Pour prendre un peu de recul dans le débat estival sur l’insécurité, j’ai profité de mes vacances pour lire un livre d’un spécialiste, Laurent Mucchielli, portant donc le titre « violences et insécurité, fantasmes et réalité dans le débat français ».
L’ouvrage daté de 2001 et mériterait évidemment une mise à jour mais l’essentiel est tout à fait d’actualité. Je me propose donc ci-dessous d’en faire un très bref résumé (forcément restrictif et simplificateur) puis de donner mon avis.
Le résumé du livre
Première partie
Les trois premiers chapitres sont consacrés à montrer que le discours ambiant ne reflète pas la réalité, que ce soit celui des médias, celui des « nouveaux experts autoproclamés » et enfin celui de la police sur les « violences urbaines ».
On ne sera pas surpris par le premier point : on imagine bien comment le coté spectacle peut déformer dans les médias le choix comme le traitement des sujets présentés. On trouvera dans l’un des chapitres suivant un exemple concernant les agressions contre les professeurs au sein de l’Éducation nationale. 40 professeurs agressés (éventuellement verbalement) par an dans le secondaire, cela fait plus d’un par semaine pendant la période de classe, mais cela fait à peine un professeur sur 10 000, alors que les actes qui concernent les élèves eux-mêmes sont beaucoup plus nombreux..
L’auteur montre ensuite comment quelques personnes (Alain Bauer notamment) ont profité d’un discours sur la montée de la violence pour se constituer une crédibilité et servir leurs intérêts propres (de sociétés de conseil sur le sujet auprès des collectivités territoriales notamment).
La police a réagi aux événements de Vaux en Velin et de Sartrouville en organisant au sein des RG une activité de suivi et d’évaluation, dont l’auteur critique la méthode, son caractère peu scientifique et ses a priori de construction (les grosses violences commencent par des petites, version moderne de qui vole un œuf vole un bœuf). Et le discours policier est aujourd’hui porté par des syndicats, dont l’orientation corporatiste est évidente : il s’agit de défendre les intérêts de la police et des policiers avant de chercher à éclairer le débat.
Deuxième partie
Une fois qu’il a démonté le discours ambiant, l’auteur, sociologue directeur de recherche au CNRS, s’intéresse à la délinquance actuelle, à son évolution avant de faire quelques propositions.
La question de la délinquance actuelle conduit l’auteur à traiter celle des statistiques et à montrer à quel point il faut faire attention à leur utilisation, en raison des biais inhérents à leur construction.
Une partie des statistiques sont liées aux plaintes des victimes. Or, la proportion de victimes portant plainte suite à un événement peut varier fortement dans le temps. C’est évident pour les victimes d’abus sexuels, mais cela peut aussi l’être pour des victimes de petits délits : pourquoi aller déclarer un vol si on est convaincu qu’il ne sera pas élucidé et si son montant est en dessous de la franchise de l’assurance ?
Cela conduit le sociologue a un examen de la question des homicides, qui par nature ne sont pas susceptibles de ces biais. Encore qu’il est amené à revoir les résultats officiels, En effet, on observe entre 1972 et 1991 une augmentation forte des homicides et tentatives (passés de 1247 à 2578) mais dans le même temps, les coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort ont fortement baissé (de 706 à 217). On comprend que l’évolution des règles utilisées peut changer la perception des résultats. Il montre au final qu’après une certaine hausse dans les années 80, le taux d’homicides (en incluant tentatives et coups meurtriers) est plus bas en 1998 qu’en 1972.
Une autre partie des statistiques reflète en réalité l’activité policière : celle qui concerne l’usage ou le recel de stupéfiants en est le meilleur exemple. Or le contentieux de s stupéfiants est celui qui a progressé le plus rapidement. Si le ministère de l’intérieur décide de mettre la pédale douce sur les contrôles de vitesse, le nombre d’infractions relevées va diminuer, certainement pas la réalité !
L’auteur tire cinq conclusions de son analyse fouillée des données disponibles :
Les vols et cambriolages sont en hausse constante depuis plus de 40 ans, accompagnant pour lui le développement de la société de consommation (on ne volait pas de portables quand ils n’existaient pas !)
Les violences les plus graves n’augmentent pas, en particulier les homicides (il est impossible de le savoir pour les viols en raison du biais des déclarations)
Les violences les moins graves augmentent au contraire beaucoup, « les pauvres se battent entre eux »
Les pauvres s’en prennent de plus en plus aux institutions publiques. La police l’enregistre d’autant plus quand c’est elle qui est visée mais les autres institutions le sont aussi, y compris les pompiers
La consommation et le trafic de drogues prennent une place de plus en plus grande dans les statistiques mais seule les consommateurs des classes populaires sont inquiétés.
Laurent Mucchielli remet ensuite en cause deux idées : celle d’un lien entre délinquance et nationalité et celle du rajeunissement de la population délinquante.
Sur ce dernier point, il explique que l’augmentation apparente du rôle des mineurs se concentre sur les infractions sur les délits en lien avec les rapports quotidiens entre les jeunes et la police et reflète surtout les consignes données à cette dernière. Il explique ensuite que la délinquance apparaît en général vers 8/10 ans, s’accélère vers 12/13 ans puis vers 15/16 ans pour décroître fortement ensuite et disparaître presque complètement au milieu de la trentaine. Et ceci est vrai depuis longtemps.
