Le Monde daté du 3 septembre titre en page 12 sur le fait que « les employeurs rechignent de plus en plus à déclarer les accidents du travail ». Il s’appuie pour cela sur un rapport officiel qui vient de paraître mais dont il déforme (sciemment ?) les propos. Dommage : le sujet est important et il mérite plus de sérieux !
Tous les accidents du travail et surtout toutes les maladies professionnels ne sont pas déclarés, ce qui conduit à faire payer par la branche maladie de la Sécurité sociale des dépenses qui devraient être prise en charge par la branche Accident du travail / maladies professionnelles (AT/ MT). Pour remédier à cette situation, une commission d’enquête est chargée d’évaluer le transfert afin de le refacturer. C’est cette commission qui vient de présenter son rapport 2008, comme elle l’avait fait il y a 3 ans avec le rapport 2005, les deux étant publiés sur le site de la sécu. Dans les 2 cas, la commission était conduite par Noël Diricq, magistrat à la Cour des comptes.
Le rapport 2008 signale en page 41 un phénomène qu’elle qualifie de « nouveau dans son ampleur apparente » : certaines entreprises pousseraient leurs salariés accidentés à se faire soigner comme malades tout en leur remboursant leurs frais médicaux. Un cas de ce genre a fait l’objet d’une sanction de la part de l’inspection du travail en janvier 2008.
L’article du Monde rapporte trois exemples de dérives : un cas chez EDF de non déclaration d’un accident (un agent s’est tordu le genou), cas qui fait l’objet d’un contentieux juridique, une pratique de Toyota Valenciennes qui pousserait les victimes à ne pas se signaler à la sécu mais leur rembourserait les frais et un cas chez Renault qui a incité sur un site des salariés accidentés à travailler sur un poste aménagé. Ces trois cas ne sont pas issus du rapport qui ne cite nommément aucune entreprise. On peut déduire de l’article que c’est la CGT qui a renseigné le journaliste mais il n’apparaît pas clairement si le cas de sanction cité par le rapport est celui de Toyota.
Autant les situations relevés chez Edf et Renault ne me surprennent pas, autant c’est la première fois que j’entends parler de ce qui a fait l’objet d’une sanction et que relève le rapport. Dans ces conditions, il me parait tout à fait normal que le rapport le signale et la phrase de la page 41 est tout à fait justifiée, même si le phénomène est tout à fait marginal : c’est son caractère nouveau qui justifie sa mise en valeur. Par contre la conclusion qu’en tire le Monde dans son titre est non seulement injustifiée mais en contradiction avec ce qu’on peut tirer du rapport.
La commission a en effet essayé d’évaluer les phénomènes de sous déclaration. Pour cela elle s’appuie sur une large enquête de la DARES auprès de salariés, qui permet d’évaluer le nombre d’accidents du travail. Le chiffre obtenu est comparé aux résultats officiels d’accidents, avec ou sans arrêt. Menée en 1998, cette enquête avait conduit à faire apparaître environ 50 000 accidents avec arrêt non déclarés. Par prudence, la DARES n’étant pas sûre de la bonne compréhension de la question par les salariés, la commission avait choisi de garder un chiffre réduit de moitié, soit 25 000, dans ses rapports précédents. La DARES a refait son enquête en 2005 en améliorant le libellé de la question. Elle a aussi ajouté une question pour prendre en compte les accidents multiples (les salariés accidentés plusieurs fois dans l’année) qui ont représenté 8% du total. Ce dernier point aurait du augmenter l’écart mais celui-ci apparaît de 38 000 soit 5% du nombre d’accidents avec arrêt. L’enquête étant plus fiable, la commission a retenu ce chiffre, ce qui est logique. Au total, le taux de non déclaration est de 5% environ (sur un peu plus de 700 000 accidents avec arrêt déclarés). On serait donc plutôt dans une tendance de diminution de la sous déclaration, suite notamment aux différentes mesures prises entre-temps et que détaille le rapport. Mais en contradiction avec le titre du journal du soir.
