Le baromètre du CEVIPOF a montré une fois de plus que la première préoccupation des français, et de loin, est l’emploi. La comparaison des résultats de la France dans ce domaine avec ceux est riche d’enseignements. On s’intéressera ici uniquement aux 15 pays de l’Union Européenne avant son élargissement à l’est
Pour commencer, les taux de chômage par niveau croissant, tels qu’ils apparaissent sur Eurostat (en %)
Classement des 15 par taux de chômage (2005)
• Irlande : 4.3
• Luxembourg : 4.5
• Royaume Uni : 4.7
• Danemark : 4.8
• Pays Bas : 4.8
• Autriche : 5.2
• Portugal : 7.6
• Italie : 7.7
• Suède : 7.8
• Belgique : 8.4
• Finlande : 8.4
• Espagne : 9.2
• Allemagne : 9.5
• France : 9.5
• Grèce : 9.8
Petite surprise, enfin pour moi, je savais la France mal placée, mais pas à ce point ! Seule la Grèce est derrière nous ! Il faut dire que nos gouvernants communiquent souvent sur une comparaison avec le taux de chômage pour la zone euro, qui n’est guère différent du notre. Il est en effet inférieur d’un petit point à 8.6%. Une des explication est simple : l’Allemagne et la France représentent un poids considérable dans cette zone. Or ces deux pays sont à égalité (pour l’instant) à 9.5%. Sans la France et l’Allemagne, les 13 restants ont un taux de chômage de 8% environ
On observe tout de même que sur les 15 pays de notre comparaison, 5 ont un taux de chômage inférieur à 5%, ce que nos compatriotes aimeraient certainement avoir
Il faut cependant ne pas se laisser abuser : on sait que le taux de chômage ne reflète qu’une partie d’une réalité beaucoup plus complexe. Il est important de compléter son observation par celle du taux d’activité des 15/64 ans
Classement des 15 par taux d’activité (2005)
• Danemark : 75.9
• Pays Bas : 73.2
• Suède : 72.3
• Royaume Uni : 71.7
• Autriche : 68.6
• Finlande : 68.4
• Irlande : 67.6
• Portugal : 67.5
• Allemagne : 65.4
• Luxembourg : 63.6
• Espagne 63.3
• France : 63.1
• Belgique : 61.1
• Grèce : 60.1
• Italie : 57.6
La France est un peu mieux placée, puisqu’elle se retrouve 12ème, ce qui n’est cependant pas glorieux ! L’écart avec le premier, le Danemark, est assez vertigineux : 12.8% de taux d’activité, à comparer aux 63.1. Il faudrait que la France ait 20% de travailleurs de plus qu’aujourd’hui pour avoir le taux d’activité du Danemark ! On imagine ce que cela représente comme capacité à financer de la santé ou de l’éducation !
La Grèce est de nouveau derrière nous et l’Italie parait bien malade !
On notera que les pays les mieux placés ne sont plus exactement les même que précédemment : l’Irlande première sur le taux de chômage n’est plus ici qu’à la 7ème place, avec un niveau assez moyen. A contrario la Suède, 3ème ici avec un niveau remarquable, n’était que 9ème précédemment.
Pour pousser l’analyse plus loin, allons voir l’évolution de nos deux critères dans le temps, c'est-à-dire sur la période où Eurostat fournit des statistiques, en l'occurence1994/2005
La France a plutôt bien progressé dans cette période, avec les nombreuses créations d’emplois qui ont suivi son succès en coupe du monde de football.
Évolution 1994/2005 des 15 par taux de chômage
• Espagne : -10.3
• Irlande : -10.0
• Finlande : -8.2
• Royaume Uni : -4.6
• Italie : -2.9
• Danemark : -2.9
• France : -2.2
• Pays Bas : -2.0
• Suède : -1.6
• Belgique : -1.4
• Portugal : +0.7
• Grèce : +0.9
• Allemagne : +1.2
• Luxembourg : +1.3
• Autriche : +1.4
Total UE à 15 : -2.4
Évolution 1994/2005 des 15 par taux d’activité
• Espagne : +17.2
• Irlande : +14.6
• Pays Bas : +9.2
• Finlande : +8.1
• Italie : +6.2
• Grèce : +5.9
• Belgique : +5.4
• France : +4.0
• Royaume Uni : +3.8
• Luxembourg : +3.7
• Danemark : +3.6
• Portugal : +3.4
• Suède : +2.1
• Allemagne : +0.7
• Autriche : +0.1
Total UE à 15 :+5.3
Trois pays ont vu leur taux de chômage augmenter sur la période : l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg. On comprend que les allemands(qui payent au prix fort la réunification et le choix de l’harmonisation par le haut des conditions fiscales et sociales, en particulier ceux de l’est) aient décidé depuis environ deux ou trois ans de prendre des mesures radicales. Il semble que cela commence à porter ses fruits, au niveau de la croissance économique pour l’instant. A suivre !
