Je l’avoue : sur les questions immobilières je suis plus sensible aux arguments des libéraux qu’à ceux des interventionnistes, d’autant plus quand les premiers sont portés par des techniciens, par tempérament assez factuels et descriptifs, quand les seconds sont portés par des politiques plus portés sur l’idéologie et les envolées lyriques que sur le respect de la réalité.
Le Monde daté du 5 septembre ouvrait deux pages débats à cinq auteurs (dont le collectif jeudi noir), permettant au lecteur de prendre conscience de quelques points important du dossier.
Pour Cécile Duflot, qui défendait ici son point de vue, il existe une « vérité essentielle » : « l’obsession de la rente est bel et bien l’ennemie de la production de logement ». Les arguments sont toujours les mêmes : l’encadrement des loyers était un engagement pris pendant la campagne présidentielle, le niveau des loyers grève le pouvoir d’achat des Français. Rien de concret sur la question majeure : cet encadrement a-t-il un impact sur le niveau de la construction et donc contient-il en germe les éléments d’une future hausse des prix ?
Elle ose un argument qui ne convaincra que ceux qui ont envie d’y croire ou ne comprennent pas les mécanismes d’anticipation économique : la crise de la construction ne date pas du 26 mars, date de promulgation de la loi. La réalité est malheureusement assez simple : la construction (mesurée par le nombre de logements commencés) qui était en croissance depuis le creux de 2010 se met à baisser au moment de l’élection de François Hollande et a baissé depuis d’environ 25% !
Le collectif jeudi noir ne jure que par l’expropriation et reste obstinément sur le vieux mythe selon lequel, si les logements sont vacants, c’est parce que les propriétaires préfèrent attendre que les prix augmentent ! Il pointe cependant un problème réel (au moins dans la région parisienne), celui de la gestion du foncier par les municipalités qui préfèrent (et les électeurs aussi) limiter la construction chez eux.
Etienne Wasmer est un économiste renommé, connu pour être un spécialiste de l’économie du travail mais ses premiers travaux portaient sur le logement (Desgranges G. et Wasmer, E. (2000). « Appariements sur le Marché du Logement », Annales d'Economie et de Statistiques, Vol. 58, April-June, p. 253-287. Source Wilipédia). Il est réputé libéral.
Pour une fois, la phrase mise en exergue par le journal reflète un point clé de l’article : « le logement est un échec collectif français ; Il ne s’agit pas d’un problème de propriétaires bailleurs extorquant la rente aux locataires, mais d’un excès de demande pour les quartiers les plus attractifs ». Cet excès de demande, qui fait augmenter les prix dans le centre des grandes agglomérations (mais pas de toutes les villes, certaines voient au contraire leur centre se dégrader), s’explique aussi par le faible intérêt des zones périphériques quand elles n’ont pas d’accès au centre par des transports en commun de qualité : l’auteur estime que c’est sur ce dernier point qu’il faut travailler en priorité. A cet égard le projet du grand Paris, qui prévoit une concentration de la construction autour des futures gares du réseau, est une réponse tout à fait adaptée. Mais il va falloir des lustres…
Alain Dinin, le PDG de Nexity (groupe immobilier qui gère plus de 900 000 logements et dont le principal actionnaire est le groupe Caisse d’épargne) y va aussi de son article titré « les promoteurs ne sont pas coupables ». Il avance deux causes à l’augmentation des prix du logement : la hausse du coût de la construction, en raison de la hausse des matières premières et de l’inflation des normes (il cite le chiffre, invérifiable, de 5000 nouvelles normes sur 10 ans !), et celle du foncier et de son aménagement qui aurait parfois été multiplié par six en 20 ans.
