Dans un billet précédent, je notais que la France était à la traîne de l’Europe dans le domaine de l’emploi, atteignant probablement la dernière place à l’Ouest concernant le taux de chômage. L’un de mes commentateurs fait remarquer que la part de la droite dans ce résultat est probablement plus élevée que celle de la gauche dans ce résultat
En cette période électorale, évaluer la capacité respective de la gauche et de la droite à créer de l’emploi et à réduire le chômage n’est évidemment pas sans objet. Mais cela pose différentes questions:
Comment évaluer l’efficacité : sur quelle données, avec quel comparatif ?
Comment tenir compte du décalage dans le temps entre des mesures et leur effet sur l’économie et l’emploi ?
La droite et la gauche ont-elles menées des politiques différentes ?
Qu’en est il chez nos voisins ?
Ce que la droite et la gauche prévoient demain va t’ il dans le sens de ce qu’elles ont fait hier ?
La question de la mesure de l’emploi pose des questions complexes (peut on compter de la même manière un emploi à temps partiel et un emploi à temps complet, un demandeur d’emploi et un pré retraité etc. ?). L’utilisation des deux critères que sont le taux de chômage au sens du BIT et le taux d’activité des 16/64 ans permet une bonne première approche.
La comparaison avec nos voisins est également importante : ils ont des niveaux de vie et de protection sociale assez comparable et les échanges au sein de l’Europe sont telles qu’ils ont à peu près les même cycles conjoncturels. Il est cependant plus pertinent de se comparer avec l’Ouest de l’Europe (l’UE à 15) qu’avec l’Est.
Eurostat donne depuis 1994 toute une série de données évaluées théoriquement selon les même critères dans les différents pays de l’UE. J’ai fait en mai 2006 une comparaison entre les 15 sur les deux critères ci-dessus, en statique et en dynamique. Les résultats de 2006 ne sont pas encore tous publiés et les chiffres français sont discutés. On sait cependant qu’ils ne sont pas favorable à la France, puisqu’ l’emploi y a augmenté de 0.9% contre 1.6% pour la zone euro. En taux d’activité des 15/64 ans, la France se fait encore distancer par des pays qui étaient largement devant elles, les pays scandinaves en particulier qui avaient moins progressé que la France sur ce critère dans les années précédentes.
Les comparaison des créations d’emploi ou de la croissance avec la moyenne européenne (ou zone euro), qui ne sont en général pas défavorables à la France (sauf depuis deux ans), sont légèrement biaisées . En effet, la poids de l’Allemagne est tel que ses mauvais résultats précédents ont longtemps permis à la France de faire illusion. Et de négliger le fait que des pays plus petits faisaient nettement mieux qu’elle, ce qui évidemment ce voit plus quand on parle de rang que quand on parle de moyenne.
D’autre part, la France à la meilleure natalité de la zone. Elle a donc besoin d’une plus forte croissance, de plus de créations d’emplois pour garder les même taux. Pour cette raison, le taux d’activité est plus juste que le taux de création d’emploi. La croissance naturelle de population (c.a.d. sans l’immigration) est de 0.35% en France contre 0.07% dans l’UE à quinze et un taux négatif de 0.18% en Allemagne. Ce n’est pas énorme mais sur la durée, l’impact n’est pas négligeable. Cette plus forte natalité lui permet de faire illusion chaque fois qu’on parle en montant absolu. L’utilisation du taux d’activité permet d’éviter ce biais.
La question de la période d’observation pose des problèmes redoutables. S’il est assez évident que les mesures prises par un gouvernement ne donnent pas d’effet immédiat, à combien faut il estimer le décalage ? A défaut de regarder la période de gouvernement faut il prendre des périodes décalées d’un an ? Ou de deux ? La question est d’autant plus important que le rythme des alternances a été important. La droite a ainsi gouverné 2 ans de 86 à 88, puis 4 ans de 93 à 97 et enfin 5 ans depuis 2002.
