Le gouvernement semble s’orienter vers une augmentation de la CSG pour combler le déficit des retraites. Une décision qui serait le choix d’une nouvelle augmentation des prélèvements libératoires et qui conduirait à rendre encore plus illisibles les mécanismes de financement de la protection, au détriment du vivre-ensemble.
Les caisses de retraite sont en déficit malgré les changements opérés par la droite en 1993, 2003 et 2010, en partie parce que ces changements ont été insuffisants, en partie du fait de la crise économique. Il s’agit aujourd’hui pour le gouvernement socialiste, d’une part de prévoir les évolutions des règles au-delà de ce qui a été défini en 2010, c'est-à-dire à partir de 2017, et d’autre part de trouver les moyens de combler dès aujourd’hui le déficit. Le premier problème devrait normalement être traité par une augmentation de la durée de cotisation, le deuxième appelle soit un blocage des pensions, soit une augmentation des cotisations, soit une augmentation dès aujourd’hui de la durée de cotisation (ce qui est compliqué, surtout pour ceux qui ont critiqué la loi de 2010 !). D’où l’idée de faire appel à la CSG.
On ne le répétera jamais assez : les dépenses de retraite représentent un montant considérable (271 milliards d’euros et 13.6% du PIB en 2011) et environ le quart des dépenses publiques (c'est-à-dire outre les retraites, les dépenses de santé, les allocations de chômage et familiales, l’Education Nationale, les intérêts de la dette, la défense, l’ensemble des autres ministères, et les dépenses des collectivités locales de tous niveaux). Le financement des retraites concerne évidemment des dizaines de millions de retraités (16.4 millions) et d’actifs (25.8 millions de cotisants, toujours en 2011), mais il s’agit aussi d’un sujet majeur de gestion de la dépense publique.
Or les prélèvements obligatoires atteignent en France un niveau très élevé. Exemple parmi d’autres, le Monde daté du 22 août titrait sa « Une » ainsi : « hausses d’impôts, la gauche craint d’être allée trop loin ». Un sous titre signalait que « les prélèvements libératoires atteindront un record de 46.3% du PIB en 2013 ». On peut disserter à l’infini sur les conséquences de ce haut niveau et vouloir le justifier par la qualité des dépenses correspondantes, du service public et de la protection sociale. Il n’empêche : la hausse des impôts augmente le risque de fuite de celui-ci. On a abondamment parlé des risques de fuite fiscale à l’occasion de l’exil de Gérard Depardieu. On parle moins du développement du travail au noir ou du troc de services, qui ont pour effet d’échapper à la TVA et aux charges sociales.
La plupart des dépenses publiques correspondent à des prestations de service, dont la demande est souvent en développement, comme c’est le cas de la santé. Comme dans beaucoup d’activités de service, les gains de productivité y sont lents, d’autant plus que certains syndicats de fonctionnaires s’ingénient à freiner ces gains en cherchant à imposer des normes d’effectifs (par élèves, par patients, par nourrisson…). Assez logiquement, ces dépenses ont tendance à augmenter, et à augmenter plus vite que le PIB : c’est le cas notamment des dépenses de santé et d’éducation, deux gros postes de dépenses publiques (le premier étant nettement plus important que le second.
Les dépenses de retraites ont historiquement également progressé beaucoup plus vite que le PIB, du fait de l’augmentation du montant relatif des pensions (du moins jusqu’à la réforme Balladur en 1993) et surtout de celle de l’espérance de vie (plus de 15 ans depuis 1945 !). Cependant, il existe un moyen de limiter cette progression : il s’agit d’augmenter la durée de cotisation quand l’espérance de vie (en fait l’espérance de vie après 60 ans) augmente. La loi Fillon de 2003 avait même prévu un rapport de 2/3 pour cette augmentation, ce qui signifiait qu’en moyenne, malgré l’augmentation des cotisations, la durée de vie de retraité augmente malgré tout.
Ce qui précède aboutit à une de mes plus forets convictions : il ne faut surtout pas augmenter la part des dépenses de retraite dans le PIB, et pour cela, la solution logique et équitable consiste à augmenter la durée de cotisation. Préférer la hausse des prélèvements à cette solution est une solution particulièrement injuste pour les jeunes générations.
Ceci dit, choisir d’augmenter les recettes en faisant appel à la CSG serait également une faute grave, qui brouillerait encore plus la lisibilité d’un système qui en manque passablement. A la base, les retraites sont financées par les cotisations et le droit à pension dépend directement des cotisations versées. Cette règle est corrigée par quelques mécanismes compréhensibles par le cotisant, essentiellement des mécanismes visant à favoriser ceux qui ont élevé au moins trois enfants (lesquels cotisent à leur tour…) et les chômeurs (ou plutôt à compenser les périodes de chômage).
En pratique, une bonne partie des mesures de solidarité (le minimum vieillesse, les avantages pour les familles nombreuses, le financement des cotisations pendant les périodes de chômage) sont financées par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et la branche famille de la sécurité sociale (CNAF), le FSV, crée en 1993, étant notamment alimenté par la CSG. D’autres impôts permettent à l’Etat de financer certains régimes déficitaires (par exemple celui des mines) du fait de leurs avantages particuliers ou d’une démographie défavorable. Au total, les impôts financent 11% du budget retraite, le FSV environ 16%. Faire appel à la CSG pour financer le déficit actuel brouillerait encore plus les cartes.
Mes lecteurs habituels savent l’importance que je donne aux théories développées par Algan et Cahuc dans la société de défiance : le sentiment que l’Etat favorise certaines catégories par rapport à d’autres est un élément majeur du particularisme de la France qui en fait un des pays développés où les citoyens ont le moins confiance en leurs institutions. Le système des retraites est certainement un des points clés de ce sentiment, du fait d’une variété des règles qui n’apparaît pas légitime mais simplement inégalitaire.
Financer le déficit du régime par une augmentation de la CSG serait une double et très grave faute !
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