Comme ils l’avaient faits en 2003 pour des raisons similaires, les intermittents du spectacle menacent la tenue des spectacles d’été et en particulier du festival d’Avignon. Les opinions sur la légitimité de leur cause sont assez tranchées entre les pour et les contre, comme l’ont illustré deux tribunes parues côte à côte dans le numéro du Monde daté du 19 juin.
Antonella Corsani, présentée comme une économiste universitaire, fait partie de ceux qui soutiennent la cause des intermittents, comme le prouve le titre de sa tribune, évoquant l’accord sur les indemnités chômage qui a provoqué l’action actuelle : « cet accord est le laboratoire du néolibéralisme. Inventons un contre modèle ».
Après une attaque en règle contre les « politiques néolibérales » menées par les « idéologues du MEDEF », elle affirme que le question de la politique culturelle renvoie à une vision de la société, ce qui lui permet d’en déduire que "l’intérêt pour les œuvres est inséparable d’une politique d’assurance-chômage pour tous », et de citer pêle-mêle « chômeurs, intérimaires, saisonniers et précaires en CDD ou en CDI ».
On se demande ce que viennent faire les CDI dans sa liste, mais il ne faut sans doute pas demander à ceux qui bénéficient depuis toujours du statut de fonctionnaire de comprendre le droit du travail. Mais ce n’est pas l’essentiel.
L’idée est assez claire : alors que le statut des intermittents est totalement dérogatoire de celui des salariés bénéficiant de l’assurance chômage, il s’agit de nier les conséquences de cette différence, en l’occurrence les intérêts opposés des salariés et des chômeurs d’un côté et des intermittents de l’autre.
L’autre tribune est signée de Nathalie Heinich, sociologue et directrice de recherche au CNRS qui travaille sur la question d’e l’art. L’auteur explique que la gauche s’est historiquement attachée au soutien à la création d’une part, à la démocratisation culturelle d’autre part, mais que depuis les années 80 le premier objectif a pris le pas sur le second, pour ne pas dire qu’il s’est fait à ses dépens.
La sociologue défend le principe d’un système dérogatoire mais s’étonne que celui-ci continue à être appliqué à des professions techniques employés dans des entreprises importantes et rentables, alors que ces derniers devraient relever du régime général, alors que cette question a été soulignée par de nombreux rapports. Ce système permettrait, si j’ai bien compris, à des entreprises comme TFI de faire des économies sur le dos des salariés du régime général.
L’auteur s’étonne que les syndicats qui défendent les intermittents « ne mettent pas cette exigence au premier rang de leurs revendications ». Elle s’offusque qu’au nom de valeurs affichées comme de gauche, ce sont, non pas des forces de progrès, mais des forces de « conservatisme, de blocage et finalement d’exclusion » qui agissent pour préserver des « privilèges corporatistes ».
La rédaction en chef a mis en exergue une phrase de la tribune de Nathalie Heinich : « le syndicalisme dans le secteur public est devenu en France le grand parti conservateur où les plus radicaux sont surtout les plus radicalement ennemis du vrai progrès social ».
On trouvera dans l’autre tribune, comme en écho, un paragraphe qui glorifie les intermittents en lutte qui ont « tracé un chemin possible pour en sortir, un chemin à parcourir aujourd’hui avec les artistes, les postiers, les cheminots, les universitaires et toutes les autres catégories sociales ».
Les autres catégories sociales apprécieront le choix de ceux qui sont nommés. Mais après tout, pourquoi se plaindre ? L’auteur n’a pas écrit « privilégiés, unissez-vous ! »
Le régime des intermittents est tellement favorable (en moyenne, un intermittent touche chaque mois 1 500 € de salaire et 1 10 € d’indemnités d’après le Parisien), que les effectifs augmentent beaucoup plus vite que les besoins et la charge de travail.
Quelques chiffres pour situer le problème, fournis par un site citant la direction des études de l’UNEDIC : La population des intermittents a été multipliée par 2 en 10 ans (+109 % entre 1992 et 2002). Les prestations versées ont augmenté de 150 % et les cotisations encaissées au titre de l’assurance chômage ont augmenté de 148 % (entre 1992 et 2002). Le volume de travail a augmenté de 40 % sur cette même période et la masse de contrats de 160 % ce qui révèle un travail fragmenté en contrats de plus en plus brefs. De 1995 à 2003, les données de la caisse des congés montrent une relative stabilité des salaires (-6 %).
Plus de 45 % des allocataires indemnisés résident à Paris.
En 1974, le nombre d’intermittents était de 19.100. On en comptait 28.750 en 1984, 68.900 en 1994 (dont 53.000 indemnisés) et 123.000 en 2002 (dont 102.223 indemnisés). Au 31 décembre 2003, du fait de la réforme, on dénombrait quelques 79.835 intermittents indemnisés. Ils étaient 105.826 en 2009.
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