40% des familles françaises vivent avec un revenu mensuel net compris entre 3500 et 4000 euros. C’est du moins ce qu’affirme sans rire Le Monde (en une en plus !) ce dimanche, en expliquant qu’ils ne sont ni riches ni pauvres, ce qui permet de mélanger tranquillement patrimoine et revenus.
L’écart entre 3500 et 4000 euros, soit 12.5% du haut de la fourchette, parait beaucoup trop petit pour qu’on puisse y trouver 40% des ménages. On peut en effet imaginer que le nombre de ménages est plus grand dans la fourchette 3000/ 3500 et dans la fourchette 2500 / 3000 ce qui rend impossible ces 40%.
Dans les pages de l’enquête, on nous explique qu’il faut apprécier le niveau de vie en fonction du nombre d’unités de consommation du ménage, le deuxième adulte comptant pour moins que le premier et les jeunes enfants moins que les plus âgés. Et on nous annonce avec cette règle que les 40% de ménages de la classe moyenne ont un niveau de vie par unité de consommation compris entre 1380 et 1980 euros, soit un écart de 30% de la fourchette haute. Si on garde le même écart dans la fourchette de revenus, on se retrouve entre 2800 et 4000 euros, ce qui parait plus réaliste.
Plus réaliste mais pas forcément juste ! Il faudrait aller voir l’Insee pour en savoir plus ! Justement, on trouve sur le site de l’INSEE un numéro d’INSEE Première, datant d’août 2003, et qui analyse la répartition des ménages par niveau de vie en unité de consommation, et qui en plus le présente par déciles. Comme la base de donnée date de 2000, il faut ajouter 15 à 20% pour avoir les chiffres actuels.
Et justement, on trouve que les 80% de ménages au plus bas niveau de vie avaient moins de 1700 euros par unité de consommation, ce qui correspond à peu près aux 1980 euros signalés par le Monde pour le haut de sa fourchette de la classe moyenne en 2008. Le seuil à 90% des ménages se situe bien au-delà, à 2130 euros en 2000.
On devrait donc trouver le seuil à 40% (80 – 40) aux environs de 1380 euros moins 20%. En fait on trouve bien un seuil à 1160 euros, qui nous donne avec les 1700 euros du seuil de 80% un écart d’un peu plus de 30% par rapport au haut de la fourchette. Pas de chance, ce n’est pas le seuil des 40% (qui se situe à 1040 euros) mais celui à 50%.
Donc, même sur ces chiffres, les journalistes chargés de l’article se son trompés ! Et nous ont trompés par la même occasion.
Interrogeons nous aussi sur le passage de 1980 euros (en niveau de vie) à 4000 euros(en revenu net). Il est juste si la taille des ménages correspond à peu prés à 2 unités de consommation, soit l’équivalent de deux adultes avec un enfant de plus de 14 ans (2 unités de consommation), ou de deux adultes avec deux enfants de moins de 14 ans (2.1 unités de consommation).
Or, contrairement à ce qu’on pourrait penser spontanément, les ménages ne sont pas en moyenne composés de 2 adultes et de deux enfants. Pour une raison très simple, c’est qu’à un certain âge les enfants s’en vont, et que leur parents constituent encore pourtant un ménage !
L’INSEE, bonne fille, a publié dans son mensuel INSEE première de juillet 2007 une étude sur la composition des ménages, qui montre que le nombre moyens d’occupants d’un ménage se monte à 2.3 personnes. Près d’un tiers des ménages (32.8%) ne comptent qu’une seule personne. Un quart (26%) ne comptent qu’un couple sans enfant au domicile. Le reste, les ménages avec enfant ou une formule complexe (par exemple un couple hébergeant un de ses parents) comprend aussi un nombre non négligeable de familles monoparentales (7.5% du total général). Pour obtenir 2.3 personnes par ménages en moyenne, il faut compter 3.5 personnes en moyenne pour les 41% de ménages qui ne sont ni une personne isolées, ni un couple isolé. Cela donne à peu prés une taille moyenne de l’ensemble de 1.6unités de consommation.
