Le nombre de tués sur la route est en augmentation cette année, ce qui pousse le gouvernement à durcir la répression. Une action qui suscite des réactions même chez les blogueurs. Les députés UMP qui craignent l’impact électoral des mesures prises ont réagi vivement, sans effet apparemment.
Sur les quatre premier mois de l’année 2011, il y a eu 1267 morts sur les routes, soit une hausse de 13% sur le nombre de tués en 2010, mais un niveau proche de celui atteint en 2009. Cette augmentation était crainte par ceux qui s’étaient opposés à l’assouplissement du système de permis à points organisé par la loi Loppsi 2, votée à l’automne et promulguée le 15 mars 2011 au Journal Officiel.
Le gouvernement a donc décidé de prendre des mesures pour essayer d’endiguer le phénomène. Les réactions se focalisent sur celles consistant à supprimer les panneaux avertissant de la présence d’un radar automatique et à interdire les systèmes anti radars, Les fabricants de ces derniers, menacés de mort économique, tentent d’organiser la protestation des automobilistes.
Deux des blogueurs que je lis régulièrement s’expriment ces derniers temps sur ce thème de la sécurité routière. Dans les deux cas, il s’agit d’hommes (comme beaucoup de blogueurs que je lis, il est vrai, mais je précise car il semble que les hommes et les femmes n’ont pas le même comportement au volant), d’âge mur (c'est-à-dire plus jeunes que moi, mais n’ayant plus 20 ans depuis longtemps) et raisonnables (c'est-à-dire ayant l’habitude sur leurs blogs respectifs de faire preuve de réflexion et ne donnant pas l’apparence d’être des excités !), de positionnement politique modéré. On pourrait donc s’attendre de leur part à de la sagesse : apparemment, la sagesse dans leur cas ne consiste pas à approuver les yeux fermés la position répressive du gouvernement en matière de sécurité routière !
Le premier, Dirty Denis, est un motard militant, qui s’en prend régulièrement aux actions menées contre la liberté des motards. Je l’apprécie suffisamment pour passer généralement quelques temps à table avec lui lors des République des blogs. Il illustre bien l’une des postures des opposants à une mesure : il en conteste la légitimité, par exemple ici en montrant que les statistiques utilisées proviennent d’un organisme qui est tout sauf indépendant. Le 22 mars, il s’était fendu d’un article à ce sujet, montrant que les statistiques publiées mesuraient non pas la délinquance supposée mais l’action de la police : le nombre d’automobilistes contrôlés avec x% d’alcool dans le sang dépend évidemment du nombre de contrôles faits !
Il était également intervenu en commentaire sur un article que j’avais publié le même jour, d’une part pour faire remarquer que les causes des accidents ne sont pas seulement l’alcool et la vitesse, d’autre part pour mettre en lien un rapport qui alertait sur le risque de tirer de faux enseignements à partir de statistiques sur un nombre trop restreint d’événements.
Méthode classique consistant à pointer des faits incontestables pour instiller le doute et décrédibiliser la position adverse, alors qu’en réalité il s’agit de ne regarder que la partie du problème qui vous arrange : comment Denys va-t-il remettre en cause la réalité de la croissance de la mortalité sur la route, maintenant que les résultats sur 4 mois confirment ceux observés sur les deux premiers, et que l’incertitude statistique a nettement diminué ?
La position de Frédéric LN est différente puisqu’elle porte plus sur la méthode que sur le fond et qu’il semble surtout reprocher aux mesures gouvernementales de ne pas avoir été proposées par François Bayrou (j’exagère, mais si peu…), après avoir décrit longuement la manière dont les comportements au volant ont changé dans notre pays à la mi 2002.
Tout son article donne le sentiment d’un homme favorable à la diminution des morts aux volants et écoeuré par les comportements dangereux au volant. Tout sauf la conclusion qui met en avant une crise de confiance entre le gouvernement et les Français. Et cette petite phrase que je lui reproche dans un commentaire « protéger nos vies contre les chauffards » comme si les chauffards étaient bien entendu les autres.
Si le gouvernement n’arrive pas à convaincre des hommes raisonnables et sages, l’un parce qu’il est motard avant tout, l’autre parce qu’il n’a pas politiquement confiance dans ce gouvernement, comment pourrait il convaincre l’ensemble des français, et en particulier tous ceux qui voient leur nombre de points descendre dangereusement sur leur permis, sans compter ceux qui, apparemment de plus en plus nombreux, n’hésitent pas à conduire sans permis ?
C’est bien sûr une question majeure pour tout gouvernement, mais cela l’est encore plus ici, car la question majeure n’est pas d’imposer de force ses mesures, mais de changer le comportement des conducteurs. La manière dont ce résultat a été obtenu en 2002 est donc à observer attentivement. Et chance, Frédéric LN nous l'a décrit partiellement et publie un schéma qui montre bien qu’il y a eu une rupture mi 2002 sur le sujet.
En 1971 le nombre de morts sur la route culmine à plus de 16 000, soit 3% des décès de l’année. A partir de cette date, et malgré une augmentation continue du nombre de voitures en circulation et de kilomètres parcourus, le nombre de tués va baisser presque tous les ans, en raison de nombreuses mesures mises en place progressivement. Pour mémoire, d’après Wikipédia, il y a dans le monde 13 millions de morts sur la route par an, essentiellement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, la Russie détenant un record avec 35 000 morts par an(soit nettement moins par habitant que ce que la France connaissait en 1971).
