Un sociologue peut dire des énormités, cela n’empêche pas le Monde de lui donner la parole, on a envie de dire au contraire. Surtout quand le sujet est le nucléaire, propice aux affirmations les plus péremptoires, peut être d’autant plus qu’elle sont fausses.
Dans un article publié dans le Monde du 22 mars 2011, Annie Thébaud Mony, qui nous est présentée comme sociologue, directrice de recherche honoraire à l’INSERM et spécialiste des questions de santé au travail, ayant publié un livre sur les travailleurs de l’industrie nucléaire, écrit au quatrième paragraphe :
« Engagés dans une lutte acharnée contre le pire –l’explosion nucléaire, aux abords de Tokyo, ville de 35 millions d’habitants »
Non, ce n’est pas les 35 millions d’habitants attribués à la ville de Tokyo qui m’ont fait réagir. Certes, il s’agit en fait de la population de l’agglomération et non de la ville, mais ce n’est là que péché véniel.
Non, vous avez bien lu « explosion nucléaire »
Comme beaucoup de Français qui ne connaissent pas bien le nucléaire, comme probablement beaucoup trop d’écologistes qui prétendent en parler savamment et manipulent des concepts qu’ils ne comprennent pas toujours, peut être mis en erreur par l’utilisation du mot fusion, la sociologue se trompe et nous trompe.
Reprenons donc in extenso le début de l’article du site radioactivité.com concernant les scénarios d’accident :
L'idée est tellement ancrée dans l'esprit du public que les réacteurs sont des bombes atomiques en puissance qu'il assimile généralement les accidents de réacteurs à des explosions nucléaires. A tort, car si les accidents les plus graves ont effectivement pour origine un emballement de la réaction en chaîne, les phénomènes qui entraînent la dissémination des matières radioactives sont des phénomènes plus ordinaires : incendies, explosions chimiques, etc ...
Bien que la distinction puisse paraître académique pour les victimes, il faut savoir qu'un accident de réacteur, même d'ultime gravité, ne peut conduire à une explosion nucléaire.
Cette sociologue nous consacre une page sur les risques subis par les travailleurs du nucléaire, elle est sensée avoir suffisamment étudié la question pour écrire un livre et elle nous écrit ce type d’énormité !
On croit rêver !
Il est vrai que la rédaction du Monde avait déjà frôlé une affirmation du même type dans son édition du 17 mars, sous le titre « Efforts désespérés à Fukushima », avec le sous titre « opération de la dernière chance pour éviter l’explosion » renvoyant à la page 4 avec le titre « Nucléaire, le scénario du pire se dessine au Japon »
Un lecteur attentif de l’article lui même aurait bien compris qu’il n’était pas question d’explosion nucléaire mais chimique et que le risque était des rejets massifs de matière fissile, comme à Tchernobyl.
Mais il n’est pas sûr que c’est ce que la rédaction avait compris !
Il faut croire que le Monde aime donner la parole aux sociologues qui parlent des travailleurs sous traitants du nucléaire, et qu’il n’a guère les moyens scientifiques internes pour vérifier le sérieux de leur dire.
L’édition du 24 mars donne donc la parole à un autre sociologue, Paul Jobin, présenté comme sociologue spécialiste du Japon, maître de conférences à l’université Paris Diderot, et ayant étudié la situation des ouvriers japonais du nucléaire.
A la fin de son entretien consacré aux ouvriers de la sous traitance, le sociologue conclut ainsi :
Début mars, l’association a remis une enquête épidémiologique au ministère des sciences. Portant sur 210 000 anciens salariés du nucléaire, elle visait à vérifier l’effet des « faibles doses » ; comme par hasard, rien d’anormal a été relevé, hormis pour un type de leucémie. Et plus loin, il parle de déni
Évidemment, il ne nous sera pas expliqué ce qui permet de dire que cette étude faite pour le ministère des sciences sur 210 000 personnes (ce qui n’est pas rien !) est fausse. Pourquoi faire ? Chacun sait que si les faits contredisent l’idéologie, se sont les faits qui ont tort. Et un bon sociologue sait que les scientifiques qui servent l’industrie nucléaire sont prêts à tous pour travestir la réalité !