Une mesure consistant à créer des emplois très aidés (TUC, emplois jeunes par exemple) aura un effet assez rapide : il faut 6 mois pour mettre en place la mesure et encore 6 mois pour qu’elle donne tout son effet. Mais l’efficacité de cette mesure n’est pas très durable. Une mesure consistant à améliorer la formation initiale pour diminuer le nombre de jeunes en sortant sans qualification aura un effet durable mais mettra de nombreuses années à être efficace. Comparer les résultats sans tenir compte du décalage, c’est favoriser ceux qui font une politique à court terme !
Plus grave, certaines mesures peuvent être productives à court terme et contre productives à long terme ou l’inverse. La question se pose légitimement pour les 35 heures, elle peut se poser de la même manière pour d’autres mesures. Imaginons ainsi qu’on interdise les licenciements. Cette mesure peut paraître efficace à court terme mais on sait qu’elle va décourager les embauches et aussi les investissements !
Mais il n’est pas forcément très utile de vouloir distinguer l’efficacité de la droite et de la gauche. Pour une bonne raison : il n’y a pas eu une politique de gauche mais plusieurs alors que sur de nombreux points, les deux cotés ont fait les même choix pourtant discutables.
Les gouvernements Chirac et Barre n’ont ainsi pas fait la même politique, le premier étant plus interventionniste que le second. Le choix d’investissements massif dans le nucléaire a eu à long terme un impact important sur la facture énergétique externe, donc probablement sur la croissance. On peut aussi noter des différences entre Balladur et Juppé ou entre Raffarin et De Villepin. On peut en noter de fortes entre Mauroy 1 et 2 d’un coté, Mauroy 3 et Fabius de l’autre.
Les premières années du gouvernement Jospin sont marquées par les emplois jeunes, la baisse des charges sur les bas salaires et la modération du SMIC. Les dernières années par l’affaire de la cagnotte, la loi Aubry 2 et la loi de modernisation sociale.
On retrouve par contre un certain nombre de tendances lourdes :
Après les nationalisations des années 81/83, la droite dénationalisera mais la gauche le fera aussi, même si ce n’est pas au même rythme.
Chacun des deux camps essaiera de jouer sur les abattements de charge comme chacun des deux camps pousse le SMIC plus vite que le salaire moyen.
Chacun des deux camps aura une politique essentiellement basée sur l’idée que le nombre des emplois est un gâteau limité et qu’il faut donc limiter le nombre de convives, d’où les mesures sur les pré retraites notamment.
Chacun des deux camps comprend qu’il faut donner plus de souplesse au marché du travail mais ne fait porter l’effort que sur une grosse minorité des salariés subissant les intérim, CDD et autres CNE.
Les deux camps ont aussi la fâcheuse habitude de changer en permanence les dispositifs, contribuant à l’illisibilité et l’inefficacité du système.
La valorisation des entreprises par la gauche dans les années 1985 ne dure pas. La droite n’y fait pas grand-chose. Par contre les deux camps favorisent la création d’entreprise. En France, diriger une TPE c’ est bien, quand diriger une entreprise du CAC 40 fait forcément de vous un salaud !
Pour conclure, les politiques menées par les deux camps sont assez semblables, surtout quand on les compare à ce qui se fait chez nos voisins. Voisins chez qui il est difficile (de la Finlande à l’Allemagne, du Royaume Uni à l’Espagne, de l’Irlande au Danemark) de définir les politiques d’emploi de gauche et celles de droite.
Le résultat des politiques de la France n’a pas été très différent de ceux de ses voisins pendant longtemps, et on a pu s’illusionner sur leur efficacité grâce au poids des difficultés de l’Allemagne.
Mais insensiblement nous nous sommes laissés glisser dans le peloton de queue. Le redémarrage de l’Allemagne, nos mauvais résultats depuis deux ans le font voir de manière plus claire aujourd’hui, où nous rejoignons la place de dernier.
Les candidats n’en parlent guère, celui de l’UMP car il ne peut à ce point mettre en lumière l’échec de son camp. Celle du PS non plus, peut être car il faudrait remettre en cause notre modèle.
Justement, c’est ce qui semble en train de se passer : des deux cotés, on semble vouloir s’affranchir des pratiques anciennes et proposer de nouvelles voies. Ceci fera l’objet d’un prochain billet.
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