Etait il possible d’augmenter le taux d’activité des seniors sans toucher à l’âge légal de la retraite ? C’est la question qui vient à la lecture des arguments de ceux qui estiment que le problème des retraites a été pris à l’envers, et qu’il fallait avant tout donner du travail aux seniors.
Dans le Monde daté de jeudi 28 octobre 2010, Anne Marie Guillemard, sociologue qui étudie la question depuis longtemps, estime qu’une bonne réforme des retraites aurait du « « lever les freins à la prolongation de l’activité des seniors dans notre pays ». Pour avoir étudié longuement ce qui se passe dans d’autres pays, elle peut souligner que des pays scandinaves comme la Suède et la Finlande ont adopté des systèmes souples qui laissent le choix aux individus de la date de départ, et que pourtant ils ont un taux d’activité élevé des 55/64 ans. Elle note que, en France, 40% de ceux qui font valoir leur droit à la retraite ne sont plus en activité (chiffre qui me paraît plus plausible que celui de 60% qui circule un peu partout, mais qui est malgré tout exagéré).
J’avoue trouver proche de la mauvaise foi le fait de comparer l’âge médian de sortie du travail (58.9 ans) et l’âge moyen de liquidation de la retraite (61.5 ans). Quand on a besoin de tels procédés pour défendre son point de vue, c’est qu’il n’est pas très solide.
Comme le montre de manière extrêmement détaillée le tableau de bord trimestriel sur l’emploi des seniors, le taux d’activité des 55/64 ans, augmente assez régulièrement, mais à un rythme trop lent. Celui ci correspond environ à un mois de décalage de l’âge de fin de carrière par an, quand il en faudrait en temps normal deux pour garder des ratios actifs / retraités à peu près constants (en raison des gains d’espérance de vie), et sans doute plus dans notre période de papy boom, où l’arrivée des classes nombreuses d’après guerre augmente rapidement le nombre de retraités.
Justement, l’existence même de ce tableau de bord montre un souci de l’exécutif de s’attaquer à la question du taux d’activité des seniors, souci qui s’est manifesté d’une part par la suppression progressive de la DRE (au risque évident de dégrader les statistiques du chômage) et par l’obligation faite aux entreprises de mettre en place des mesures favorables à l’emploi des seniors, sous peine de sur cotisation de 1% de la masse salariale.
Le suivi des mouvements de main d’œuvre que fait le ministère du travail montre que le nombre de sorties et d’entrées des seniors dans le monde du travail est de 50 000 par mois environ. Le taux de rotation avoisinait en 2008 les 20%: sur l’année. C’est déjà beaucoup, mais c’est nettement moins que les 45% moyen tout âge confondu. Les recrutements des seniors représentaient 11% des recrutements, que ce soit pour les CDI ou les CDD,
Pour comprendre quels sont les freins et les leviers pour faire évoluer l’emploi des seniors, il faut cesser de raisonner comme s’il s’agit d’une seule et unique catégorie, et analyser les différentes situations.
La première est celle des fonctionnaires. Une grande partie d’entre eux font valoir leurs droits à la retraite dès qu’ils en ont la possibilité, c’est à dire qu’ils ont atteint l’âge légal et qu’ils ont les trimestres nécessaires à une retraite à taux plein. Repousser l’âge légal ou augmenter le nombre de trimestres nécessaires conduirait presque automatiquement à augmenter le taux d’emploi, puisque les employeurs publics ne licencient qu’extrêmement rarement leurs agents. Rappelons que la fonction publique occupe environ un quart des actifs !
La deuxième catégorie est celle des salariés non fonctionnaires mais bénéficiant d’un régime spécial pour partir à la retraite avant 60 ans. Ils devraient à terme être concernés comme les autres par le report de deux ans de l’âge de leur départ.
Le taux d'emploi (hors les chômeurs donc) des 50/54 ans est de 80.5% et celui des 55/59 ans de 58,4% , ce qui correspond à une différence d'un peu plus de 900 000 personnes sorties de l'emploi et devenus, non pas chômeurs mais inactifs. Dans les 37.6% d'inactifs de 55/59 ans (le taux d'inactifs est de 14.4% entre 50 et 54 ans), il y a 5.4% de bénéficiaires de la DRE, 5.2% bénéficiaires du départ anticipé pour carrière longue, donc environ 12.6% (37.6- (14.4+5.2+5.4)) qui ont bénéficié d'un départ anticipé pour régime spécial, décret amiante, handicap etc.
