Après avoir noté un certain nombre d’éléments qui font qu’il fait plutôt bon vivre chez nous, il me faut aborder ce qui va moins bien en commençant par ce qui me semble aujourd’hui le plus nocif, le développement en France d’une société de défiance, dont le caractère s’aggrave d’années en années.
Mes lecteurs habituels savent que je fais allusion ici au livre d’Algan et Cahuc, "la société de défiance », livre qui montre d’abord que la confiance des citoyens envers leurs institutions et envers leurs voisins et même eux même est une des plus faibles de l’OCDE. Les auteurs expliquent ensuite que le développement d’un système de protection sociale à caractère corporatiste dans un pays organisé selon une logique étatiste a produit un effet détonnant et délétère.
Peut on suivre Algan et Cahuc sur le fait que la défiance est plus forte chez nous que chez nos voisins, qu’elle vient du mélange de l’étatisme et du corporatisme et faut il y voir l’élément le plus nocif du pays ? Je répondrais positivement à ces trois questions ci-dessous
D’abord la spécificité française : une enquête récente de l’IFOP(merci Aymeric) montrait la part des français qui avaient confiance dans telle ou telle institution. Les plus appréciés sont les maires avec 63% de réponses positives. Il faut noter que les 37% de réponses négatives représentent une augmentation nette par rapport à ce qu’on pouvait observer il y a 10 ou 20 ans, de mémoire de Verel
Mais les maires sont les seuls à avoir plus d’opinions favorables que défavorables. Suivent les chefs d’entreprises (42% ) l’Union Européenne (41%), le parlement (38%) les syndicats (36%), l’Etat (34%) les médias (26%), les autorités religieuses (21%) et les partis politiques (11%)
Les sondages qui donnent un très bon score à Marine le Pen en 2012, voire la mettent en tête, illustrent l’une des conséquences de la défiance des français envers la classe politique au pouvoir, le PS ne bénéficiant pas vraiment de la faiblesse de la droite.
Cette dernière phrase, écrite avant les cantonales, a été abondamment prouvée par ces dernières, le fort absentéisme étant un signe peut être encore plus fort que le vote pour le Front National. Mais on trouve aussi parmi les questions mises en avant par les électeurs frontistes ce sentiment de plus en plus présent que les élites ne font marcher le système qu’à leur propre bénéfice.
Ce qu’on peut lire régulièrement sur Internet va dans le même sens. On a vu en particulier au moment de la réforme de retraites les reproches faits aux parlementaires, notamment à propos du système avantageux qu’ils se sont octroyé.
Il n’y a pas que les parlementaires qui sont montrés du doigt pour la manière dont ils sont privilégiés par le système : un jour ce sont les banquiers (y compris les employés), un autre jour les fonctionnaires, un autre jour encore les salariés d’EDF ou de la SNCF.
Il n’y a pas que les régimes de retraite qui posent question : les niches fiscales sont également pointées du doigt, en commençant bien sur par celles des plus riches, notamment le bouclier fiscal, erreur politique de Nicolas Sarkozy s’il en est. Le, rejet après tout assez sain de l’iniquité touche les conséquences du corporatisme, qui pendant un certain temps étaient plutôt vécues comme un objectif tentant, un but à atteindre pour ceux qui n’étaient pas encore privilégiés.
Mais la méfiance généralisée va plus loin que le simple rejet de la classe politique ou des élites. On en a vu un élément récemment avec cette étude qui montrait que les français sont aujourd’hui ceux qui ont la vision la plus pessimiste pour l’avenir à court terme de leur économie. Pourtant, la situation économique de notre pays est loin d’être la plus mauvaise des pays de l’OCDE, que l’on pense par exemple à la Grèce, l’Islande ou l’Espagne. Il y a bien un manque de confiance spécifique chez nous.
Algan et Cahuc pointaient dans leur livre l’impact négatif de cette défiance sur l’économie : je leur laisse la responsabilité de ce jugement qui parait plausible mais dont je serais bien en peine de mesurer l’importance. Je suis plus sensible à l’impact de cette défiance sur le « vivre ensemble » qui est pour moi un élément important de la qualité de vie.
Un autre impact de cette défiance est l’extrême difficulté à réaliser des réformes, de toutes natures, au moins celles qui ont besoin pour réussir d’un minimum d’adhésion. La défiance alimente la peur, de l’avenir ou de l’étranger, du changement comme du progrès technique, et elle rend crédible les rumeurs les plus folles ou les idées les moins efficaces.
Comment débattre démocratiquement du nucléaire et de sa place dans notre pays si une partie importante de la population pense qu’on ne lui dit pas la vérité sur le sujet ?
Bien entendu, cette méfiance rejaillit sur les votes, comme on l’a vu en 2002 et en 2005, et comme on risque encore de le voir en 2012 ou en 2017 : la méfiance alimente le vote extrême.
Rebâtir la confiance des français devra être une priorité pour le gouvernement qui sera installé après les élections de 2012. Il faudra pour commencer mettre en place des mesures crédibles pour que les membres de ce gouvernement et leur entourage ne puissent plus se comporter comme étant au dessus des lois. Il faudra ensuite faire de même pour les élus.
C’est ensuite seulement qu’il sera possible de mettre en place des mesures pour supprimer tout ce qui concourt à la société de défiance, une espèce de nuit du 4 août pour l’abolition des privilèges. Cela ne sera pas simple : on en supprime pas toutes les niches fiscales sans traiter certaines conséquences économiques néfastes que cela entraînera provisoirement au moins pour certains secteurs. On ne mettra pas en place un système de retraite universelle sans heurter ceux qui profitent le plus du système actuel. Faut il supprimer toutes les mutuelles et donner à tous les français le même droit à la santé ? les questions ne sont pas forcément simples
Cela paraîtra peut être beaucoup trop ambitieux à beaucoup. Mais si c’était la condition nécessaire pour rétablir un véritable fonctionnement démocratique ?
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