Alain Dinin avance un chiffre de déficit de logements de un million et rappelle que l’objectif de construire 500 000 logements par an est annoncé depuis 40 ans mais jamais atteint depuis. En réalité, le déficit est d’autant plus difficile à estimer qu’il n’y a pas un marché du logement, mais d’innombrables marchés, selon le type de logement (ancien ou neuf, collectif ou individuel…), sa taille et bien sûr sa localisation. Il existe en France des zones où il y a un excédent de logements (parce que la zone se dépeuple par exemple) et d’autres qui ont au contraire un déficit.
Le déficit a probablement diminué depuis 10 ans, avec un niveau de construction bien supérieur à celui constaté dans les années 90, grâce à l’augmentation des prix de vente qui a de nouveau rendu rentable la construction(le prix de l’ancien ayant augmenté nettement plus que celui du neuf, comme je l’ai expliqué il y a 8 ans). En 2006, le déficit était évalué à 1.800 000 logements, et le taux de vacance était au plus bas depuis les années 60 !
Les dernières statistiques disponibles montrent que le nombre de logements vacants a augmenté de 500 000 entre 2006 et 2013 : comme je j’expliquais longuement début 2007 avec ces deux articles, il est normal qu’il y ait des logements vacants : parce qu’il y a un temps de vacance entre le départ d’un occupant et l’arrivée du suivant, et parce qu’il faut pouvoir faire des travaux (une partie du parc n’est pas au niveau).
De ce qui s’est passé depuis 10 ans, on peut déduire que le déficit de logement peut donc diminuer sérieusement sans que le rythme de construction monte à 500 000. Un rythme de 400 000 par an parait tout à fait suffisant au regard des résultats observés depuis 10 ans.
On peut estimer autrement le besoin. Celui-ci nait d’abord de l’évolution démographique du pays, dont la population augmente pour l’instant de 300 000 habitants par an environ en métropole soit à peu près 0.5%. Pour couvrir cette évolution sans changer le nombre d’habitants par logement, il faut donc construire 140 000 logements si on ne compte que les résidences principales et près de 170 000 si on prend en compte tout le parc (logements vacants et résidences secondaires compris ;
A ce volume il faut ajouter les logements détruits parce qu’occupant trop de foncier ou parce que en trop mauvais état. Le gouvernement tablait sur 70 000 logements rénovés par an, mais parfois il est plus efficace de détruire. Il est cependant à noter qu’on est proche d’une situation assainie, avec un taux historiquement bas de logements insalubres ou sans l’ensemble du confort moderne.
Il y a aussi une demande pour augmenter la surface occupée, qui se manifeste par un double mouvement : l’augmentation de la surface moyenne (gain de 1 m2 entre 2005 et 2010 d’après l’INSEE dans un document qui malheureusement fourmille d’erreurs) et la diminution de la taille des ménages.
On notera au passage que la comparaison avec les pays voisins est très difficile à faire : par exemple, l’Allemagne a chaque année environ 200 000 naissances de moins que de décès (on s’étonnera qu’il n’y ait pas de pression sur les prix !) et le taux de maisons y est de 45 % contre 66% en France ! Sans parler du fait que l’âge du parc y est aussi différent probablement.
Le dernier article (en fait le premier en lisant le journal) émane d’un professeur de Sciences Po. Celui note que les discours de Cécile Duflot (sur les réquisitions et l’encadrement des loyers) aveient toutes les raisons de faire fuir les investisseurs, alors qu’il faut « un choc de simplification et de confiance ».
Je note dans son discours que si 25% des ménages sont locataires dans le privé, leurs bailleurs sont à 98% des personnes physiques (ceux à qui les gouvernements successifs ont promis des réductions fiscales pour les pousser à investir). Les propriétaires institutionnels (les grands assureurs par exemple)ont fui ce secteur immobilier locatif (pour se réfugier dans la location de bureaux, je suppose). L’auteur note qu’une « politique sensée consiste à tout faire pour les y ramener plutôt que les confirmer dans leur choix de défection ». Mais cela signifie qu’il faut se demander pourquoi ils ont cette attitude… C’est apparemment plus compliqué pour nos politiques que de tenir des discours idéologiques !
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