Avant de passer à d’autres situations, notons ici que nous avons fait l’hypothèse que les salariés partaient en retraite le plus tôt possible, dès qu’ils le peuvent : ce point doit évidemment faire réflexion.
Pour le reste des salariés, il faut revenir à la distinction faite dans une note de veille du CAE en janvier 2007, entre les seniors dont le métier est en décroissance(25%), les seniors dont le métier engendre pour une partie de ses titulaires des handicaps(30%), les seniors qui ne sont pas dans les cas précédents(40%). C’est dans la dernière catégorie qu’on trouve la plus grande diversité des pratiques de départ en retraite, avec certains qui partent tard, éventuellement à 65 ans ou plus, et d’autres qui sont en fin de carrière (pas forcément en retraite) tôt, souvent avant 60 ans.
Il faut donc ici noter le consensus entre certains salariés et certaines entreprises pour organiser une fin de carrière prématurée, par des mécanismes comme les plans de volontariat ou la rupture conventionnelle.
Il faut sans doute là aussi distinguer les grandes entreprises (en particulier celles du CAC 40) et les autres.
Dans les grandes entreprises, les bonnes conditions financières faites aux salariés se traduisent par un turn-over externe assez faible. Ces entreprises jouent sur l’intérim ou la sous traitance pour se donner des moyens de flexibilité, mais cela ne concerne souvent qu’une partie des salariés, ceux de production. C’est le cas dans l’automobile, mais pas dans la banque ou l’assurance.
Pour ces entreprises, les départs prématurés deviennent un des seuls moyens d’ajuster leurs effectifs sans drame. Dans la branche de l'industrie automobile, les départs en retraite représentent un tiers des sorties, dans celle des actions culturelles ou sportives, un sur 200!
. Renault vient de défrayer la chronique en organisant le départ de ses ouvriers avant qu’ils n’aient 60 ans. Les banques ont longtemps fait de même avec les salariés du back office.
Les grandes entreprises mettent l’argent qu’ils faut pour compenser les pertes de salaires liées au départ, mais ceux-ci se font dans un consensus entre les acteurs de l’entreprise pour que les Assedic payent une partie du financement de ces pré retraites déguisées.
Les entreprises plus petites n’ont guère les moyens de ce type d’opérations mais n’ont pas non plus les mêmes besoins de régulation de leurs effectifs, en raison d’un turn-over naturel beaucoup plus élevé.
A défaut d’avoir des raisons d’ordre collectif pour souhaiter le départ des seniors, elles peuvent avoir des raisons individuelles de considérer que tel ou tel n’est plus dans le coup, ce qui les amènera à susciter des départs sous la forme de transaction. De la même manière, des seniors peuvent demander une rupture conventionnelle car ils sont las d’être actifs et souhaitent bénéficier de la retraite.
Le fait est qu’une partie des seniors, au fur et à mesure qu’ils approchent des 60 ans, commencent à compter le temps qu’ils leur reste à faire et se démobilisent. Ceux là ont pris un gros coup de bambou avec la vote de la récente loi !
Que peut on conclure de tout cela sur la manière de faciliter l’activité des seniors ?
L’Etat peut inciter les entreprises à améliorer la gestion de leurs seniors, et il l’a fait, plus ou moins adroitement avec l’obligation des plans seniors. Et il peut s’attaquer à tous les mécanismes qui facilitent les départs prématurés, ce qu’il fait notamment avec la suppression de la DRE. Dit autrement, ce ne sont pas des freins qu’il faut lever comme le veut Anne Marie Guillemard, ce sont des raisons positives pour les salariés de travailler plus longtemps qu’il faut développer. Ces raisons peuvent être financières, mais elles ont aussi beaucoup trait au contenu du travail et à son management !
Soyons honnêtes : il faut avant tout donner aux salariés l’envie de rester et aux entreprises l’envie de garder leurs salariés âgés. Et c’est une question qui se joue localement.
PS : j’avais commencé cet article fin octobre et je l’ai retrouvé par hasard. J’ai décidé de le finir (les ¾ étaient écrits) et de le publier, même s’il n’a plus la même actualité.
Les commentaires récents