000 morts au Japon) est sans commune mesure avec celui de répéter l’accident de Fukushima, et son bilan humain.
D’autant plus que si l’on suit les propositions de Mohammed ElBaradei, nous avons les moyens de tirer les conséquences d’accidents comme celui de Fukushima pour éviter qu’ils se répètent, quand nous sommes malheureusement encore incapables d’éviter les tremblements de terre, les éruptions volcaniques ou les raz de marée !
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