Je reprends ici le sujet abordé à la suite de l’article de Philippe Askenazy dans le Monde, en me concentrant cette fois sur la question de pourquoi et comment les entreprises choisissent un personnel sur qualifié.
Dans les années 75/85, une partie de l’industrie a connu de grandes restructurations, liées notamment à des modifications profondes de l’appareil, de production et l’introduction massives d’automatismes. Les postes non qualifiés sont diminués drastiquement, alors que les ouvriers professionnels restent indispensables. Au moment de trouver une solution à leurs sur effectifs, les dirigeants d’entreprise s’aperçoivent que le personnel à reclasser est non seulement peu qualifié, mais aussi peu apte çà se former pour se hisser à des fonctions plus qualifiées. Il est vrai que ce n’est pas en mettant les gens pendant des lustres à un travail répétitif qu’on les prépare à se reclasser !
Les entreprises en ont tiré la leçon qu’il fallait embaucher des personnes suffisamment qualifiées pour être re classables. La situation du marché du travail leur a donné la possibilité de faire leur choix : entre un chômage massif et un nombre bien plus important de diplômés (notamment au niveau bac ou bac + 2) dans les jeunes générations, il était tentant de sur qualifier l’embauche
Au delà de la question du reclassement, les nouvelles organisations du travail ont aussi conduit à privilégier des niveaux de formation nettement plus élevés. Il fallait des personnes capables de gérer des systèmes automatisés, de s’adapter à des changements permanents de machines ou d’organisation ;
La tendance à la sur qualification n’a pas touché que l’industrie. Dans les banques par exemple, on est passé d’un seul coup d’une embauche au niveau BEPC à une embauche au niveau bac + 2 voire bac +4. L’un des avantages de cette main d’œuvre était sa capacité à apprendre vite les procédures à utiliser. Les anciennes dactylo ou sténo dactylo ont été remplacées par des assistantes avec bac + 2, capables d’utiliser avec brio les logiciels de traitement de texte ou autres.
Dans le secteur public, le système des concours a favorisé les candidats les mieux formés. En période de chômage important, on a vu des jeunes titulaires d’un bac + 2 se présenter à des concours pour être gendarmes ou surveillants de prison, et l’emporter devant des jeunes qui n’avaient « que » le diplôme initialement jugé suffisant pour l’emploi. Si les entreprises ont compris que trop de surqualification pouvait poser des problèmes, les concours du public n’ont pas permis de faire une telle distinction. La poste a ainsi pu embaucher comme facteur un jeune ayant une licence d’histoire et quelques années d’expérience comme assistant parlementaire d’un député européen !
Cette sur qualification à l’embauche permet à court terme aux entreprises de s’appuyer sur des salariés rapidement opérationnels, mais utilisée massivement, elle conduit (avec d’autres éléments du système) à trois effets négatifs pour notre pays
Le premier c’est le chômage massif des non qualifiés, les postes auxquels ils pourraient prétendre étant pris par d’autres plus qualifiés, qui eux mêmes…
Le second, c’est la démotivation progressive de gens qui ont fait des efforts pour faire des études en espérant grimper dans l’ascenseur social (par exemple en devenant cadres) et qui non seulement se retrouve dans une fonction moins prestigieuse qu’ils ne l’espéraient, mais n’arrivent pas à progresser pour sortir d’un travail dont ils ont fait le tour.
Le troisième, c’est que la capacité de croissance du pays est limité. On s’arrache les jeunes qui ont fait ce qu’on appelle les grandes écoles, sans accepter de baisser le niveau d’exigences face à la pénurie.
En réalité, ce dernier point n’est pas tout à fait vrai : c’est quand il y a pénurie que l’exigence se met à baisser pour revenir à des niveaux normaux. Face aux manques d’informaticiens, les SSII ont vite compris qu’elles ne pourraient pas recruter uniquement des ingénieurs, et elles se sont mis à former des jeunes ayant au moins une solide formation scientifique.
En dehors du cas des infirmières (à cause de l’obligation du diplôme d’Etat), les situations de pénurie ont régulièrement conduit les employeurs à revoir leurs prétentions, en organisant si besoin le processus de qualification en interne. J’ai pu notamment le constater dans le bâtiment, secteur en tension s’il en est. Mais cela ne s’est fait que si la pénurie durait suffisamment longtemps : les réflexes ne se changent pas du jour au lendemain !
PS : il me semblait avoir déjà plus ou moins traité ce thème. En relisant mes archives, j’ai en effet trouvé cet article, peut être plus complet et mieux structuré que ce que je viens d’écrire. Et en plus, on y trouve la courbe de Beveridge pour les années 1975 à 2000 !
A noter que l’article en question fait partie d’une série de 6 articles sur l’emploi (qui commence ici) : la question de la surqualification à l’embauche y est présentée comme une des causes, importantes, du chômage, mais pas la seule. Finalement, je n’ai pas changé d’avis sur le sujet en 2.5 ans !
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