Le Monde semble avoir trouvé, en la personne de Stéphane Foucart, un digne successeur à Hervé Kempf, tout aussi militant, tout autant bardé de certitudes écologistes, et tout aussi prêt à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Je ne sais pas depuis quand il écrit cette rubrique dans l’édition du dimanche, mais sa livraison du 20 octobre donne déjà toute l’étendue de sa « pensée ».
Consacrant sa chronique au livre « Toxique planète » que son commentaire me donne envie (peut-être à tort) de surtout ne pas lire, le journaliste militant attaque très fort avec cette phrase qui montre toute l’étendue de ses méconnaissances (ou de sa mauvaise foi, au choix) : tous font pièce à cette épidémiologie de comptoir selon laquelle « tout va bien, car l’espérance de vie continue d’augmenter » -rappelons ici que la notion d’espérance de vie repose sur un postulat dénué de tout fondement, selon lequel la santé à venir des nouveaux nés sera nécessairement identique à celle qu’ont connu les vieillards d’aujourd’hui au cours de leur vie.
Pour ceux qui sont persuadés que la situation de notre environnement est calamiteuse, qu’elle empire tous les jours et que rien n’est fait contre la catastrophe annoncée, que cette situation a déjà des conséquences dramatiques sur notre santé, conséquences qui ne peuvent que s’aggraver si on ne passe pas immédiatement à un monde radicalement différent, l’augmentation forte et régulière de l’espérance de vie ne peut que sonner comme un désaveu cinglant. D’autant plus que dans leur volonté de tout expliquer par l’environnement, nos militants semblent oublier que les deux principaux facteurs de risques d’une vie abrégée ne sont pas environnementaux comme le voudrait leur doxa, mais comportementaux : on aura reconnu la consommation d’alcool et le tabac.
Les croyants doivent donc prédire, comme l’a fait une de mes proches, que « nous vivrons moins longtemps que nos parents », même si l’INSEE dit exactement le contraire. Mais je n’avais pas encore entendu ou lu l’argument du journaliste-militant du Monde.
Celui-ci profite d’un raccourci souvent fait, notamment par ceux qui ne connaissent pas le concept : l’espérance de vie à la naissance ne représente pas la durée de vie moyenne qu’auront les nouveaux nés d’aujourd’hui. C’est le résultat d’un calcul selon la définition que donne l’INED : l'espérance de vie à la naissance (ou à l'âge 0) représente la durée de vie moyenne - autrement dit l'âge moyen au décès - d'une génération fictive qui serait soumise à chaque âge aux conditions de mortalité de l'année considérée. On calcule aussi une espérance de vie à 1 an (qui peut être supérieure à celle à 0 ans dans les pays qui ont une forte mortalité infantile), à 20 ans, à 60 ou 65 ans (en fait à n’importe quel âge). Ce calcul se fait dans les conditions de mortalité par âge de l'année considérée.
Concrètement, on calcule la durée de vie moyenne d’un groupe fictif qui aurait à n ans comme mortalité le taux de mortalité constaté l’année donnée pour ceux qui ont n ans cette année-là. Par exemple, si en 2013 1% des personnes âgées de 60 ans sont décédées (je donne ce chiffre au hasard) on va considérer que dans ce groupe fictif, 1% de ceux qui sont encore vivants à 60 ans décèdent à cet âge.
On le comprend, cette espérance de vie calculée n’a aucun caractère prédictif. Son augmentation régulière a cependant beaucoup plus de sens que voudrait le faire croire notre journaliste qu’on peut sans peine qualifier d’épidémiologiste de comptoir.
L’espérance de vie en France augmente sans désemparer depuis 200 ans, en dehors des périodes de guerre ou à l’occasion d’événements comme la canicule de 2003. Ces événements font des accrocs dans la courbe mais ne l’empêchent pas de suivre sa tendance : l’espérance de vie n’a pas augmenté en 2003 mais elle a gagné plus de 6 mois l’année suivante.
Cette augmentation est la conséquence directe d’une baisse constante de toutes les mortalités à tous les âges. Le taux de mortalité des personnes de n ans en l’année m est systématiquement inférieur à celui constaté pour les personnes de n ans l’année m-1 !
Cette évolution ne signifie pas que tout va bien : elle signifie que nos conditions de santé s’améliorent globalement, ce qui ne signifie pas qu’elles ne se dégradent pas sur certains points : une cause de mortalité peut être en diminution (par exemple les morts sur la route) et d’autres en augmentation (je n’ai pas d’exemple spontané mais cela ne signifie pas qu’il n’y en a pas). Ces progrès sont pour l’essentiel liés aux progrès de la médecine et de l’hygiène. Ces progrès sont effectivement incompatibles avec l’idée que les facteurs environnementaux seraient à la fois les plus importants et en dégradation.
Aujourd’hui, on sait que les comportements ont une importance majeure, ce qui ne signifie pas qu’ils sont l’explication unique (sur ce sujet on est évidemment dans le multi factuel). On pense à la consommation abusive d’alcool au tabac, ou … à la vitesse au volant ! Il est possible que l’attrait pour les explications environnementales soit lié au fait qu’on peut les reprocher à la société au sens large quand les thèses comportementales nous renvoient à nous-mêmes.
L’environnement joue-t-il sur la mortalité ? Certainement ! Mais dans quelle mesure ? Difficile à estimer, ce qui justifie les études qui sont faites partout dans le monde sur le sujet. Mais ces études ne concluent pas forcément dans le sens imaginé par certains militants, ce qui ne signifie pas qu’elles sont tronquées ! On vient encore de le voir à propos des ondes de téléphone.
De plus, la réalité est que dans notre pays, la situation de l’environnement est en amélioration sur de nombreux points. Car contrairement à ce que sous entendent les articles militants (et encore celui de notre auteur dans sa conclusion) les pouvoirs publics ne sont pas restés sans agir, et ce depuis au moins 50 ans. Rappelons simplement les milliers de morts en raison du grand smog de décembre 1952 à Londres.
Revenons à des choses sérieuses et à quelques idées simples :
· tout ne va pas « bien » en matière de santé (sinon on ne voit pas pourquoi l’espérance de vie d’aujourd’hui serait plus faible que celle de l’année prochaine),
· mais beaucoup de choses s’améliorent, notamment à cause de nombreuses actions initiées par les pouvoirs publics, les acteurs de la santé, les associations, et l’ensemble des citoyens qui font attention à leur santé. Cela se voit sur l’évolution de l’espérance de vie.
· il y a des causes environnementales à la mortalité, et aux problèmes de santé. Ce ne sont pas les causes principales
· ce n’est pas une raison pour ne pas s’en préoccuper
· il y a d’ailleurs des études et des actions en cours
· dans ce domaine comme tant d’autres, on avancera mieux avec des démarches scientifiques qu’avec des thèses complotistes
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