Brice Hortefeux considère comme disproportionnée la peine infligée à sept policiers auteurs ou complices d’un faux procès verbal qui aurait envoyé en prison un innocent. Les policiers qui ont manifesté mettent en avant un laxisme supposé des magistrats qui laisse rêveur sur la formation judiciaire dont ils bénéficient.
A l’occasion d’une course poursuite, des policiers en avaient blessé un autre avec leur véhicule et ils avaient accusé le fuyard qu’ils avaient ensuite tabassé. Le pot au rose ayant été découvert et trois policiers ayant reconnu les faits, sept policiers ont été condamnés à de la prison ferme par le tribunal de Bobigny. Les syndicats hurlent aux « deux poids deux mesures » de la part du tribunal de Bobigny accusé de laisser sortir libres les pires criminels et le ministre de l’intérieur estime que notre société ne (devait) pas se tromper de cible : ce sont les délinquants et les criminels qu'il faut mettre hors d'état de nuire"
Pourtant, la faute des policiers condamnés était particulièrement grave, puisqu’il s’agissait d’accuser de tentative de meurtre contre un policier un innocent qui risquait ainsi de nombreuses années de prison (au maximum la perpétuité) en fonction de la qualification des faits. La parole des policiers étant d’autant plus lourde qu’ils sont assermentés.
Condamnés à de la prison ferme, ils n’iront pas forcément en prison, le juge d’application des peines pouvant choisir la solution du bracelet électronique pour des peines de moins de deux ans, ce qu’il fait assez souvent faute de places disponibles en prison. Par contre, si la peine est confirmée en appel, cinq d’entre eux se verront radié de la police en raison de leur casier judiciaire. C’est me semble t-il la moindre des choses pour ceux d’entre eux qui ont continué contre toute vraisemblance à nier les faits : comment leur faire confiance dans ce travail ?
La réaction de Brice Hortefeux est assez révélatrice d’une conception particulière de la délinquance qui me parait extrêmement dangereuse. La justice n’est pas basée sur l’idée qu’il y a les délinquants et les autres, la fonction de l’Etat étant de séparer le bon grain de l’ivraie, mais qu’il y a des personnes qui ont commis des actes de délinquance, qui doivent être sanctionnés. Dans la première acceptation, ceux qui ont commis un acte de délinquance ne sont pas amendables. Pourtant, la moyenne d’âge des personnes condamnées et de la population des prisons tend à prouver que cette opinion est fausse. Ce qui est grave, c’est que le ministre va encore plus loin en semblant considérer que les policiers ne font pas partie des délinquants par nature. Le cas qui a amené l’intervention du ministre prouve au contraire qu’il se trouve aussi parmi les policiers des gens pour commettre des délits, comme dans n’importe quelle part de la population.
Il n’est pas sûr que Brice Hortefeux ait fait un choix électoralement payant : même les commentateurs du Figaro sont majoritairement scandalisés par ses propos !
Les débats à l’occasion de ce jugement comme à d’autres, montrent que deux questions posent problèmes à certains policiers, comme à certains citoyens. On observera au passage que ces opinions sont complaisamment développées dans certains téléfilms français ou étrangers.
La première question porte sur l’importance du respect de la procédure, qui conduit dans certains cas à ce qu’une personne ayant fait un délit avéré ne puisse être condamné pour des raisons de forme. Je dois dire que je suis moi-même assez choqué de cette situation. Mais il ne faut pas se tromper de sujet. Toute l’histoire de la justice montre l‘importance d’une procédure qui respecte les droits de la défense. La récente affaire d’Outreau en est une des dernières manifestations.
Les règles de procédure sont peut être complexes, mais elles devraient être connues de tous les acteurs du système, à commencer par les policiers.
Il est par contre navrant de voir l’attitude de notre gouvernement vis-à-vis d’une question comme la garde à vue. Il est patent depuis plusieurs années que les pratiques françaises seront condamnées un jour ou l’autre par la cour européenne des droits de l’homme, mais le gouvernement se refuse à corriger la loi. Se faisant, il donne à quelques criminels (évidemment pas les sans grades mais ceux qui ont les moyens intellectuels et financiers de faire appel à toutes les possibilités de la justice) les moyens d’échapper à une condamnation méritée : dans l’affaire, c’est le législateur qui est coupable.
La deuxième question porte sur la permissivité supposée des magistrats. On trouvera sur ce point dans les commentaires de l’article d’Eolas des points de vue intéressants, notamment le 45, le 123 et le 130. ainsi que le 148.
Cela me rappelle une vieille histoire (elle a au moins 25 ans) d’un ami qui me citait des policiers ayant arrêtés des jeunes ayant commis un délit et les ayant retrouvés libres quelques heures plus tard. Pour mon ami, c’était évidemment une preuve de justice laxiste. Pour le policier qui lui avait apporté les faits, cela aurait du être une histoire banale et normale : s’il n’y avait pas jugement en comparution immédiate, la norme est de laisser le prévenu libre avant le jugement, l’incarcération devant être l’exception.
Je n’ai pas de moyens de mesurer la supposée permissivité des magistrats mais elle me parait fort théorique au regard des différentes situations que j’ai pu croiser.
Ce qui est frappant cependant dans l’affaire, c’est la réaction syndicale et la manière dont celle-ci met en cause les magistrats.
Dans le monde de l’entreprise privé dans lequel je travaille, la plupart des syndicats sont confédéraux (c’est le cas de la CGT, la CFDT, la CFTC et FO) et on n’imagine guère des attaques d’un corps de métier à l’autre.
Le système de gestion publique fait que les élections aux instances administratives qui suivent les questions d’avancement a généré de fait la création de syndicats corporatistes, dont on voit ici une des conséquences calamiteuses. A travers cet épisode, c’est la société de défiance qui se renforce sous nos yeux.
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