Le niveau de participation aux élections prud’homales (25,3% seulement) vient souligner cruellement la faiblesse du syndicalisme, qui n’est pas récente mais qui s’aggrave. L’avenir est sans doute encore plus sombre, les raisons de cet affaiblissement étant profondes et lointaines, et d’autres menaces pointant à l’horizon
L’histoire particulière du syndicalisme français l’a différencié très tôt de ses homologues anglo-saxons et surtout scandinaves : d’une part il est divisé, d’autre part il est très idéologisé, quand ceux-ci appuient leurs forces et leurs pratiques sur les services collectifs fournis aux adhérents (l’équivalent de nos mutuelles par exemple). Les deux sont probablement liés, la pratique de gestion de services ne produisant pas des idéologues, la coupure avec ce type de réalités favorisant sans doute au contraire les discours théoriques (et souvent extrémistes par ailleurs). C’est ainsi qu’avant 1945, la CGT ne compte plus de 1 million d’adhérents que dans deux brèves périodes, en 1919 et en 1936/1939.
La période de 1945 à 1968 est pour le syndicalisme celle où il recueille ses plus beaux succès et celle pendant laquelle s’installent les causes de son affaiblissement pour la période suivante, les deux étant d’ailleurs liés.
En 1945, la CGT revendique le chiffre de 5.5 millions d’adhérents. La période qui suit est celle de la montée en effectif et en richesse du monde industriel, milieu le plus favorable au syndicalisme, du fait d’une tradition ouvrière forte et du fait de la concentration des salariés qu’elle implique.
La loi du 22 février 1945 crée le Comité d’Entreprise. Le 16 avril 1946, la loi rétablit les délégués du personnel, créés en 1936 et supprimés par Vichy.
1968 va être l’occasion de donner plus de moyens au syndicalisme, avec la reconnaissance de la section syndicale qui a dorénavant droit à un local au sein de l’entreprise et à un panneau d’affichage. Les lois Auroux en 1982 viendront renforcer ces moyens.
Avec ou sans grèves, les syndicats obtiennent régulièrement des avantages importants : augmentation rapide des salaires, 3ème (1956) puis 4ème semaine de congés payés…C’est la période du « compromis historique » de fait entre le patronat et la CGT : cette dernière accepte les évolutions de l’organisation du travail (et la montée du taylorisme) et obtient en contrepartie des évolutions dans les indices de classification et les salaires.
Les années d’après guerre ont vu la mise en place de systèmes de classification par branches sous la pression des ministres du travail, Alexandre Parodi puis Ambroise Croizat. Les années 1960/1970 et la montée en puissance de la CFDT verront monter les revendications concernant les conditions de travail, avec l’idée de les améliorer plutôt que de les compenser financièrement.
Mais cette période voit aussi la division syndicale s’accentuer : la CGC, créée sous Vichy (par le regroupement d’associations existantes), se maintient. La guerre froide et la condamnation du Plan Marshall par la CGT se traduit par la scission/ création de FO (décembre 1947) puis l’autonomisation de la FEN (1948) avant la transformation de la CFTC en CFDT (1964) qui se traduit par la création de la CFTC maintenue.
La reconnaissance du fait syndical, les moyens donnés (notamment les heures de délégation, qui arrivent je crois en 1968) vont permettre au syndicalisme de se professionnaliser mais aussi le couper de la base. Le délégué syndical devient souvent un permanent et donc il n’est plus un travailleur comme les autres. A cet éloignement s’ajoute la tentation de la posture idéologique (ou en tous les cas d’une défense prioritaire des intérêts syndicaux), bien loin des préoccupations des travailleurs. Il me semble que c’est une des raisons (pas la seule) de la montée en puissance des listes sans étiquettes.
Il n’y a pas de solution évidente sur le sujet. Les heures de délégations, la mise en place de permanents, ont permis la professionnalisation des représentants du personnel. On ne voit pas non plus comment on pourrait trouver aujourd’hui les bénévoles d’il y a 50 ans, consacrant leur temps personnel au syndicalisme.
