Est-il rentable pour la grande distribution d’ouvrir le dimanche ? Reprenant des propos datant de 2009 de Philippe Askenazy et relayés par Julien de la grande époque d’Ecopublix, Alexandre Delaigue prétend que non, en raison de la majoration des heures faites ce jour-là et de certains coûts supplémentaires. Je voudrais ici disconvenir (respectueusement bien sûr !).
Une petite observation d’abord (j’y reviendrais peut-être dans un autre billet) : le travail du dimanche est tendanciellement en augmentation dans notre pays. Le nombre de salariés concernés au moins occasionnellement est passé de 18% en 1984 à 28.5% aujourd’hui.
Il se trouve que, il y a une quinzaine d’années, j’ai aidé une des entreprises de bricolage aujourd’hui à la Une a passer aux 35 heures. A l’époque les quelques établissements qui ouvraient sur 7 jours (tous situés dans la région parisienne) étaient les plus rentables de l’entreprise, alors que les salariés bénéficiaient d’une majoration de 100% ce jour-là. Pour comprendre pourquoi, il faut s’attarder un moment sur la répartition des ventes dans la semaine.
Comme le note Alexandre, « le samedi aux alentours de 15h » est le moment où il y a le plus d’affluence, ce qui ne facilite pas la vie des consommateurs présents à ce moment-là, ni celui des vendeurs ou caissiers d’ailleurs. Dans ce type de grande surface, on estime autour de 45% la part du chiffre d’affaires réalisé le samedi, pour un établissement ouvert 6 jours par semaine.
Dans le cas d’un établissement fonctionnant 7 jours sur 7, la part du samedi se réduit à environ 30%, celle du dimanche étant d’environ 20%, ce qui fait 50 % des ventes le week-end. La superficie nécessaire pour servir la clientèle dépendant du volume de celle-ci le jour le plus chargé, il faut 1/3 de surface de moins (30% par rapport à 45%) pour un chiffre d’affaire donné pour un établissement ouvert 7 jours par semaine que pour un magasin ouvert 6 jours.
Philippe Askenazy (et Alexandre à sa suite) met en avant la nécessité d’éclairer, de chauffer beaucoup plus longtemps des bâtiments de grande taille très énergivores. Mais ils ne tiennent pas compte de ce à quoi sert la surface : si en ouvrant 7 jours je fais le même chiffre d’affaires avec 7 000 m2 qu’une surface de 10 000 m2 ouverte 6 jours, mes dépenses d’éclairage et de chauffage sont presque 20% moins chères que celles de l’autre grande surface.
Par ailleurs, le fonctionnement sur 6 jours avec 45% des ventes le samedi pose de gros problèmes de gestion de la main d’œuvre. Pour les caissier(e)s, dont tout le travail se fait face au client, donc quand il est là, c’est-à-dire à 45% sur un seul jour, cela va se traduire par un appel systématique à des temps partiels. Pour les vendeurs la situation est différente, d’abord parce que la logique du marché du travail leur est moins défavorable (l’employeur a plus de mal à leur imposer un temps partiel), ensuite parce qu’une partie de leur travail est déconnectée du service direct au client (elle est même plus facile à faire quand il est rare). Malgré tout, faire travailler 8 heures le samedi et 27 le reste de la semaine n’est pas très efficace si le volume vendu le samedi est effectivement de 45% du total
Avec l’ouverture du dimanche, l’organisation va changer. Tous les travaux hors vente directe vont continuer à se faire pour l’essentiel le reste de la semaine. Mais en pratique, le travail du dimanche sera réalisé en partie par des vendeurs « habituels » qui viendront soit en heures normales, soit en heures supplémentaires. Une autre partie sera réalisée par des vendeurs à temps partiel, des vendeurs qui ne travailleront que le dimanche, ou que le dimanche et le samedi (parce qu’ils sont étudiants ou qu’ils ont un autre travail). Le résultat est qu’il sera beaucoup plus facile (et aussi plus rentable) d’occuper correctement ceux qui travaillent la semaine. Mais on comprend que cela ne fonctionne que pour des établissements de grande taille, qui ont des effectifs importants.
Comme on le voit, la question est celle d’une comparaison « toutes choses égales par ailleurs » et les économistes savent que justement, les choses ne sont jamais égales par ailleurs !
Si une grande surface est à un niveau de saturation et qu’elle ne peut augmenter son chiffres d’affaires, alors que le marché existe, elle n’a pas d’autre choix que de s’agrandir (ou d’ouvrir un autre magasin un peu plus loin) ou d’augmenter sa durée d’ouverture.
Dans chacun des cas, elle va augmenter ses dépenses, tant salariales que de consommation d’énergie. C’est ce que développent nos économistes.
S’il y a des marges importantes de développement de chiffres d’affaires, l’opération peut être rentable. Pour passer de 6 jours d’ouverture à 7 jours, les remarques ci-dessus montrent que l’opération peut être rentable si l’augmentation de chiffre d’affaire est d’au moins 20% dans un délai raisonnable (c’est-à-dire en deux ou trois ans par exemple).
Cette situation était tout à fait possible dans les années 80 et 90, où le marché du bricolage (mais on peut bien sur faire le même raisonnement pour d’autres produits) était en plein boom. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, avec un marché qui ne progresse plus que très lentement. Il devient donc hasardeux de vouloir augmenter la durée d’ouverture d’un magasin qui est actuellement ouvert 6 jours par semaine (d’autant plus que la répartition du chiffre d’affaires selon les jours de la semaine n’est pas forcément la même hors de la région Ile-de-France que dans celle-ci).
Par contre, les magasins fonctionnant actuellement sur 7 jours et qui sont saturés ou quasi saturés, vont avoir un gros problème s’ils doivent revenir à un fonctionnement sur 6 jours : l’affluence va augmenter à peu près de moitié le samedi, ce qui sera vite considéré comme invivable par les clients, qui vont aller ailleurs (s’ils en ont la possibilité à proximité).
Ces établissements seront alors confrontés à la nécessité d’agrandir ou d’aller ouvrir ailleurs, ce qui est plus facile à dire qu’à faire et demande du délai. Je me risquerai donc volontiers à un pari : ils vont essayer la vente par Internet.
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