Le Monde sera dorénavant dirigé par une femme. Sa nomination est révélatrice des changements du journal du soir, des changements du monde du journalisme et de l’importance donnée par la rédaction au journalisme d’investigation et à l’esprit d’indépendance. Mais qu’en est-il des compétences de direction ?
La Société des rédacteurs du Monde a donc approuvé avec presque 80 % des suffrages le choix fait par ses trois actionnaires principaux. Il est loin le temps où l’affaire se jouait avant tout entre les dirigeants historiques et la société des rédacteurs : à force de pertes et d’investissements hasardeux, les journalistes du Monde ont perdu l’indépendance qui faisait leur fierté et c’est le pouvoir financier qui décide, comme ailleurs, dans ce monde économique critiqué en permanence dans les colonnes du journal pour sa logique présenté comme purement financière. Ceci dit, la révocation d’Eric Fottorino en 2010 avait déjà montré où était le vrai pouvoir.
Il y a d’ailleurs une ambiguïté dans la fonction de celle présentée comme la neuvième directrice du journal. La page de Wikipédia, dont on imagine mal qu’elle n’est pas surveillée par le journal, distingue
- les directeurs de la publication (notamment Hubert Beuve-Méry, Jacques Fauvet et Jean Marie Colombani, au nombre de 10 jusqu’à présent)
- et les directeurs de la rédaction, (à partir de 1991 et de la nomination de Jacques Lesourne, non journaliste, à la direction de la publication) au nombre de 9 si on compte deux fois Alain Frachon qui a tenu le poste de 2007 à 2010 et qui assure l’intérim depuis le décès de Eric Izraelewicz.
Ce dernier était donc directeur de la rédaction, le directeur de la publication étant depuis 2010 Louis Dreyfus. Mais dans la liste des directeurs de la rédaction figure Sylvie Kaufmann de janvier 2010 à juin 2011. Comment alors affirmer que la nouvelle directrice est la première femme à « diriger le Monde »? Il doit y avoir des subtilités dans la répartition des pouvoirs que je n’ai pas suivies !
La nouvelle directrice fait partie du journal depuis 1997, à 31 ans, après avoir été pigiste pour Libération et pour le Monde. Les anciens dirigeants du journal, du moins ceux dont Wikipédia retrace la carrière, n’ont généralement pas connu (ou pas longtemps) ce statut de pigiste qui tend à devenir la norme dans le fonctionnement de la presse.
Natalie Nougayrède a longtemps travaillé dans les pays de l’Est (Tchécoslovaquie avant sa partition, Georgie, Azerbaïdjan…)et a obtenu en 2005 le prix Albert Londres. Le Monde souligne aussi parmi ce qu’il considère probablement comme ses titres de gloire, le fait d’avoir subi des mesures de rétorsion du quai d’Orsay à la suite d’articles probablement peu favorables sur Bernard Kouchner. Elle est donc une bonne icone pour une rédaction qui veut mettre en avant son indépendance d’esprit, son souci des droits de l’homme et son attachement au journalisme d’investigation.
La nouvelle directrice « n’a jamais exercé de responsabilités hiérarchiques dans la rédaction » ce qui a pu « susciter des interrogations » au sein de celle-ci. Je rajouterai que ce que présente le Monde de sa carrière donne le sentiment d’une carrière très individuelle. Diriger une entité de la taille du Monde, c’est donner des orientations et des arbitrages, c’est faire travailler ensemble des équipes différentes : on verra à l’usage si la nouvelle directrice en a les capacités (peut-être après tout !).
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