Sous ce titre, Chris Stringer, paléoanthropologue au British Muséum et défenseur de l’hypothèse « Out of Africa », se demande si l’homo sapiens est une espèce différente de celle de l’homme de Neandertal ou d’autres récemment découvertes et pourquoi c’est la première qui a seul survécu. Il en profite pour nous exposer les recherches menées depuis ses débuts et le développement foudroyant des outils utilisés.
En plus de 400 pages (sans compter les plus de 50 de bibliographie et d’index : on a affaire à un chercheur !), l’auteur balaie beaucoup de sujets, dans un ouvrage qui ne se lit certes pas aussi bien qu’un roman policier (notamment en vitesse de lecture : j’y ai consacré une bonne partie de mes dernières vacances), mais qui me parait assez abordable, au moins pour une personne qui n’ignore pas tout du sujet. Je n’en ferais pas ici un compte rendu ni un résumé, mais je voudrais simplement partager quelques idées que j’ai retenu à la lecture.
Au début de la carrière de l’auteur, au commencement des années 70, les paléoanthropologues admettaient ensemble une origine africaine de l’humanité, il y a plusieurs millions d’années, avec par exemple l’australopithèque et ses descendants. Ces premiers hommes se sont ensuite répandus en Eurasie où leur présence est attestée depuis environ 2 millions d’années. Il est possible que l’homme de Florès, incontestablement humain mais différent de l’homo sapiens, récemment découvert dans une ile indonésienne ait une origine plus ancienne et soit rattaché à l’homo habilis plutôt qu’à l’Homo erectus auteur de cette « Out of Africa 1 ».
Pour la suite de l’évolution, deux thèses se sont affrontées ces dernières décennies :
Celle du multi régionalisme, dominante au départ, faisait l’hypothèse d’évolutions parallèles dans chacune des grandes régions du monde, pendant plus d’un millions d’années, aboutissant dans chaque cas à l’homo sapiens actuel.
Celle de « Out of Africa 2 », qui a progressivement pris le pas sur la première, voyait l’apparition de l’homo sapiens il y a environ 200 000 ans, en Afrique, puis sa dispersion sur tous les continents, y compris les Amériques.
L’auteur a été un défenseur, probablement acharné, de la deuxième théorie, et cela se sent dans son ouvrage, d’autant plus qu’il semble que la bataille ait été assez virulente dans les années 90. La thèse des évolutions parallèles parait spontanément moins logique que celle d’une origine unique (qu’elle soit en Afrique ou ailleurs). A lire l’auteur, on imagine que l’une des raisons de sa popularité (pas chez tous évidemment) est purement raciste. On lit ainsi page 370 :
« Quand j’étais étudiant, il (un crane découvert en Afrique du Sud et à l’époque incorrectement daté) servait encore à démontrer que l’Afrique avait été l’arrière-cour de l’évolution humaine puisque disait-on, un spécimen aussi primitif y vivait il y a 50 000 ans, alors que des humains plus avancés avaient déjà évolué en Europe et en Asie »
L’auteur consacre de nombreuses pages a expliquer les progrès techniques considérables qui ont permis de tirer de nombreux renseignements des fossiles disponibles, mais aussi des humains d’aujourd’hui : d’abord des outils pour mieux étudier les fossiles, par exemple la tomodensimétrie qui a permis de comparer l’oreille interne de l’homo sapiens et celle des Néandertaliens, ou les dater précisément, puis le séquençage de l’ADN, d’abord mitochondrique puis lié au chromosome X, enfin à l’ensemble de l’ADN humain.
Ces progrès ont permis de valider aujourd’hui la thèse « d’Out of Africa 2 », avec l’apparition en Afrique de l’homo sapiens il y a 150 000 ou 200 000 ans, sa diffusion (voir la carte des pages 269/270) dans les différentes régions africaines d’abord, son arrivée au moyen Orient il y a 60 000 ans, prélude à son expansion en Asie et en Europe, puis dans toutes les iles du Sud-est asiatique, en Australie et dans les iles voisines, et enfin il y a 15 000 ans en Amérique à travers le détroit de Béring.
L’analyse de l’ADN montre que l’homo sapiens compte en Europe quelques pour cent de gênes issus de Neandertal et en Asie également quelques pour cent issus des descendants locaux d’erectus, ce qui pourrait signifier des mélanges entre les arrivants et les populations locales, sachant que ces mélanges peuvent aussi avoir eu lieu en Afrique où les espèces étaient encore présentes avant la sortie d’Afrique d’homo sapiens.
Pourquoi est-ce homo sapiens qui a survécu et pas les autres ? A cette question qui fait le titre du livre, il n’y a pas actuellement de réponse sûre. L’auteur suppose par exemple que Néandertal a disparu « tout seul » alors qu’une autre hypothèse serait qu’il ait perdu dans la concurrence avec le nouvel arrivant.
Parmi les idées avancées, je retiens que l’homo sapiens aurait bénéficié d’une mutation qui a allongé fortement sa durée de vie (pour ceux qui atteignaient l’âge adulte et pour les femmes survivaient à l’accouchement), faisant passer celle-ci d’une trentaine d’années à plus de quarante ans. La conséquence en a été que la transmission des savoir-faire, qui ne se faisait pas forcément directement de parents à adolescents pour des raisons de mortalité anticipée, a pu se faire de grands parents à enfants. Le fait d’avoir un lien social beaucoup plus diversifié (avec parents, oncles et tantes, grands-parents etc.) a favorisé une orientation du cerveau vers la maîtrise de liens sociaux très complexes.
L’auteur aborde la question de la poursuite actuelle de l’évolution, pour affirmer qu’elle est probablement plus rapide qu’hier, d’abord parce que la population a augmenté (donc la possibilité de mutations favorables), ensuite en raison de changements rapides de l’environnement. Il estime ainsi que les très longues traversées dues à la traite négrière ou celles qui ont conduit à la colonisation des iles polynésiennes ont sélectionné des personnes capables d’accumuler des réserves, ce qui pourrait expliquer aujourd’hui la forte prévalence à l’hypertension chez les afro américains ou celle de l’obésité dans les populations polynésiennes. Selon un anthropologue, l’augmentation actuelle d’affections comme l’autisme, la schizophrénie, les allergies, l’asthme ou les maladies auto-immunes représenterait le désavantage de changements génétiques qui furent des avantages dans d’autres circonstances.
La question de la couleur de la peau est un exemple du caractère ambivalent en soi d’une mutation, qui se révèle un avantage ou un désavantage selon les conditions de l’environnement. Nos ancêtres africains avaient très certainement la peau noire, ce qui les protégeaient des conséquences de l’exposition aux UV (augmentation de la destruction de l’acide folique et multiplication des cancers de la peau) mais en cas de faible ensoleillement la peau noire provoque un risque de déficience en vitamine D (ce qui entraîne du rachitisme), ce qui explique que la mutation vers une peau blanche ait pu se propager dans les pays européens, d’après l’auteur il y a moins de 15 000 ans.
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