L’altération du discernement au moment du crime, qui devrait jouer comme facteur de diminution de la peine prononcée, conduit au contraire les jurys d’assises à augmenter celle-ci, dans un souci de protéger la société d’une personne ressentie comme dangereuse. Le Sénat prépare une proposition de loi pour changer cette situation.
Le Monde du 26 janvier nous rapporte cette nouvelle et y consacre un article assez complet, qui montre comment l’interprétation d’une loi datant de 1993 (et correspondant à une modification de la rédaction d’un texte plus ancien) amène aujourd’hui les jurys a prononcer des peines plus fortes pour ceux dont le discernement était altéré.
Ceux dont le discernement était aboli ne sont pas pénalement responsables et se retrouvent en hôpital psychiatrique pour une durée qui sera de fait fixée par celui-cii. S’ils posent problème, le médecin pourra imposer une piqûre pour les calmer, avec évidemment tous les risques de dérives que l’on imagine.
Les psychiatres refusant (probablement à raison) de considérer qu’il y a uniquement des sains d’esprit et des gens dont le discernement est aboli, sont souvent amenés à positionner des accusés dans la position intermédiaire du discernement altéré. Ceux qui sont condamnés vont grossir les rangs des prisons.
Pour ne pas trop fantasmer sur cette question de jugement altéré, on pourra imaginer le cas d’individus ayant 1 ou 2 g d’alcool dans le sang (et évoquer quelques cas célèbres d’homicides récents). Faut il les considérer comme des malades mentaux? Faut il les obliger à ne plus boire ensuite ?
A contrario, une personne comme Louis Althusser, maître assistant de philosophie à Normale sup, qui a tué sa femme dans une crise de démence (il était maniaco-dépressif et soigné pour cela depuis longtemps) était il dangereux pour d’autres ? Toujours est il qu'il a fini sa vie dans un hôpital psychiatrique.
Le groupe de travail du Sénat qui a étudié récemment cette question a constaté que les malades mentaux étaient de plus en plus nombreux en prison : 40% des détenus souffrent de syndrome dépressif (mais la prison, ce n’est pas gai !), 8% de schizophrénie et 8% de psychoses chroniques.
Il propose donc un projet de loi « réduisant d’un tiers la peine encourue par les personnes atteintes de troubles psychiatriques au moment des faits tout en renforçant l’obligation de soins pendant et après la détention ».
Cette proposition, présentée par un député UMP, un député PS et un député RDSE, a été approuvée à l’unanimité par la commission des lois. Quand on connaît le sérieux et la qualité des études du Sénat, on comprend que cette proposition a été mûrement réfléchie
L’article du Monde termine cependant en expliquant que le gouvernement y est hostile et que Nicolas Sarkozy a toujours plaidé dans le sens inverse.
La position du gouvernement est assez facile a expliquer : la réaction des jurys d’assises, si elle mélange de manière anormale la question de la sanction et celle de la mise à l’écart d’un individu considéré comme durablement dangereux, montre quel est le point de vue des citoyens : ils sont de plus en plus pour le risque zéro, en particulier dans un domaine qui excite d’autant plus les peurs qu’il est difficile à comprendre.
Quand des criminologues expliquent que le taux de récidive de criminels sexuels est, mettons de 2% (je ne connais pas le chiffre exact, mais je sais qu'il est très faible), ils estiment montrer que ce n’est vraiment pas beaucoup. Le citoyen qui entend ce chiffre considère que c’est beaucoup trop, et il est prêt à garder les 98 autres en prison ad vitam eternam pour éviter qu’il y en ait 2% qui récidivent aux dépens de leurs enfants ou de leurs proches. Nicolas Sarkozy, ne prendra jamais le risque, à l’approche des élections, de suivre la voie de la raison émise par le Sénat
En attendant, l’administration pénitentiaire ne sait pas comment faire avec des gens qu’elle ne peut obliger à se soigner. Il existe un établissement spécialisé pour les malades mentaux, établissement qui semble bien fonctionner. Mais il ne s’y trouve que des détenus que l’on sait comment soigner.
Ailleurs, on bricole, avec des surveillants qui font ce qu’ils peuvent mais qui ne sont pas spécialement formés pour cela. On bourre les gens de cachets, mais on est toujours à la merci de ceux qui ne veulent pas les prendre. Et on manque cruellement de médecins, les candidats ne se bousculant pas au portillon, surtout dans cette période de pénurie dans la profession.
Sur ce sujet, il n’y a pas de bonne solution. Je comprends le raisonnement du Sénat, et son unanimité donne à réfléchir, je comprend la réaction de la société et du gouvernement, je comprends la situation des prisons. Et après, quelle moins mauvaise solution est on prêt à choisir, dans une société rappelons le où le nombre d’homicides n’a jamais été aussi bas mais où tout fait divers sanglant est monté en épingle, une société qui demande sur le sujet le risque zéro ?
Au moment de l’abolition de la peine de mort, la majorité des sondés voulaient la maintenir. Les faits ont montré à ceux qui prétendaient que la criminalité allait augmenter que c’est le contraire qui s’est produit.
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