Comme le fait remarquer Denys, les causes d’accidents sont multiples, et les autorités vont donc agir sur de multiples fronts, ce qui explique qu’entre 1985 et 2005, le nombre de tués a pu être divisé par 2 alors que le trafic augmentait de 80%. Avant même 1971 avaient été instituées des mesures particulières pour les conducteurs débutants, dont toutes les statistiques montrent qu’ils ont plus d’accidents que les autres.
Des actions vont donc être menées sur les véhicules, pour les rendre plus sûrs (le contrôle technique par exemple) ou pour qu’ils protègent les passagers en cas d’accident (ceinture de sécurité, comportement de l’habitacle en cas de choc, air bag ….) et sur le réseau (suppression progressive des points noirs ou passage en fonctionnement alterné des routes à trois voies, aménagements des carrefours dangereux etc.).
La sécurité routière a toujours mis en avant deux causes qui ont trait au comportement des conducteurs et qu’elle estime les plus importantes dans l’explication de l’accident et dans sa gravité : la conduite sous l’effet de l’alcool et la vitesse du véhicule. Il y a donc eu toutes une série d’actions dans ce domaine.
Le résultat de ces différentes mesures a été positif, puisque la mortalité sur la route a diminué presque tous les ans, avec quelques à coup : des augmentations en 1986,1988 et 1998, et des baisses qui varient entre 2 et 6% (l’année 1987 est une exception, la baisse de 10% se situant entre deux années de hausse).
Cependant, l’examen de l’évolution du nombre de morts dans le temps montre une rupture en 2002/2003. En 30 ans, de 1971 à 2001, le nombre de morts a été divisé par un peu plus de 2 pour arriver un peu en dessous de 8000. Une nouvelle division par deux va se produire entre 2001 et 2010, la plus forte baisse se produisant en 2003, avec une baisse de plus de 1500 du nombre de morts par rapport à l’année précédente, cette année 2002 étant pourtant celle où le comportement a changé.
Depuis quelques années, de nombreuses voix s’élèvent contre les lois d’amnistie : à l’approche des élections, les automobilistes sont moins respectueux des règles, sûrs que leurs éventuelles contraventions sauteront avec l’amnistie qui suit traditionnellement l’élection. Surtout, les médias se mettent à consacrer une part croissance du temps disponible aux accidents mortels les plus spectaculaires. Avec 6549 accidents mortels sur l’année 2002, dont plusieurs centaines causent plusieurs pertes de vie humaine, il n’est pas difficile de trouver un accident spectaculaire, presque tous les jours. Dans la liste des principales catastrophes routières, on trouve trois événements en 2002, causant respectivement 6, 6 et 5 morts.
Pourquoi les médias ont-ils ainsi décroché la grosse artillerie? Sans doute comme d’habitude, parce que le premier sujet a « marché », ce qui a poussé à insister sur un bon « filon » pour l’audience.
Par une alchimie impossible à décrypter, mais dont l’une des causes est le besoin des citoyens de vivre dans une société apaisée, une opinion majoritaire s’est construite autour du rejet de ces accidents et de la vitesse. A un moment donné, les français se sont mis tous ensemble à respecter les limites de vitesse : le changement était visible pour les conducteurs sur l’autoroute par exemple.
A partir de là, il était possible pour le gouvernement d’installer les radars qui allaient contribuer à maintenir (pas complètement) ces nouveaux comportements.
Les résultats obtenus sont impressionnants, mais avec le temps, le nombre de mécontents a augmenté, en particulier tous ceux à qui les contraventions et les pertes de points dues aux radars automatiques coûtent chers.
Au point que les députés UMP ont obtenus l’automne dernier un assouplissement des règles dans le cadre de la loi Loppsi 2. Il est difficile de ne pas faire le lien entre cet assouplissement et la recrudescence des accidents mortels cette année.
Pour justifier de nouvelles mesures, il vaut mieux qu’il y ait consensus (ou opinion très majoritaire)pour penser que la situation est inacceptable d’une part, que les actions qui visent les automobilistes ne sont pas les seules, et qu’on agit par ailleurs sur les autres leviers que sont par exemple l’état des routes ou des véhicules. C’est dans ces seules conditions que l’on peut avoir une action fortement légitime, légitimité importante dans ce domaine où il s’agit de faire évoluer les comportements.
Le gouvernement s’est alors retrouvé coincé ;: soit il attendait que les mauvais résultats fassent grimper la proportion de gens convaincus de la nécessité d’agir, mais il se retrouvait en attendant avec le reproche d’une partie de l’opinion de ne rien faire, soit il agissait vite mais avec une partie notable de l’opinion en situation d’opposition.
Il faut noter ici que la répartition des opinions n’est pas le seul critère. S’il y a 60% de gens favorables mais sans beaucoup de détermination et 40% de gens contre mais très déterminés, il est difficile d’agir Or ici, il y a sans doute un « marais »plutôt inquiet du nombre de tués sur la route, un nombre réduit de personnes scandalisées du problème et un nombre assez important de personnes qui sont contre les contrôles : ce sont ces derniers qui parlent le plus fort.
Dans cette situation, la tentation du gouvernement sera de céder. Je souhaite qu’il ne le fasse pas.
A noter que pendant que je préparais cet article, un troisième blogueur a émis un article sur le sujet. Il s’agit de Hugues, qui a un âge proche des précédents et qui connaît bien le domaine pour avoir travailler longtemps comme journaliste dans le milieu de l’automobile. Il reproche au gouvernement sa démagogie trop à l’écoute des automobilistes en colère.
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