Le rapport montre que les maladies professionnelles sont en très forte augmentation, ce qui reflète avant tout leur meilleure reconnaissance (et encore , il y a une forte sous déclaration). Par contre, bonne surprise, les accidents de travail sont en baisse, légère, mais réelle : de 2001 à 2006 les accidents tous compris ont baissé de plus de 15%, les accidents de travail avec arrêt de 5%. Ce résultat est en rupture avec le constat fait par le rapport précédent : entre 1998 et 2006, les accidents avec arrêt avaient augmenté de 6%.
Je note au passage que je ne partage pas une interprétation faite par le rapport sur les chiffres d’accidents selon l’âge (voir tableau page 54). La fréquence des accidents de travail est forte pour les plus jeunes (moins de 30 ans) et elle diminue, assez fortement avec l’âge. Le rapport fait l’hypothèse qu’une explication au moins partielle tient à la plus grande part d’intérimaire dans cette classe d’âge, De mon expérience, j’avancerai d’autres explications : les jeunes sont plus casse cou, moins expérimentés (donc plus maladroits) et peu sensibilisés à la sécurité, ce qui vient avec l’âge. Le taux d’accidents est donc plus élevé dans les deux premières années de travail. La comparaison avec les accidents de trajet montre à mon avis que j’ai raison : le même phénomène existe en fonction de l’âge : pourtant l’intérim ne joue guère sur les accidents de trajet. Qui plus est , la baisse avec l’âge est plus forte pour les accidents de trajet, comme si l’action de l’entreprise avait un impact plus immédiat pour la prudence en son sein.
Le rapport signale un autre problème : les effets pervers que provoqueraient sur le terrain la volonté des directions de lutter contre les accidents de travail. C’est là qu’on trouve les exemples cités par Le Monde. On n’imagine pas EDF s’amusant à maquiller les accidents de travail. Par contre, on voit bien la tentation pour certains responsables de ne pas laisser passer des déclarations d’accidents sur lesquels ils ont des doutes. S’il y a des patrons voyous (et c’est évidemment le cas) on ne voit pas pourquoi il n’y aurait pas aussi des salariés voyous, en particulier dans une entreprise à culture très sociale comme EDF. Et le fait de se tordre le genou est typiquement l’accident qui a pu se produire n’importe où ailleurs mais qui peut produire des coûts importants (mon expérience dans ce domaine était que les arrêts avec un genou impliqué étaient toujours plus long que prévu initialement par le médecin). Dans un contexte où on demande aux patrons d’établissement de réduire le nombre de sinistres, certains d’entre eux ne peuvent que vouloir aussi lutter contre ce qu’ils considèrent, à tort ou à raison, comme de la fausse déclaration.
L’exemple de Renault Cléon est différent : les salariés accidentés y étaient invités à tenir un poste aménagé » pour pouvoir travailler malgré leur blessure. J’ai déjà rencontré cette situation il y a longtemps. On peut lui trouver une certaine légitimité mais au niveau signalé il y a clairement exagération. Mais je comprends d’autant plus la tentation que j’ai lu l’article alors que le matin même j’étais avec un client qui s’était cassé le bras pendant ses vacances et arborait un bras dans le plâtre et une collègue victime d’une chute d’éléphant et qui était venue travailler malgré ses côtes fêlées !
Le rapport note qu’un certain nombre d’entreprises évaluent leurs sous traitant aussi sur leur action en terme d’accidents du travail (pour des questions de RSE) et que cela pourrait certaines à de telles tricheries. Dérive inattendue d’une volonté à priori louable !
On notera en effet que le risque de sous déclaration est évidemment plus fort dans les petites entreprises que dans les grosses, comme le note en commentaire la CFTC. La focalisation de l’article du Monde sur des grandes entreprises comme EDF et Renault participe de ce phénomène curieux qui veut qu’en France on accuse les grandes entreprises de tous les maux en matière sociale et qu’on en exonère les petites : il est pourtant évident que c’est dans les petites qu’on trouve les bas salaires, les mauvaises conditions de travail et les comportements de voyou. Ne serait ce que parce que le taux de syndicalisation y est beaucoup plus bas.
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