Le pacte de responsabilité vise à réaliser le « choc de compétitivité » réclamé il y a déjà un an et demi par le rapport Gallois, et à rétablir les marges des entreprises françaises confrontées à une forte concurrence au sein de la zone euro de la part de l’Allemagne en premier lieu. La mesure est indispensable, mais pas forcément suffisante, et il ne faut pas en attendre un effet rapide.
Au moment des fortes difficultés rencontrées par PSA et de l’annonce de la fermeture de l’usine de Poissy, de bonnes âmes, au gouvernement et dans certains cercles politiques, ont reproché au groupe automobile de ne pas avoir fait assez sur la compétitivité hors prix, notamment en termes d’innovation. J’avoue être assez énervé de ce comportement de donneurs de leçons de la part de gens qui n’ont qu’une idée très vague du fonctionnement réel d’une entreprise. Il faut bien comprendre que les entreprises des pays développés, allemandes par exemple, font elles aussi des efforts d’innovation : il est illusoire de penser que l’ensemble des entreprises françaises arrivera à produire un écart de compétitivité hors prix suffisant pour compenser la production d’écarts de compétitivité prix, si ceux si sont significatifs.
Or, justement, les écarts de coûts du travail avec l’Allemagne ont été très importants depuis quinze ans : les Echos reprenaient les chiffres produits par Rexécode , à savoir qu’entre 2000 et 2013, le coût horaire du travail avait augmenté de 46.3% en France contre seulement 24.9% en Allemagne. La production d’un écart de compétitivité coût de 17.1 % (146.3/124.9 – 1), sur un délai relativement bref, entre deux économies de même niveau de développement, est trop importante pour être compensée par des différentiels d’innovation. Il faut cependant avoir à l’esprit que l’Allemagne avait besoin de rattraper un écart qui lui était défavorable à l’origine, ce qui explique que la production de l’écart ci-dessus n’ait pas été pointée beaucoup plus tôt.
Réxécode étant un organisme patronal, il est cependant plus prudent pour bien comprendre la situation de s’adresser à un organisme plus neutre, en l’occurrence l’INSEE et un dossier produit dans la note de conjoncture de mars 2013 sur les différentiels d’inflation au sein de la zone euro. On s’attardera sur le tableau 4, page 60. Celui-ci démarre en 1997, ce qui est toujours discutable, et ne prend pas en compte les années 2008/2010, ce qui est bien dommage. Mais il a le mérite d’exister.
La première ligne du tableau donne l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire sans les impacts des évolutions des prix extérieurs des matières premières (en pratique d’abord l’impact de l’évolution des prix du pétrole). Entre 1997 et 2007, l’inflation a été de 1% par an en Allemagne et de 1.3% par an en France : un écart qui a joué en défaveur de notre pays, mais pour un montant cumulé sur dix ans (3%) somme toute assez faible.
La quatrième ligne concerne le coût unitaire du travail, détaillé dans les lignes 5 et 6 entre l’impact de l’évolution des salaires et celui de la productivité.
On voit tout de suite l’écart important sur ces lignes entre la France et l’Allemagne : de 1997 à 2007, quand le coût salarial unitaire recule de 0.7% par an en Allemagne, il augmente de 1.3 % par an en France, de 2.3% par an en Italie et de 3.5% par an en Espagne. Soit, sur la période, un différentiel cumulé défavorable par rapport à l’Allemagne de plus de 20% pour la France, de 30 % pour l’Italie et de 42 % pour l’Espagne !
Une partie de cet écart s’explique par les différences des gains de productivité : 1.7% par an en Allemagne, 1.2% par an en France, 0.8% en Espagne et 0.4% en Italie. Les gains allemands s’expliquent peut être par la réorganisation du système de production, utilisant notamment la sous-traitance des pays de l’Est, mais je ne sais pas si c’est ici qu’elle est comptée.
Mais la plus grande partie de l’écart provient des coûts de travail par tête (donc des salaires nominaux) : quand l’Allemagne les voit progresser de 1% par an, la progression est de 1.8% en Italie, de 2.5% en Franc et de 2.7% en Espagne !
Entre 2011 et 2012, les salaires continuent de progresser de 2.5% en France » (en pleine crise…) mais de 2.9% en Allemagne : ce n’est pas la France qui change, c’est l’Allemagne qui fait enfin profiter ses ménages de gains de compétitivité.
L’évolution des rémunérations en Allemagne a fait que celle-ci a vu sa croissance tirée par ses voisins et ses entreprises augmenter fortement leurs marges. La situation a été inverse en France.
Au sein d’une zone euro où il n’est plus possible de dévaluer pour reconstituer les marges vis-à-vis de l’extérieur, la concurrence sociale tant décriée par les adversaires du projet de constitution européenne est venue de là où personne ne l’attendait : du pays qui avait les salaires les plus élevés des grands pays de la zone. Avait, car ce n’est plus le cas, les salaires sont maintenant en moyenne plus élevés en France.
On peut raisonnablement reprocher à l’Allemagne sa politique mercantiliste pendant toutes ces années, mais cela ne changera pas la situation. Pour rétablir sa compétitivité vis-à-vis de son voisin, la France peut toujours espérer que celui-ci augmente plus vite qu’hier ses salaires (ce n’est pas gagné, la Bundesbank en est à regretter que les syndicats ne demandent pas d’augmentation plus élevées !) mais elle doit surtout prendre des mesures internes.
L’étude du CEREQ dont j’ai déjà parlé, montre que trois ans après leur sortie d’école 41 % seulement des non diplômés ont un emploi et qu’un seul sur six est en CDI. Entre 2004 et 2010, le niveau médian du salaire d’embauche pour ces non diplômés a baissé d’environ 2% en euros constants pour ces non diplômés (du moins les rares qui ont trouvé un emploi). Vu le mécanisme d’indexation du SMIC, ce dernier a forcément augmenté en euros constants sur la période, freinant donc la tendance « naturelle » des salaires. Je ne peux qu’imaginer que cette évolution du SMIC, à rebours des tendances de l’économie, a non seulement contribué au chômage des moins qualifiés mais a aussi participé à cette évolution trop rapide des salaires…
Dans son projet, le gouvernement a prévu le gel de l’indice pour les fonctionnaires, gel qui existe déjà de fait depuis un bon moment. Il n’a pas osé s’attaquer au SMIC, qui joue défavorablement à la fois sur le taux d’emploi (calamiteux) des non qualifiés, mais aussi sur la spirale des prix et des salaires. Il avait l’occasion de supprimer les clauses d’indexation du SMIC, il ne l’a malheureusement pas fait (il est vrai qu’il aurait eu du mal à faire avaler une telle mesure à sa majorité) : une occasion perdue.
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