Il y a 50 ans, le club de Rome annonçait que les réserves connues de beaucoup de matières premières étaient inférieures à 20 ans. Aujourd’hui, il est banal de rappeler que dans un monde fini, les ressources naturelles ne sont pas inépuisables, ce qui conduit certains à plaider pour la fin de la croissance, voire la décroissance.
Le dernier numéro de la revue Sciences Humaines présente 200 ouvrages à intégrer à une bibliothèque sur son sujet. L’article sur « prospérité sans croissance » à propos du livre de Tim Jackson commence par cette affirmation qui m’a fait bondir : 3% de croissance par an pendant 90 ans, c’est un PIB multiplié par 16, c’est 16 fois plus de matières premières et 16 fois plus d’énergie à consommer.
En réalité, si une croissance du PIB correspond généralement à plus de ressources consommées, ce n’est pas obligatoire et de toutes manières le lien n’est pas mécanique. Les quelques exemples ci-dessous ont pour objet d’illustrer cette affirmation.
Une des caractéristiques de l’évolution de notre système économique est la marchandisation progressive d’activités qui étaient auparavant de la sphère privée. Aller au restaurant plutôt que de se faire soi-même à manger fait croitre le PIB sans pour autant consommer plus de ressources naturelles. Il en est de même quand les femmes se mettent à travailler tout en confiant leurs enfants à un système de garde payant.
Dans beaucoup de domaines, le fait de passer d’un produit bas de gamme à un produit haut de gamme conduit à une notable augmentation financière des dépenses, sans forcément que la consommation de ressources naturelles aient augmenté, ou au moins dans les mêmes proportions.
J’ai récemment installé dans la cheminée de ma maison de Verel un foyer de chauffage au bois ce qui m’assure une bien meilleure qualité de chauffage, une plus grande propreté de la pièce et une beaucoup plus faible consommation de bois. Je ne sais pas si le gain sur cette consommation (financièrement théorique pour l’instant car j’ai une réserve de bois très importante) compensera la coût de l’installation, mais il est très probable qu’en terme écologique (production de CO2 et de poussières dans l’air notamment) l’opération soit rapidement positive.
Dans un sens inverse, la production (et la consommation) d’électricité ont augmenté de 7% l’an de manière très régulière pendant les trente glorieuses, soit nettement plus vite que le PIB. Depuis les crises pétrolières, on assiste plutôt à une augmentation de la consommation d’énergie moins rapide que le PIB.
En simplifiant à l’extrême, il est probable que les pays en développement voient leur consommation de ressources augmenter plus vite que le PIB (parce qu’ils voient leur consommation de biens augmenter rapidement) alors que les pays développés seraient dans le cas inverse (parce que le développement se fait sur les services, et qu’une partie importante de ceux-ci consomme en fait peu de ressources naturelles).
On notera par ailleurs que l’efficacité énergétique a progressé avec le temps et les progrès techniques, au bénéfice des pays actuellement en développement : une automobile chinoise d’aujourd’hui consomme moins d’essence que son équivalent américain de l’époque où la pénétration de la voiture sur le marché américain était celle que connaît actuellement la Chine (entre les deux guerres probablement).
Plutôt que d’imaginer une économie de décroissance (dont on ne sait pas trop bien comment on peut la gérer), on peut s’orienter vers une économie plus efficace dans sa consommation de ressources. C’est le choix fait par l’Europe (réduire de 20% la consommation énergétique) et c’est d’ailleurs fondamentalement ce qui se passe, et d’autant plus vite que les ressources en question sont chères (parce que rares).La vitesse de changement est peut-être insuffisante, et on peut se demander comment l’accélérer, la méthode la plus simple étant de renchérir (par exemple par des taxes) l’accès aux ressources.
On ne peut ignorer que l’un des termes de l’équation est démographique. Les projections sur la population africaine dans le prochain siècle (avec un triplement annoncé, sans qu’on sache encore quand la croissance s’arrêtera) sont assez inquiétantes pour ce continent. L’argument selon lequel nous appartenons tous à la même planète ne doit pas pour autant conduire à poser le même diagnostic pour une Europe dont l’évolution démographique naturelle est négative, qui fait l’essentiel de sa croissance sur les services et qui invente au quotidien des solutions innovantes pour mieux utiliser les ressources naturelles. D’une certaine manière, l’apport essentiel de l’Europe sera plus ces innovations si elles peuvent être généralisées que les gains obtenus sur son périmètre. Le Monde daté du 5 janvier donne l’exemple d’un jeune diplômé des mines de Douai qui a créé une entreprise pour équiper de batteries solaires les africains pauvres : quand tout le monde peut être gagnant !
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