La notion de « choc démographique de
2005 » repose sur une réalité indéniable. D’une part le nombre de
naissances a diminué en France à partir de 1975 (d’environ 100 000 par
an), et donc le nombre de jeunes adultes est donc en baisse depuis une
décennie. D’autre part, ceux qui atteignent l’âge de 60 ans ne sont
plus issus des classes creuses d’avant 1944 mais des classes nombreuses
du baby boom, supérieures d’environ 300 000 unités à
celles qui les ont immédiatement précédées. Le résultat est que la
population d’âge compris entre 20 et 59 ans, qui jusqu’à 2005
augmentait rapidement, diminue progressivement aujourd'hui
Cet article, que j'ai écrit avec Alexandre Delaigue, d'éconoclaste, est paru dans le Monde daté du 14 novembre
Beaucoup de
Français imaginent l’emploi comme un gâteau qui serait régulièrement
amputé par des licenciements. Puisqu’il n’y a pas assez d’emplois les
solutions à mettre en œuvre sont simultanément d’empêcher les
licenciements et de réduire le nombre de participants à la répartition
du gâteau (par les préretraites, le départ des immigrés, les congés
parentaux etc.). Dans le même esprit les 35 heures consistent à
diminuer la taille des parts pour qu’il y en ait plus. Le même
raisonnement conduit à penser que le papy boom, en réduisant le nombre
de participants au partage du gâteau, va résoudre le problème du
chômage.
Cette vision ne
correspond pas à la réalité. Le nombre d’emplois ne cesse de varier
sous le double effet des créations et des destructions. Et le nombre de
personnes disponibles pour travailler influe directement sur le nombre
d’emplois. Le lien entre population et emploi est l’un des plus étudiés
par les économistes. De cette connaissance accumulée, il ressort que,
sur le long terme, le nombre de personnes employées dans un pays est
directement lié à l’évolution de la population active. Dans les pays de
l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), il
existe une forte corrélation entre croissance de l’emploi total et
croissance de la population active : plus le nombre de personnes qui
souhaitent travailler augmente, plus l’emploi total augmente.
Même à une échéance
rapide, le nombre d’emplois disponibles s’ajuste à la population
susceptible de travailler. De nombreux travaux ont été consacrés à
l’effet sur l’emploi de hausses brutales de la population, consécutives
à un évènement particulier. Ont ainsi été étudiés les effets
d’événements tels que l’afflux d’immigrants cubains en Floride en 1979,
le rapatriement des Français d’Algérie en 1962, l’immigration russe
vers Israël (une hausse de 12% de la population), l’arrivée de réfugiés
en provenance d’ex-Yougoslavie en Europe. Tous ces travaux ont montré
que des hausses brutales de la population active n’ont aucun effet
mesurable sur le niveau du chômage : le niveau d’emploi s’est
rapidement élevé, le marché du travail a absorbé rapidement les
nouveaux arrivants.
Imaginer un lien
direct entre la réduction de la population active et celle du niveau de
chômage, c’est négliger les effets multiples d’un changement d’une
donnée économique sur l’ensemble des déterminants de l’emploi et du
chômage : salaires, rentabilité des entreprises, prix des produits,
innovation technique, destructions et créations d’emplois. La
diminution de la population en âge de travailler a, par exemple, un
impact négatif sur la demande marchande. Elle a aussi un impact négatif
sur l’offre de produits et de services. Des départs à la retraite qui
augmentent de 60% par an, entraînent sans doute la même augmentation du
nombre d’artisans qui partent en retraite et suppriment leur emploi, ou
du nombre de patrons de PME ou de TPE qui n’arrivent pas à trouver de
successeurs et dont l’entreprise disparaît.
Au total les
fluctuations de la population potentiellement active ont des impacts
multiples sur le taux de chômage et ceux-ci se compensent ; les études
empiriques tendent vers une absence d’effet global notable.
L’exemple de nos
voisins est aussi là pour le montrer. L’Irlande, dont la population
active est en forte augmentation, crée de très nombreux emplois et a vu
son chômage baisser très fortement depuis 10 ans. L’Allemagne dont
les naissances sont inférieures aux décès et dont la population des 20
/ 60 ans est en baisse depuis 10 ans, garde jusqu’à présent un chômage
élevé.
La France connaît
actuellement une inadéquation entre l’offre et la demande de travail,
avec à la fois un chômage élevé et des difficultés de recrutement dans
de nombreux métiers. Le choc démographique ne changera rien à cette
situation. Il risque même de l’aggraver, du fait de la croissance du
nombre de retraites à financer et de l’augmentation de la part des
seniors dans les entreprises.
Pour continuer à financer les retraites sans augmenter de manière inconsidérée les cotisations et charges sociales, les pays européens ont convenu de favoriser le travail des seniors, en visant un taux d’activité de 50% chez les 55/64 ans en 2010. Rien ne prouve que notre pays y parviendra. Si c’est le cas, la France, dont 1 actif sur 8 avait plus de 50 ans en 1995 en aura 1 sur 4 en 2010. Cela suppose évidemment une adaptation profonde des organisations du travail, de son contenu et des processus de gestion des ressources humaines. Ce sera tout sauf automatique.
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