On notera au passage que le patronat se plaint que ce professionnalisme se traduise par une judiciarisation de la relation (délit d’entrave par exemple) et des positions idéologiques. Ce n’est pourtant pas évident. En particulier, les permanents nationaux ont souvent une meilleure compréhension des enjeux qui les amènent à des positions parfois plus conciliantes. On l’a vu en 2003 lors de la réforme des retraites. Avant celle-ci, le discours des directions syndicales nationales (y compris de la CGT) était en substance : nous avons bien compris qu’on ne peut pas continuer comme avant et dans quel sens il faut changer, ce n’est pas nous qu’il faut convaincre, ce sont nos troupes.
Les retraites ne sont pas le seul sujet où on peut voir le même phénomène. Dans des professions où les salariés ont obtenus par leur position de force (et / ou la situation de monopole de leur profession) des avantages sans lien avec leur productivité, la remise en cause de ces avantages peut devenir une condition de survie pour les entreprises concernées (hier les dockers et les ouvriers du Livre, aujourd’hui les journalistes et les conducteurs du Fret) : on observe de même que les délégués syndicaux ne sont pas suivis par leurs troupes quand ils acceptent les propositions patronales. Certains salariés sont en pratique sur les mêmes positions que Louis XV : la bonne machine durera bien aussi longtemps qu’eux !
Autre phénomène qui fragilise le syndicalisme : le social est progressivement pris en charge par la loi et le politique. Ce n’est pas d’abord la négociation collective et les accords interprofessionnels, de branche ou d’entreprise, qui organisent le social, c’est la loi et le gouvernement.
Le SMIC est à cet égard exemplaire. Jusqu’en 1968, le SMIG sert de voiture balai aux rémunérations, les minima conventionnels, négociés par branches, structurant la rémunération. Après l’augmentation de 35% du SMIG en juin 1968 (qui va permettre au SMIC de rattraper et dépasser certains minima), on transforme le SMIG en SMIC, et coup de pouce après coup de pouce, on le fait progresser plus vite que le salaire moyen, jusqu’à écraser les minima des salariés les moins qualifiés, puis les catégories d’ouvriers qualifiés voire de techniciens et agents de maîtrise. La proportion de salariés payés au SMIC va monter jusqu’à 17%. Dans ces conditions, à quoi servent les syndicats ?
Enfin, de plus en plus de salariés, en particulier les cadres, pensent que c’est le marché du travail plus que les syndicats qui fait bouger les salaires. Ceux qui sont sur des métiers en récession font le gros dos et constatent que leurs syndicats ne peuvent forcer les salaires à la hausse. Ceux qui sont sur des marchés en tension jouent leur carte individuelle et voient bien qu’ils peuvent se faire augmenter rien qu’en menaçant de partir !
Les conséquences se traduisent dans la désaffection profonde des salariés vis-à-vis du syndicalisme : les plus jeunes ne s’y intéressent guère. A partir des années 80, on voit surgir des coordinations, souvent provisoires, généralement corporatistes, et souvent infiltrés par les trotskistes. On n’est plus dans l’action de fond mais dans le zapping.
Ce résultat se voit notamment dans les taux de participations aux élections mais aussi dans le taux de syndicalisation : 8% au total, 5% dans le privé. Dans leur livre « la société de défiance », Cahan et Alguc (page 14) donnent la part de ceux qui ne font « aucune confiance » aux syndicats (donc non compris ceux qui ne font que « peu confiance ») : moins de 10% en Norvège, environ 25% en Allemagne et plus de 50% en France !
La désaffection des jeunes (qui ne sont même plus dans l’opposition : ils sont passés à l’ignorance) se voit cruellement dans les troupes syndicales : les élus sont souvent des seniors. La relève n’est pas là. L’avenir s’annonce donc très sombre.
Une dernière explication a trait
aux mutations profondes des entreprises : la montée du tertiaire et des
petites entreprises au détriment des grandes concentrations industrielles, la
part plus grande des femmes (traditionnellement moins syndiquées) contribuent
au recul du syndicalisme
Dans un prochain billet, plus
court (j’espère !) j’aborderai les évolutions en cours et les pistes de
relance du syndicalisme
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