Je ne sais pas comment le Monde recrute ses chroniqueurs, mais la dernière livraison de Pierre Yves Gomez, que Wikipédia présente pourtant comme « économiste et docteur en gestion » ne donne pas le sentiment de professionnalisme qu’on pourrait attendre du journal qui se prétend encore de référence.
Il est vrai que la chronique commence très fort, puisqu’elle nous prétend que la part des salaires dans la valeur ajoutée est restée stable entre 1981 et 2013, à 68 %. Déjà la référence à 1981, dont on sait (depuis le rapport Cotis pour ceux qui n’avaient pas voulu le voir avant) que cette année correspond à un maximum historique pour la part des salariés, fait sursauter. On sait aussi que la part des salariés, montée à presque 75% vers 1981, est descendue de près de 10 points à la faveur de la désinflation et du plan Delors Mauroy. Elle se situe depuis autour de 68% en effet, jusque vers 2008/ 2009 : elle est passée depuis à plus de 70%, ce qui a été considérée comme dangereux dans le rapport Gallois, d’où l’instauration du crédit d’impôt compétitivité emploi.
Donc complétement faux sur la valeur en 1981, sur la stabilité dans les décennies suivantes et sur la valeur 2013 !
Le chroniqueur nous parle ensuite d’une étude récente publiée par une équipe de cinq chercheurs universitaires, étude présentée comme démontrant que la hausse des dividendes versés pourrait expliquer la crise traversée par la France.
Arrive alors le plus fort : les salariés qui subissent les conséquences de cette hausse des dividendes sont eux-mêmes actionnaires des entreprises par l’intermédiaire des fonds de pension « millions de salariés qui bénéficient de système de retraite par capitalisation écrit l’auteur.
On se demande alors de quoi on parle : s’agit–il des salariés français ou américains ? Rien dans le texte ne semble pourtant faire penser que ce n’est pas de la France dont on parle.
Du grand n’importe quoi apparemment donc. Mais pour en avoir le cœur net, le mieux est de trouver l’étude, ce que Google permet en quelques secondes.
On découvre alors ce que le chroniqueur s’est bien gardé de nous signaler : l’étude a été commanditée par la CGT, et ce sont d’ailleurs le Monde Diplomatique et l’Humanité qui s’en font l’écho.
J’ai lu l’étude en transversal : elle est beaucoup plus sérieuse que la chronique voudrait nous le faire croire. Elle montre bien une stabilité à 68 % de la part des salariés dans la valeur ajoutée, mais c’est entre 1999 et 2010 (le seul reproche qu’on peut faire aux chercheurs, c’est d’avoir arrêté leurs courbes en 2010, comme pour ne pas montrer le faible niveau actuel de la part des entreprises).
Si le contenu doit pouvoir être critiqué évidemment, l’étude comporte des analyses bien fondées, par exemple pour montrer que les problèmes de compétitivité de notre pays dans la zone euro sont le résultat de la politique mercantiliste de l’Allemagne depuis 10 ans. Ou pour contester la volonté des financiers d’un retour de 15% par an sur les capitaux avancés.
On y parle bien aussi de salariés ayant des retraites par capitalisation, mais il s’agit des salariés allemands.
Donc sur les deux points particulièrement litigieux de la chronique, le problème ne vient pas de l’étude citée mais bien du chroniqueur.
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