On ne nous expliquera pas non plus ce qui est en jeu derrière ces imprécations. Pourtant, il s’agit d’un sujet extrêmement important, du point de vue scientifique et surtout du point de vue opérationnel ;
A la moitié de son entretien, Paul Jobin évoque le relèvement des doses limites pour les intervenants de Fukushima et écrit
Les risques de cancer augmentent à proportion de ma dose encaissée. Avec des doses de 250mSV, les risques de cancers, d’atteintes mutagènes, ou sur la reproduction sont très élevés.
L’auteur se garde bien de nous dire ce que signifie « très élevé ». un cas sur 3, sur 10, sur 100 ? Non, si le but est de faire peur, il vaut mieux rester dans le flou. !
Mais la vraie question est celle de la proportionnalité. L’affirmation n’a en fait jamais été prouvée, on sait seulement qu’elle est vraie pour les fortes doses, et par précaution, on l’applique pour les faibles doses. Mais il existe un certain nombre d’études qui tendraient à montrer que le risque est nul à faible doses, voire que celles-ci pourraient être bénéfiques, comme c’est le cas pour d’autres poisons.
Certains pointent par exemple une étude sur les liquidateurs de Tchernobyl (pas les plus irradiés, dont certains sont morts très vite) qui auraient 12% de cancers de moins que le groupe témoin. Des expériences sur des rats montrent un effet bénéfique à faible dose.
jmdesp dans un commentaire sur l’article danger radioactif, donne le lien avec un article de Wikipédia sur le sujet .
La question est d’importance : si les effets des faibles doses sont nuls, si le danger n’est pas proportionnel en bas de la courbe, alors il est de bonne politique de répartir les doses sur de nombreux travailleurs (en rajoutant des sous traitants si besoin)
Or, c’est ce que semble montrer l’étude incriminée.
Et l’attitude des autorités concernant les précautions à prendre, renvoit en fait à une idée que le danger n’est pas proportionnel à faible dose.
A combien se chiffrent de faibles doses ? Le site radioactivité.com nous répond :
« Un maximum de 100 millisieverts semble beaucoup pour caractériser les faibles doses, mais aucun effet nuisible n'a été observé chez l'adulte pour des doses inférieures à 200 mSv et chez l'enfant pour des doses inférieures à 100 mSv, ni aucune malformation pour des doses inférieures à 200 mSv ».
Un vrai travail d’information n’aurait il pas consisté à nous présenter ce débat, avec les arguments des uns et des autres ?
Une petite remarque pour finir. Dans son numéro du 18 mars, le Monde, nous parle d’associations de « hibakusha », les victimes survivantes des attaques atomiques de Hiroshima et Nagasaki
Posons nous la question : combien existent-ils encore de ces survivants à un événement qui date de 1945, il y a plus de 65 ans ? Suffisamment jeunes à l’époque pour être encore parmi nous, ayant survécu à leurs blessures et n’ayant pas développé de cancers mortels ?
L‘article de Wikipédia sur les bombes larguées en 1945 sur le Japon nous donne des informations contradictoires : en début d’article, il est fait état de 334 cancers et 231 leucémies, en fin d’article, de 94 cas de leucémies observés entre 1949 et 2000 et de 848 cas de cancers mortels entre 1958 et 19998.
Wikipédia donne pour le nombre de hibakusha une valeur de 250 000 en 2007 proche de celle citée par le Monde pour aujourd’hui : 232 225
Concernant les effets sur la descendance de la population irradiée, Wikipédia notre que « Les résultats du suivi des descendants des victimes d'Hiroshima et Nagasaki (30 000 enfants de parents irradiés, ce qui représente une population statistiquement significative) n'a pas permis d'observer une augmentation des malformations ou des troubles génétiques » A comparer aux remarques de Paul Jodin plus haut
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