Les événements de Tunisie et d’Egypte incitent à relire Emmanuel Todd et Youssef Courbage, qui dans « le rendez vous des civilisations » paru en 2007, estimaient que les pays musulmans étaient simplement en train de vivre leur transition démographique, et que la montée du terrorisme islamique cachait provisoirement une évolution vers la démocratie et la modernité.
Passer de 6 ou 7 enfants par femme à 2, voire moins, ne peut que participer (c'est-à-dire être à la fois une des conséquences et une des sources) d’un changement profond, social, économique, culturel.
Comme l’explique Emmanuel Todd, « le statut de la femme était partie prenante d’un système familial patrilinéaire qui exige que le fils succède au père. Mais, lorsque le taux de fécondité tombe à 2 enfants par femme, nombreux sont les pères qui n’ont pas de garçon et c’est tout le système qui s’effondre »
Pour les auteurs du rendez vous des civilisations, la baisse de la fécondité et l’augmentation du niveau de formation ne peuvent qu’entraîner une remise en cause des régimes anciens. La Tunisie, qui était le pays musulman le plus avancé dans ce domaine après l’Iran, n’a du qu’à sa forte endogamie d’avoir repoussé autant sa révolution.
D’après Wikipédia, l’indice de fécondité était en 2006 de 2 enfants par femme en Tunisie, soit le plus faible des pays arabes.
L’Egypte connaît également une forte baisse de la fécondité, passée de 5.44 enfants par femme en 1980 à 2.8 en 2008, ce qui est un rythme rapide , mais moins qu’en Iran où il a été foudroyant (6.4 enfants par femme en 1986 et 2.8 dix ans plus tard !!!).
Si l’on cherche les pays arabes qui ont le plus faible taux de fécondité, on trouve (Merci l’INED) les résultats suivants (les chiffres donnent le nombre d’enfants par femme selon les données les plus récentes) :
Tunisie : 1.83
Liban : 1.84
Emirats Arabes Unis : 1.86
Koweït : 2.12
Bahreïn : 2.16
Maroc : 2.29
Qatar : 2.29
Algérie : 2.30
Libye : 2.54
Sahara occidental : 2.57
Egypte : 2.73
Oman : 2.88
Jordanie : 2.89
Arabie saoudite : 2.90
Syrie : 3.03
Irak : 3.78
Palestine : 4.66
Yémen : 4.85
En réalité, à part les pays en guerre et le Yémen, tous ces pays sont bien avancés dans la transition démographique. Evidemment, les effets prévus par Todd ne sont pas assez mécaniques pour que l’ordre du changement soit le même que celui de l’évolution démographique. L’Egypte bouge aussi parce que son dirigeant est très âgé et que sa succession pose problème.
A contrario, le relativement jeune âge du roi du Maroc le protège peut être pour l’instant des conséquences de sa situation démographique.
Mais on comprend que Bassma Kodmani, s’appuyant pourtant sur une analyse différente, puisse prédire dans le Monde daté du 20 janvier que « partout dans le monde arabe, d’ici cinq ou dix ans, il y aura un mouvement du type de celui que connaît aujourd’hui la Tunisie ».
PS : l'INED a publié en 2005 une étude de 114 pages sur la démographie du monde arabe et du Moyen Orient de 1950 à 2000 riche d'informations
On y découvre d'abord (voir tableau de la page numérotée 624) qu'en 35 ans, la population a augmenté selon des taux multiplicateurs très élevés :4.3 en Arabie Saoudite, 2.4 en Algérie, 2.12 en Egypte, 2.0 en Tunisie.
La croissance se ralentit fortement, mais à des vitesses très diverses selon les pays. L'ONU prévoit que la population de l'ensemble de la région étudiée passe de 334 millions en 2005 à 445 millions en 2025 et plus de 500 en 2040 (page 625)
La baisse de la fécondité s'explique en premier lieu par une hausse de l'âge des femmes au moment du mariage. dans le cas le plus extrême, celui de l'Algérie, il est passé de 18 ans environ en 1965 à près de 30 ans en 2005. (page 631)
Par contre, l'endogamie (mariage entre cousins ou proches) mise en évidence par E Todd ne semble pas baisser, mais elle ne concerne qu'environ un tiers des mariages (page 635)
La contraception vient maintenant s'ajouter aux effets du recul de l'âge du mariage (voir page 651), en particulier pour les femmes les plus instruites (voir page 649) quoique l'effet du niveau scolaire soit beaucoup plus faible que ce qu'on pourrait imaginer
L'étude comprend également de nombreuses données sur la moprtalité et la santé
Dans sa conclusion, elle insiste sur les divergences entre pays, au delà d'une tendance commune de transition démographique en cours
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