Les résultats de la France sont moins bons que la moyenne, sur les deux critères et malgré le poids de l’Allemagne dans la moyenne (sans la France et l’Allemagne, les 13 ont baissé leur chômage de 3.7% et augmenté leur taux d’activité de 7.7%). Nos exploits des années 78/01 étaient en fait principalement liés à une dynamique de tout le continent !
L’Italie est beaucoup moins mal placée qu’on ne l’aurait imaginé. L’évolution récente de son taux d’activité la laisse encore à la dernière place sur ce critère en 2005 mais est encourageante. Ce pays s’est attaqué avec vigueur à sa dette par une réforme complète de l’Etat lors du premier gouvernement Prodi en 1996/1998. Cela semble avoir été payant.
Certains pays ont eu des progressions canons !
L’Espagne d’abord, dont les résultats actuels sont moyens mais dont on découvre qu’elle est partie de loin et qu’elle a énormément progressé depuis 10 ans ! Voilà un pays qui a profité de l’euro et de ses bas taux d’intérêt (la construction a beaucoup tiré l’activité). Il est aussi en phase de rattrapage et profite de cet avantage (mais la Grèce ou le Portugal n’en font pas autant). Le pays s’inquiète aujourd’hui de son inflation (qui diminue ses capacités concurrentielles au sein de l’Union).et veut investir massivement dans l’innovation, comme a su le faire avec succès la Catalogne. Et ils veulent aussi réformer leur fonction publique
L’Irlande ensuite, dont on comprend mieux la première place actuelle sur le taux de chômage. La croissance en Irlande a été foudroyante (sur les 10 dernières années, la plus mauvaise, 2003 est à +4.4% et la meilleure, 1997 est à +11.7%), permettant en 15 ans à ce pays de rattraper puis dépasser ses voisins : aujourd’hui le PNB par habitant est supérieur au notre. Ces résultats reposent notamment sur une fiscalité très favorable aux entreprises. Il n’est pas sûr qu’on puisse l’imiter. On peut surtout se demander si le succès n’est pas essentiellement dû à un avantage concurrentiel à l’échelle d’un petit pays. Que se passe t’il si tout le monde adopte la même méthode ?
Les Pays Bas ont eu une très belle augmentation de leur taux d’activité qui les mène à la 2ème place en 2005 sur ce critère. La baisse du taux de chômage a été plus faible :il est vrai qu’il était déjà assez bas. La situation de ce pays qui a dit non à la constitution en 2005 et radicalement différente de la notre : eux en ont assez de payer pour les autres pays !
La Finlande a également bien progressé. Contrairement à l’Espagne et à l’Irlande mais comme les pays Bas, c’est un pays qui avait déjà un PNB par habitant très élevé. Sa position privilégiée entre le monde occidental et le monde communiste s’est traduite par une baisse de son PNB après la chute du mur. Pour s’en sortir, elle a fait le choix de soutenir massivement la rechercher et l’innovation (3.4% du PIB), comme le montre l’exemple de Nokia. Dans son livre, la croissance ou le chaos, Christian Blanc cite la Finlande comme l’économie la plus compétitive grâce à cette politique. La Finlande a également (comme la Suède) baissé de 10 points le poids de ses prélévements obligatoires (cité par le rapport Pébereau)
Si nous ne voulons pas choisir la voie irlandaise, c’est le pays que nous avons le plus intérêt à imiter
Pour finir, certains remarquent que les pays qui s’en sortent le mieux sont les petits pays, plus adaptables. Ce genre de remarque sert en réalité à justifier notre immobilisme, c’est de la paresse intellectuelle. On notera que l’Espagne est un pays aussi peuplé que le nôtre. Il est vrai qu’il s’agit aussi d’un ensemble d’entités plus petites (Catalogne, Pays Basque etc.). Et bien, déconcentrons massivement et appuyons sur nos régions si c’est le prix à payer pour voir baisser fortement et durablement notre chômage!
Publié le 21 mai 2006 sur mon ancien blog
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