Fort de ce chiffre, on peut maintenant se réinterroger sur cette population qui se situe avec un revenu net compris entre 3500 et 4000 euros. Le Monde parle ici de familles, je vais parler de ménages, ce qui est la seule donnée dont je dispose (mais que signifie ici le concept de famille ?)
Les ménages se situant dans ces fourchettes de revenu peuvent être de taille, et donc de niveau de vie, très variable. S’il s’agit d’une personne seule, elle se situe dans les 5% (en fait même pas si loin de la limite des 1%) ayant le plus haut niveau de vie. S’il s’agit d’un couple avec 4 grands enfants, soit 3.5 unités de consommation (u.c.), il se situe à peine au niveau du seuil des 30% les moins aisés.
Pour simplifier, nous allons regarder ce qu’il en est des ménages ayant le revenu annoncé (3500 à 4000 euros) et la taille moyenne en unité de consommation (1.6). Leur niveau de vie par u.c. est donc compris entre 2180 et 2500 euros, ce qui les situe à peu près au niveau du seuil des 90% de ménages par ordre ascendant de niveau de vie. C’est une conception peu habituelle des classes moyennes…
Il est vrai que les journalistes du service Société du Monde ne nous ont pas habitué à une connaissance fine des réalités économiques. Ils préfèrent nous faire pleurer dans les chaumières, révélant surtout leur méconnaissance totale du monde au-delà du périphérique. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir des articles publiés après les grèves dans le secteur public contre la loi Fillon de 2003, qui révélaient que ceux qui avaient fait grève n’avaient pas été payés !
Ici, c’est sur les ménages qui n’ont « que » 3500 euros de revenus net par mois qu’il s’agit de nous faire pleurer. Deux pages complètes sont consacrés à ces ménages « ric-rac », à partir de 3 exemples. Pour illustrer les difficultés des ménages de cette catégorie, on en a choisi trois dont les comptes sont détaillés avec précision. Les ménages en question sont des couples avec 2 ou 3 enfants, ce qui les situe au bas de la fourchette des classes moyennes par niveau de vie, d’après les indications données dans le journal. Mais tant qu’à faire de faire pleurer sur les classes moyennes, autant bien les choisir. Cela me rappelle ces députés UMP qui mettent en avant le pauvre agriculteur de l’île de Ré pour vendre le paquet fiscal !
Mais un tel article permet aux journalistes de se considérer comme faisant partie des classes moyennes, malgré les 5500 euros de salaire moyen de ceux qui ont quitté leur journal.
L’article précise que ces familles de classe moyenne sont privées des dispositifs sociaux d’aide aux plus modestes comme des faveurs fiscales accordées par N Sarkozy aux plus aisés
On comprend donc, à travers cet article et d’autres du même service société, que la population peut être coupée en 3 parties
Les plus modestes, qui vivent péniblement (on se demande même comment ils peuvent faire autrement que de manger en permanence des pâtes et des œufs) du SMIC (1300 euros brut environ) quand ils ont la chance de travailler à temps complet. On imagine que cela représente bien la moitié de la population !
Les classes moyennes (40% donc), qui n’ont que 3500 à 4000 euros par mois, ce qui fait qu’ils sont ric-rac
Et enfin les plus riches, bien à l’abri du boucler fiscal.
Des situations intermédiaires existent ? Vous croyez ? Serait ce possible ?
INSEE première de 2003 nous montrait que les impôts représentaient un tiers du revenu dans le centile supérieur, En 2000, leur revenu moyen était de 13 000 euros par mois, sur lequel ils payaient un peu plus de 4000 euros en impôts divers. C’est une petite partie d’entre eux qui est concerné par le bouclier fiscal.
Conseillons donc à tous ces journalistes de lire ce numéro de INSEE première, qui leur donnera une meilleure compréhension de la répartition des revenus, une vision moins simpliste. Mais le souhaitent ils ?
Et conseillons par ailleurs au Monde de mettre en relecture quelqu’un qui a une idée des ordres de grandeur et qui repère les données anormales.
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