Le sociologue consacre ensuite un chapitre à l’histoire de la délinquance juvénile depuis 1950. Après avoir évoqué le déclin du monde rural et le phénomène des blousons noirs,il montre l’impact de la montée du chômage dans les années 70 et 80 , en particulier sur les enfants de l’immigration ouvrière, pris au piège des changements économiques. Il note aussi le risque de ghettoïsation de certains quartiers, la question du contrôle parental et de l’expérience du racisme.
La génération des jeunes beurs a essayé de réagir au début des années 80 avec la Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983, mais le mouvement ne réussira pas à faire évoluer les choses.
Troisième partie
L’auteur conclu le livre par une synthèse de la situation et quelques propositions de réforme.
Il rappelle que la jeunesse des quartiers populaires est doublement victime de la crise économique : par les inégalités sociales et par les inégalités générationnelles que signalaient déjà Louis Chauvel. Pour les nombreux jeunes qui ne trouvent pas les voies de la réussite dans une école qui reproduit plus que jamais les inégalités sociales, la fuite dans la délinquance est tentante.
Les réformes mises en œuvre (politique de la ville, gestion policière des désordres,accélération du traitement judiciaire de la petite délinquance) ne suffisent pas à répondre aux besoins. La création prévue lors de la parution du livre d’une police de proximité parait une bonne solution.
L’auteur propose sept pistes de travail
Sortir le débat de sa crispation sur la police et sur les techniques de sécurité
Comprendre que la réduction du chômage ne résout pas automatiquement les problèmes
Admettre que la question des inégalités se joue fondamentalement à l’école et que pour l’instant celle-ci les entretient plus qu’elle ne les résorbe
Faire de la lutte contre le racisme une véritable priorité
Développer des structures locales de régulation collective dans les quartiers
En finir avec l’hypocrisie de la répression de l’usage du cannabis
En parler autrement et chercher à en savoir d’avantage
Mon point de vue
Beaucoup de bons points à décerner à l’auteur.
Celui-ci était caractérisé par Julie Sedel, dans le dossier Sciences humaines que j’ai longuement commenté, comme un « angéliste » face aux « réalistes » comme Alain Bauer. En réalité, s’il relativise le discours sur la montée de la violence, Laurent Mucchielli regarde les problèmes de façon très scientifique, ce qui l’amène à faire la part des choses entre les violences qui n’augmentent pas (comme les homicides), celles qui augmentent fortement (les violences aux personnes) et les faits nouvellement poursuivis (consommation de drogue ou délits sexuels). Il est donc loin de nier les problèmes
Ce livre a près de dix ans. Il est donc possible d’évaluer certaines des affirmations de l’auteur et de vérifier si les sujets qu’il évoque sont toujours d’actualité. Et le résultat est favorable à l’auteur
Premier exemple : les homicides dont on a vu récemment que non seulement ils n’augmentent pas, mais qu’ils sont en baisse
Deuxième exemple, les mineurs : l’auteur contredit la thèse à la mode à l’époque d’un rajeunissement des délinquants. Or, cette idée avait conduit l’administration pénitentiaire à se demander comment faire face à une forte montée de l’incarcération des mineurs, qui ne s’est pas produite (aujourd’hui, ni les quartiers mineurs ni les EPM ne sont pleins).La récente proposition de Serge Dassault sur le sujet montre que tout le monde n'a pas compris!
Troisième exemple : l’auteur décrit avec minutie la montée des tensions entre policiers et jeunes dans les quartiers, les conséquences ravageuses des mécanismes d’exclusion et de racisme vis-à-vis des jeunes issus de l’immigration, et on croirait un livre sorti le mois dernier
Quatrième exemple : l’alerte sur le fait que la réduction du chômage ne résout pas automatiquement les problèmes. Il est très probable qu’une des erreurs du gouvernement Jospin sur le sujet a justement été de croire que parce qu’on réduisait une cause, la situation allait s’améliorer rapidement.
Mon résumé ne peut donner malheureusement toute la richesse du livre qui n’est pourtant pas très long (140 pages).
Il est plus difficile de juger les propositions. Disons que les axes proposés me paraissent intéressants mais que forcément toute la difficulté est dans la mise en œuvre (ce qui n’a jamais été le point fort de l’État, surtout quand cela porte sur les comportements.).
Pour l’essentiel, la politique actuelle ne va pas dans le sens préconisé. Mais elle essaie d’agir (d’une façon très différente de ce qu’il propose) sur deux points mis en avant par le sociologue.
Le premier est la nécessité d’être sur un terrain trop longtemps abandonné. C’est un des points mis en avant par un Bric Hortefeux, et il l’était déjà dans le livre, qui insistait sur l’utilité d’une police de proximité connaissant les individus
Le deuxième concerne l’école, avec la mise en place en primaire des deux heures d’accompagnement individuel, mesure qu’on peut juger beaucoup moins favorablement que moi, mais qui a pour objectif avoué de lutter contre l’échec scolaire prématuré.
Les commentaires récents