Le syndicalisme français est à la peine. Avec un taux de syndicalisation de seulement 7% , il est loin des 25% européens ou des 75% scandinaves. Cette faiblesse s’explique en partie par la transformation d’un syndicalisme de terrain en un syndicalisme institutionnel, fermé sur lui même et dépendant des subsides de la collectivité et des entreprises.
Les dossiers de Sciences Humaines donnent cette fois la parole à un jeune sociologue, Dominique Andolfatto. Celui ci rappelle qu’à la Libération, un salarié sur deux était syndiqué et qu’ils étaient encore un sur quatre en 1978. A l’époque, le syndicalisme reposait sur de petites cellules autour de militants actifs, qui passaient beaucoup de temps au contact des syndiqués : un syndicalisme vivant, contribuant à créer des identités sociales.
L’auteur pointe les raisons qui ont conduit à un affaiblissement spécifique du syndicalisme français : au delà des phénomènes de société comme la montée de l’individualisme qui se retrouvent chez nos voisins, la professionnalisation des syndicalistes français, que l’auteur date du début des années 80, les ont éloigné des salariés.
Il ajoute que les cotisations ne représentent que 20% des recettes des syndicats, financés par ailleurs par les entreprises et les collectivités. Les financements se faisant entre autres par des détachements de salariés payés par les (grandes) entreprises, ne brillent pas toujours par leur transparence. Au point que l’auteur pense que cela met les syndicalistes en situation de faiblesse dans la négociation.
Au final, les syndicalistes sont dans une logique de carrière. L’auteur note que les syndicalistes en arrivent à donner la priorité à la négociation de leurs propres avantages. S’il pense que la loi sur la représentativité peut avoir du bon en poussant à un certain retour sur le terrain pour avoir des voix, il constate que certains délégués syndicaux menacés par cette loi n’hésitent pas à changer de syndicat pour préserver leur carrière.
Je partage malheureusement en grande partie le constat de Dominique Andolfatto. Les règles mises en place pour permettre un vrai contre pouvoir syndical et protéger les syndicalistes ont eu des conséquences peu satisfaisantes.
La première, c’est la tendance de certains à prendre un mandat syndical, non pas dans un but collectif, mais pour se protéger personnellement, voire pour bénéficier des avantages statutaires
Le phénomène est loin d’être marginal, même si heureusement tous les syndicalistes ne sont pas dans ce cas. C’est une vraie difficulté de composer une liste pour les élections professionnels en ne sélectionnant que des salariés reconnus professionnellement. Or, c’est un facteur de crédibilité pour un syndicat.
La deuxième, c’est que les délégués syndicaux s’installent dans une logique de carrière personnelle.
Il faut ici rappeler les règles qui protègent les délégués dans une entreprise
Les délégués du personnel (DP) et les membres du Comité d’Entreprise et sont élus par les salariés. Ils ont droit, pour les titulaires, à 15 heures de délégation par mois, en plus du temps de réunion obligatoire (au moins une réunion mensuelle). Les membres du CHSCT sont élus par les précédents et ont également droit à 15 heures de délégation (il n’y a pas de suppléants).
Les délégués syndicaux (1 par organisation syndicale) sont désignés par leur syndicat. Avec la nouvelle loi sur la représentativité, un délégué syndical perd son mandat si sa liste n’a pas fait 10 % au premier tour des élections au comité d’entreprise. En général, le délégué syndical est en même temps élu dans une des instances représentatives du personnel (IRP) parfois deux.
Dans les entreprises un peu importantes, il y a deux niveaux, avec un comité par établissement et un comité central d’entreprise. Tout cela fait que beaucoup de délégués syndicaux passent une partie importante de leur temps de travail pour le syndicat, quand ils ne sont pas tout simplement permanents. L’intérêt qu’ils éprouvent pour leur travail de salarié, qu’ils ne font plus qu’à temps (très) partiel est souvent faible.
Très souvent, les négociations sur un sujet quelconque commencent par une revendication sur les heures de délégation à prévoir pour les réunions et leur préparation. Et certains élus poussent à des réunions à rallonge ou extraordinaires pour encore allonger le temps de délégation. Si ce système a permis globalement une professionnalisation bienvenue des syndicalistes, force est de constater que dans certains cas, la gestion de leur situation personnelle devient un objectif majeur.
Au final, on se retrouve avec un certain nombre de syndicalistes qui ont perdu contact avec la réalité du travail dans leur entreprise, et qui s’installent dans le métier de syndicaliste à plein temps jusqu’à la retraite. L’un des corollaires de cette situation étant un âge moyen élevé des représentants du personnel.
Le titre de l’article « des syndicats coupés de leurs salariés », s’il est parfois faux, représente malheureusement trop souvent une réalité néfaste au syndicalisme et aux salariés !
Dominique Andolfatto a coécrit avec Dominique Labbé, « Sociologie des syndicats » (2007) et « Toujours moins ! Déclin du syndicalisme à la française » (2009)
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