Dans un article publié par le Monde, Philippe Askenazy constate, à partir de la courbe de Beveridge, une incapacité de notre pays à descendre en dessous d’un plancher de chômage, plancher qui voit les entreprises se déclarer incapables de recruter. Il récuse les explications traditionnelles pour pointer les trop grandes exigences au recrutement.
Philippe Askenazy note que faute d’informations fiables sur les emplois vacants, on s’intéresse aux entreprises manufacturières qui déclarent des difficultés de recrutement, les données sur longue période n’existant pas dans les services
Tout dépend évidemment de l’historique recherché. L’enquête BMO ( besoin de main d’œuvre) réalisée par le CREDOC pour l’UNEDIC a maintenant 6 ans d’existences, ce qui permet un certain recul. J’avais justement fait lors de sa dernière parution une analyse qui montrait une légère baisse du chômage structurel entre 2001 et 2007, mais trop faible pour être significative.
P Askenazy note que lors des deux périodes de reprise en 1987/ 1991 et en 1997/2001, les déclarations de difficultés de recrutement dans l’industrie ont fortement augmenté au moment où le taux de chômage masculin arrivait autour de 7%.
On peut ici discuter du choix fait par l’économiste. Si les points bas du chômage masculin se situent effectivement à 6.1% au premier semestre 1990, 6.4% au troisième trimestre 2001 et 6.8% au premier trimestre 2008. On a aux mêmes dates pour le taux de chômage féminin les résultats suivants : 10.1%, 9.1% et 7.7%., soit une baisse assez nette. On pourra objecter que les femmes étant plus présentes dans les services et les hommes dans l’industrie, il y avait une certaine cohérence à comparer chômage masculin et difficultés de recrutement dans l’industrie manufacturière. On comprendra cependant que je sois à moitié convaincu !
Notre auteur évoque ensuite pour les récuser deux théories en vogue à la fin des années 90 : j’écarterais celles des 35 heures, qui est trop polémique et mériterait un traitement spécifique. L’autre est celle du coût trop élevé du travail qui a justifié les réductions de cotisations employeurs. Cette politique a eu des résultats indéniables sur le chômage des non qualifiés, mais raisonner par type de populations conduit à s’intéresser au niveau relatif du SMIC, c'est-à-dire à son rapport au salaire moyen et sur ce point je fais une analyse radicalement opposée à celle de P Askenazy (je l’ai déjà écrit.
L’économiste propose donc trois autres hypothèses. Il écarte la première ( le travail n’est pas assez rémunérateur, hypothèse qui renvoie au RSA) et en profite pour regretter le blocage du SMIC (il a l’avantage de ne pas changer d’avis tous les jours !) et évoque rapidement la seconde, l’inéquation des compétences existantes à la demande ; Il conclu sur ce qu’il considère le plus probable, c'est-à-dire des entreprises trop exigeantes en diplôme, expérience et âge.
Mon avis est que cette raison existe mais qu’elle n’est pas la seule. L’écrasement de la hiérarchie salariale est un grave problème, l’inéquation des compétences aussi, et il y a trop de travailleurs non qualifiés, d’autant plus que le SMIC est élevé au regard du salaire moyen. Un patron qui a le choix entre un travailleur faiblement qualifié (niv 6 de l’EN) à payer au SMIC et un professionnel (niveau 5 de l’EN, CAP ou BEP) payé au SMIC + 5% aura tendance à prendre le second dans de très nombreux cas, alors que le premier pourrait faire l’affaire.
La tendance à la recherche de surqualification n’explique pas le manque d’infirmière (le critère est imposé ( le diplôme d’Etat) ou de maçons (mais il s’agit ici d’ouvriers qualifiés et non pas de manœuvres).
J’aurais cependant plein d’histoires à raconter pour illustrer cette tendance à des trop fortes exigences. Il s’agit effectivement d’un problème important. Faute de temps, je reviendrais sur un des derniers points évoqués par P Askenazy : la rôle de l’Etat employeur. La méthode des recrutements par concours a conduit en période de fort chômage à l’embauche par l’Etat de personnel largement surqualifiés, au détriment de ceux qui avaient le diplôme normalement requis. Avec tous les problèmes de gestion que cela pose ensuite.
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